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variété. Bon procédé d'amis! mais les Albigeois et les routiers revendiquent, après bien d'autres, l'honneur de la priorité sur M. Cousin. Les hussites partirent de ce principe lorsqu'ils entreprirent d'extirper avec le feu et le glaive tout luxe des vêtements, la paresse elle-même; c'était pour eux un devoir de morale et de piété, et ce devoir prit sa source la plus sainte dans une sorte de panthéisme, suivant lequel tout est émané de Dieu (1) (unité dans la variété). L'unité de substance doit logiquement conduire à l'égalité de condition, sauf les crétins qui manquent des moyens de s'élever à la hauteur de l'unique loi de la nature, le plaisir. Le crétinisme, c'est le péché, puisque le crétinisme seul nous éloigne de notre unique loi. M. Proudhon avait déjà dit : « Le péché, c'est la misère. » Qui n'admirerait l'à-propos avec lequel M. Thiers réfute M. Proudhon? Unité dans la variété, unité d'attraction, c'est-àdire le plaisir, sont les deux axiomes de M. Thiers. Ces deux unités une fois affirmées, il faudrait que l'homme fût terriblement crétin pour ne pas briser tout ce qui s'oppose à son plaisir, son unique loi, son seul devoir, puisqu'il est sa plus grande manifestation divine: en ne le brisant pas, il manquerait à son devoir de morale et de piété. S'il n'est pas idiot, il trouvera dans les principes de M. Thiers cette deduction de M. Proudhon: La propriété par principe et par essence est immorale, car la propriété entre les mains d'autrui contrarie notre unique loi de nature: le plaisir. Conséquemment, le code qui, déterminant les droits des propriétaires, n'a pas réservé ceux de la morale (ou de la loi unique de notre nature, ce qui est la même chose), est un code d'immoralité,... et la justice instituée pour protéger (1) Matter, Histoire de l'Eglise chrétienne, tome 11, p. 515 et suiv.

le libre et paisible abus de la propriété, la justice qui ordonne de prêter main-forte contre ceux qui voudraient s'opposer à cet abus, qui afflige et marque d'infamic quiconque est assez osé pour prétendre réparer les outrages de la propriété, la justice est infâme (1). Cela est évident, puisque la justice contrarie l'unique loi de la nature humaine, le plaisir. Le crétin et l'idiot restent dans le péché, mais Alcibiade en sort avec éclat. Donc le crétin et l'idiot sont les seuls pécheurs, puisqu'ils sont les seuls qui n'obéissent pas à la loi de nature. Dieu a fait des crétins et des idiots pour qu'il en résu1tât des différences dans la manière d'être des individus (2). Cessons d'être pauvres, nous cesserons d'être des idiots. Comme le brillant Alcibiade, nous accomplirons adéquatement la loi unique de la nature, le plaisir celui qui accomplit la loi n'est pas dans le péché; donc le péché, c'est la misère et le crétinisme. M. Thiers et M. Proudhon, qui disent la même chose, ont obtenu tous les suffrages. L'un a obtenu les suffrages de la bourgeoisie, l'autre ceux des socialistes. Quant aux moyens d'arriver à la richesse, ils sont tous bons. Les faits visibles sont les volontés de Dieu, les lois de la création. En effet, une variété de l'unité n'est qu'un mode d'être de cette même unité, et à ce titre tout ce qui paraît est toujours la volonté de Dieu. Si Dieu est tout, ce qu'il y a dans chaque homme, intelligence et volonté, âme et corps, est substantiel à Dieu, et l'homme n'a ni ne peut avoir de supérieur. C'est bien l'avis de M. Thiers, puisqu'il affirme qu'il est le propriétaire incontestable de son corps et du principe qui l'anime.

(1) Système des contradictions économiques. (2) Propriété, page 44.

L'unique loi de l'homme est le plaisir; son unique devoir, de renverser tout obstacle à la loi. Car cette unique loi, il ne peut pas plus la négliger qu'il ne peut, ainsi que Dieu, cesser d'être. Les gnostiques, aux premiers siècles de notre ère, et toutes les écoles sorties de leur sein, l'ont toujours entendu ainsi. Les Caïnites, dont Caïn fut le modèle et le patron; les Nicolaïtes, les Simonites, les Manichéens, les Valentiniens, enfin les Carpocratiens, qui furent aux autres gnostiques ce que M. Proudhon est aujourd'hui aux autres socialistes, proscrivirent toutes les lois comme contraires aux lois naturelles, à l'ordre légitime et divin. Les Carpocratiens disaient ce que M. Proudhon a répété La justice est infâme; et ils ajoutaient : Plus on se délivre de tout ce que le vulgaire nomme religion, plus on devient semblable à Dieu (1).

