Et ces réseaux légers, diaphanes habits, Dans les fertiles champs voisins de la Touraine, L'indomptable Garonne aux vagues insensées, Que visite Phoebus le soir et le matin2? Pour joindre au pied des monts l'une et l'autre Thétis? 1. Expression hasardée. A. CHENIER. 2. C'est-à-dire : « Amène les tributs de l'orient et de l'occident. » Périphrase un peu banale et embarrassée. 3. Nom d'un intendant général des finances, sous Louis XVI, qui chercha à favoriser l'agriculture et les voies de communication. DES CONSTRUCTIONS ANORMALES OU DES FIGURES DE CONSTRUCTION. La syntaxe établit les lois relatives à l'accord des mots entre eux, à leur place dans la phrase, ou à leur construction. Nous ne nous proposons pas de revenir ici sur les règles de la syntaxe, mais seulement de faire remarquer dans quelles circonstances elles peuvent être légitimement enfreintes, sur quoi ces infractions sont fondées et quels noms particuliers elles prennent. Ainsi que nous avons réduit à deux principales toutes les figures de mots, nous réduirons à cinq les figures de construction, c'est-à-dire les diverses formes d'infraction que l'usage permet d'introduire dans l'application des règles relatives à la construction des mots. Ces figures sont l'ellipse, le pléonasme, la répétition, la syllepse, l'inversion. mais L'ellipse consiste dans la suppression d'un ou de plusieurs mots réclamés par la construction régulière de la phrase, dont le retranchement ne nuit point à la clarté, et souvent la sert en donnant au mouvement de la pensée plus de rapidité et de précision. L'ellipse est très-fréquente dans notre langue et y donne lieu à une foule d'idiotismes ou de gallicismes, dont les formes variées et les allures dégagées lui impriment ce caractère de netteté et de hardiesse qui brille dans nos meilleurs écrivains, et spécialement dans La Fontaine et Corneille, dans Bossuet et Mme de Sévigné. L'ellipse, pour être admise, ne doit donc pas nuire à la clarté de la pensée ni donner à la phrase une forme qui heurte trop l'usage. C'est ce qui fait le mérite des ellipses suivantes, empruntées aux morceaux qui précèdent ou qui suivent : L'enfant frappe des mains; les petits d'accourir La nature pour lui fit tout et pour moi rien... En ce lieu point d'auberge. FLORIAN. On vit heureux ailleurs, ici dans la souffrance... Vois-tu ce grand chêne là-bas : GUIRAUD. Le père mort, les fils vous retournent le champ..... LA FONTAINE. Car enfin, j'ai une tendresse pour mes chevaux, qu'il me semble que c'est moimême, quand je les vois pâtir. MOLIÈRE. Le pleonasme est, pour ainsi dire, l'opposé de l'ellipse. Il consiste dans l'emploi d'un mot que la construction régulière de la phrase n'exige point, et que parfois même elle repousse. Cette figure, qui se rapproche de la répétition, en diffère en ce sens que la répétition consiste à répéter un mot déjà mis, ainsi que son nom l'indique, tandis que le pléonasme consiste à employer un mot qui n'est pas réclamé par la construction régulière. L'emploi de ces figures, quand elles sont naturelles et bien placées, a pour effet de donner plus de force à la pensée en insistant sur le mot essentiel qui la caractérise. Exemples de répétitions : Je serai plus heureux que le roi sur son trône, COLLIN D'HARLEVILLE Toi, qu'annonce l'aurore, admirable flambeau, Astre toujours le même, astre toujours nouveau, Tous les jours je t'attends, tu reviens tous les jours... La terre le publie. « Est-ce moi, me dit-elle, Que diable, toujours de l'argent? Ils semblent qu'ils n'aient d'autre chose à dire, de l'argent, de l'argent; toujours parler d'argent, etc. Elle m'instruisait, en me faisant voir de mes yeux, dans les merveilles de leur instinct, ces traits d'intelligence et de sagesse. Voilà pour traiter toute une ville entière. MARMONTEL. MOLIÈRE. L'inversion consiste à donner à certains mots, dans la construction de la proposition, à certains membres de phrases, dans la construction des périodes, une place différente de celle qu'exigent les lois générales de la construction grammaticale. L'ordre assigné aux mots par la grammaire est rarement conforme à celui que demandent le mouvement de la pensée et la succession des images ou des sentiments dans l'esprit. Concilier cet ordre naturel avec les exigences, et souvent les entraves de la syntaxe, est un des plus grands secrets de l'art d'écrire et un mérite que possèdent nos grands auteurs. Sous leur plume, notre langue paraît aussi libre dans ses allures et aussi riche dans ses effets que les langues où les changements de terminaisons rendent cette liberté presque illimitée. L'inversion n'est donc légitime qu'autant qu'elle donne plus de vérité, plus de force, plus de mouvement à l'expression de la pensée, qu'elle ne nuit pas à la clarté et qu'elle n'est pas en opposition tranchée avec le génie et le caractère de notre langue, Exemples d'inversions : Quel bras peut vous suspendre, innombrables étoiles?... On le vit, plein de gloire, à son brillant réveil, Du palais d'un jeune lapin LA FONTAINE. C'est au moyen des figures dont nous avons parlé qu'on peut rendre compte de ce qu'on appelle les idiotismes et les gallicismes, c'est-à-dire des transformations de sens dans les mots et de construction dans les phrases qui, sans être en conformité avec les lois rigoureuses de l'étymologie et de la syntaxe, n'en sont pas moins parfaitement conformes au génie de la langue et aux besoins de la pensée. Il est d'autant plus important de les remarquer et de les étudier, que les méthodes grammaticales élémentaires, en paraíssant attribuer aux mots une signification uniforme et aux phrases une construction fixe, dénaturent le caractère de notre langue ainsi réduite à la monotonie et à la pauvreté. Elles déroutent de plus les élèves, lorsqu'ils rencontrent ces expressions et ces tours dont ils ne peuvent rendre compte par les procédés d'analyse grammaticale auxquels ils ont été accoutumés. Il est une autre anomalie qui apporte aux lois de la construction une infraction encore plus considérable, en faisant accorder un mot non avec celui auquel l'analyse grammaticale le lie naturellement, mais avec un mot non exprimé et qui se trouve dans la pensée de l'écrivain. Cette figure a le nom de Syllepse, Lorsque Racine a dit : Entre le pauvre et vous vous prendrez Dieu pour juge, Le pronom eux dans comme eux devrait se rapporter au nom singulier pauvre, exprimé précédemment, et, dans ce cas, il faudrait y substituer le pronom lui. Mais par la disposition de la phrase et la liaison des idées, Racine, ainsi que les lecteurs, ont dans l'esprit l'idée générale de pauvres, et y font rapporter ce pronom. Cette disposition à tenir plus de compte du mouvement de la pensée que des exigences grammaticales de la phrase se montre dans nos meilleurs auteurs et y produit des anomalies, nonseulement dans les formes de l'accord, mais dans les rapports des mots entre eux. Exemples de syllepse: Je le tiens, ce nid de fauvettes, Le voyageur, qu'arrête un obstacle liquide, S'abandonner aux mers, sur la foi de leurs voiles. L. RACINE. Et son âme (de saint Louis) s'envola dans le saint temple qu'il était digne d'ha biter. CHATEAUBRIAND, Le bruit lointain des chars gémissant sous leur poids. LAMARTINE. |