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si rude aux riches, si fâcheuse aux puissants et aux heureux de ce monde, comment ne l'aimeraient-ils pas ? Elle n'a que des bénédictions pour eux. Lisez donc l'Evangile en villageois et en enfant, si vous voulez n'y pas rencontrer de pierre de scandale1. Tout s'y éclairera d'une incomparable lumière. La simplicité du cœur, la droiture de l'esprit ne sont pas attachées à la condition; et la bénédiction de Jésus-Christ sera aussi pour vous: Je vous bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux savants, et que vous les avez révélées aux simples!

12. Contre la mollesse.

DE SACY.

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La mollesse est une langueur de l'âme, qui l'engourdit, et qui lui ôte toute vie pour le bien, mais c'est une langueur traîtresse, qui la passionne secrètement pour le mal, et qui cache sous la cendre un feu toujours prêt à tout embraser. Il faut donc une foi mâle et vigoureuse, qui gourmande cette mollesse sans l'écouter jamais. Sitôt qu'on l'écoute et qu'on marchande avec elle, tout est perdu. Elle fait même autant de mal selon le monde que selon Dieu. Un homme mou et amusé ne peut jamais être qu'un pauvre homme; et s'il se trouve dans de grandes places, il n'y sera que pour se déshonorer. La mollesse ôte à l'homme tout ce qui peut faire les qualités éclatantes. Un homme mou n'est pas un homme, c'est une demi-femme. L'amour de ses commodités l'entraîne toujours malgré ses plus grands intérêts. Il ne saurait cultiver ses talents, ni acquérir les connaissances nécessaires dans sa profession, ni s'assujettir de suite au travail dans les fonctions pénibles, ni se contraindre longtemps pour s'accommoder au goût et à l'humeur d'autrui, ni s'appliquer courageusement à se corriger.

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1. Locution biblique. C'est-à-dire de pensée qui heurte et fatigue votre esprit comme la pierre heurte et fatigue le pied qui la rencontre.

2. L'âme, engourdie pour le bien, n'en est que plus facilement entraînée vers le mal.

3. C'est-à-dire qui excite, qui stimule, qui corrige.

4. Marchande. Expression métaphorique empruntée au langage du commerce. Elle signifie qu'on entre en pourparler, en composition, qu'on fait des avances ou des concessions.

5. "Aux yeux du monde, pour les choses du monde. »

6. Amusé. Remarquer le sens exceptionnel donné ici à ce participe passif : « qui est séduit par l'amusement. »

7. De suite. Avec suite, d'une manière assidue. »

8. S'accommoder. «Se prêter. » Remonter au radical de ce mot: mode, mesure,

C'est le paresseux de l'Écriture, qui veut et ne veut pas ; qui veut de loin ce qu'il faut vouloir, mais à qui les mains tombent de langueur, dès qu'il regarde le travail de près. Que faire d'un tel homme? Il n'est bon à rien. Les affaires l'ennuient, la lecture sérieuse le fatigue, le service d'armée 1 trouble ses plaisirs, l'assiduité même de la cour le gène. Il faudrait lui faire passer sa vie sur un lit de repos. Travaille-t-il, les moments lui paraissent des heures. S'amuse-t-il, les heures ne lui paraissent plus que des moments. Tout son temps lui échappe, il ne sait ce qu'il en fait; il le laisse couler comme l'eau sous les ponts. Demandez-lui ce qu'il a fait de sa matinée : il n'en sait rien, car il a vécu sans songer s'il vivait; il a dormi le plus tard qu'il a pu, s'est habillé fort lentement, a parlé au premier venu, a fait plusieurs tours dans sa chambre, a entendu nonchalamment2 la messe. Le dîner est venu l'après-dîner se passera comme le matin, et toute la vie comme cette journée. Encore une fois, un tel homme n'est bon à rien. Il ne faudrait que de l'orgueil, pour ne se pouvoir supporter soi-même dans un état si indigne d'un homme. Le seul honneur du monde suffit pour faire crever l'orgueil de dépit et de rage, quand on se voit si imbécile 4.

FÉNELON.

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FRANKLIN. Eh! oh! oh! mon Dieu! qu'ai-je fait pour mériter ces souffrances cruelles?

LA GOUTTE. Beaucoup de choses. Vous avez trop mangé, trop bu, et trop indulgé 5 vos jambes en leur indolence.

FRANKLIN. Qui est-ce qui me parle?

LA GOUTTE. C'est moi-même, la Goutte.
FRANKLIN. Mon ennemie en personne?
LA GOUTTE. Pas votre ennemie.

manière; s'accommoder, se montrer commode, facile, se prêter à la manière de voir d'autrui.