<< Je me purifierai, dit encore M. Proudhon; j'idéaliserai mon être, et je deviendrai le chef de la création, l'égal de Dieu (2). » Unité dans la variété.

Vous, messieurs, vous les égaux de Dieu! Oui, jusqu'à ce qu'une douleur d'entrailles vous rappelle, comme Antiochus et Agrippa, à la raison.

Par quelle étrange obstination refusez-vous de croire à la possibilité, au fait coupable de l'orgueil d'Adam, puisque vous le voyez à l'état de folie permanente chez ses descendants? L'état des enfants n'est-il pas une preuve de l'état du père? C'est une maladie chronique, héréditaire, à laquelle le temps a donné un caractère plus triste, plus odieux, plus incurable. Vous, égaux à Dieu! Ce n'est pas

(1) Histoire du gnosticisme, tome 11, page 244, et Histoire de l'Église chrétienne, tome 1, page 169.

(2) Proudhon, Système des contradictions économiques.

là encore le dernier terme des folies humaines. Vous faites du moins à Dieu l'honneur de le convier au banquet fraternel de l'égalité. En voici qui vous suivent de près et qui ne lui laissent pas la plus petite place. La philosophie (1) est donc la lumière de toutes les lumières, l'autorité des autorités, l'unique autorité. En effet, ceux qui veulent imposer à la philosophie et à la pensée une autorité supérieure, ma foi, seront mal reçus par l'unique autorité. Souvenez-vous du sort de Bernardin de Saint-Pierre, quand il voulut invoquer une autorité supérieure à l'autorité de la raison de messieurs de l'académie. Dieu une fois supprimé, qui empêchera M. Thiers de mettre la vile multitude des crétins et des idiots au dernier degré de l'échelle des êtres, tout près du cheval, du chien, de la taupe, du polype, du végétal, de la pierre, et même de les descendre jusqu'au néant?...... Ces inégalités furent probablement la condition de ce plan sublime qu'un grand génie a défini l'unité dans la variété, la variété dans l'unité (2). L'idiot, l'enfant, le vieillard tombé, l'esclave dégradé par le fouet, l'insomnie et l'excès du travail n'ont droit à rien, parce qu'ils désirent sans sa· coir (3); car je vais de l'homme au cheval et au chien; le chien n'a droit à rien, parce qu'il désire sans savoir (4). Le crétin ne sait pas plus que le chien; il y a entre eux unité de nature, unité dans la variété, et ils ne varient pas par la force intellectuelle. Pourquoi feriez-vous une différence entre eux? Vous laisseriez-vous tromper par ces ennemis de la société qui ont abusé bien des âmes? La méta

(1) Cousin, Introduction aux discours, etc.

(2) Du droit à la propriété, livre 1, chap. V, page 46.

(3) Idem, pages 18 et 19.

(4) Idem, ibid.

physique de M. Cousin, bien contrairement à toutes les règles de la logique, il est vrai, conclut à la souveraineté de la raison en philosophie. Il est certain que cette souveraineté doit avoir son corrélatif en politique. M. Thiers nous la présente dans ses heureux Alcibiades. Aujourd'hui, les faits nous ont donné une autorité unique correspondant à l'unique autorité de la philosophie, ce qui amuse à peine la multitude respectée de nos Alcibiades.

Sans être phénix, la vieille gnose renaît continuellement de ses cendres. Nous l'avons reconnue autrefois sous les traits des Albigeois, des routiers, des hussites, des pastoureaux; nous la retrouvons aujourd'hui sous les noms des philosophes allemands, des éclectiques français, des communistes et des socialistes. Les gnostiques, dans tous les temps, sous toutes les formes et sous toutes les dénominations, ont eu la même métaphysique que MM. Thiers et Cousin l'unité dans la variété; mais ils ont constamment tiré des conclusions contraires à celles de MM. Thiers et Cousin. Si la bourgeoisie veut donner raison à l'unique autorité de l'un où se laisser captiver par le charme de l'autre, je ne m'y oppose pas; je dois pourtant prévenir mon lecteur que ces déductions contraires des mêmes principes scandalisent jusqu'aux philosophes et ébranlent la foi des rationalistes les plus déterminés. Toutes ces contradictions de la philosophie, disait J.-J. Rousseau, me priuvent l'insuffisance de la raison humaine. Et cette mauvaise pensée prend de la consistance dans les esprits, elle se glis a partout, serpit. Elle se répète tout haut dans le sanctuaire même de la philosophie, et fait pâlir l'unique autorité sur son trône. Strauss ne s'avisait-il pas de dire que la raison humaine n'avait pu trouver avant Jésus le plus petit

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