1. On dirait aujourd'hui: « Le service militaire. »

2. Nonchalamment. C'est comme s'il y avait « non chaudement. » Chaleur, nonchalance.

3. Honneur du monde. Le sentimeut qui nous rend nécessaire la considération du monde dans lequel on vit.

4. Imbécile. « Faible, incapable d'action. » Racine a dit : l'imbécile Ibrahim....... 5. Tour qui présente un air d'étrangeté, parce que ce verbe, qui est cependant fort expressif, et ne peut être remplacé que par une périphrase, est peu usité malgré sa valeur intrinsèque. Indulger, traiter avec trop de ménagement, de complaisance, d'où le nom indulgence et l'adjectif indulgent fréquemment employés.

FRANKLIN. Oui, mon ennemie; car non-seulement vous voulez me tuer le corps par vos tourments, mais vous tâchez aussi de détruire ma bonne réputation. Vous me représentez comme un gourmand et un ivrogne. Et tout le monde qui me connaît sait qu'on ne m'a jamais accusé, auparavant, d'être un homme qui mangeât trop, ou qui bût trop.

LA GOUTTE. Le monde peut juger comme il lui plaît. Il a toujours beaucoup de complaisance pour lui-même, et quelquefois pour ses amis. Mais je sais bien que ce qui n'est pas trop boire ni trop manger, pour un homme qui fait raisonnablement d'exercice, est trop pour un homme qui n'en fait point.

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FRANKLIN. Je prends, eh! eh! autant d'exercice,

eh!

que je puis, madame la Goutte. Vous connaissez mon état sédentaire, et il me semble qu'en conséquence vous pourriez, madame la Goutte, m'épargner un peu, considérant que ce n'est pas tout à fait ma faute.

LA GOUTTE. Point du tout. Votre rhétorique et votre politesse sont également perdues. Votre excuse ne vaut rien. Examinons votre cours de vie. Quand les matinées sont longues et que vous avez assez de temps pour vous promener, qu'est-ce que vous faites? Au lieu de gagner de l'appétit pour votre déjeuner par un exercice salutaire, vous vous amusez à lire des livres, des brochures, ou des gazettes, dont la plupart n'en valent pas la peine. Vous déjeunez néanmoins largement. Il ne vous faut pas moins de quatre tasses de thé à la crême, avec une ou deux tartines de pain et de beurre, couvertes de tranches de bœuf fumé, qui, je crois, ne sont pas les choses du monde les plus faciles à digéTout de suite vous vous placez à votre bureau; vous y écrivez, ou vous parlez aux gens qui viennent vous chercher pour affaire. Cela dure jusqu'à une heure après midi, sans le moindre exercice de corps. Tout cela, je vous le pardonne, parce que cela tient, comme vous dites, à votre état sédentaire. Mais après dîner, que faites-vous? Au lieu de vous promener dans les beaux jardins de vos amis chez lesquels vous avez dîné, comme font les gens sensés, vous voilà établi à l'échiquier, jouant aux échecs, où on peut vous trouver deux ou trois heures. C'est là votre récréation éternelle la récréation qui de toutes est la moins propre à un homme sédentaire, parce qu'au lieu d'accélérer le mouvement des fluides 1 ce jeu demande une attention si forte et si fixe, que

rer.

1. Fluides. Les humeurs du corps, » du radical fluer, couler, d'où fleuves, flots, affluent, effluves, etc. Remarquer cette racine onomatopée fl, désignant les mouvements et le bruit des corps légers et vaporeux comme ceux de l'air : souffle,

la circulation est retardée, et les sécrétions internes empêchées. Enveloppé dans les spéculations de ce misérable jeu, vous détruisez votre constitution. Que peut-on attendre d'une telle façon de vivre, sinon un corps plein d'humeurs stagnantes1 prêtes à se corrompre, un corps prêt à tomber en toutes sortes de maladies dangereuses, si moi, la Goutte, je ne viens pas de temps en temps à votre secours, pour agiter ces humeurs, et les purifier, ou les dissiper? Mais en continuant mes instructions, j'oubliais de vous donner vos corrections. Tenez, cet élancement, et celui-ci.

FRANKLIN. Oh! eh! oh! ohhh! Autant que vous voudrez de vos instructions, madame la Goutte, même de vos reproches ; mais, de grâce, plus de vos corrections.

LA GOUTTE. Tout au contraire; je ne vous rabattrai pas le quart d'une. Elles sont pour votre bien. Tenez.

FRANKLIN. Oh! ehhh! Ce n'est pas juste de dire que je ne prends aucun exercice. J'en fais souvent dans ma voiture, en sortant pour aller diner, et en revenant.

LA GOUTTE. C'est, de tous les exercices imaginables, le plus léger et le plus insignifiant, que celui qui est donné par le mouvement d'une voiture suspendue sur des ressorts. Ne vous flattez donc pas qu'en passant une demi-heure dans votre voiture, vous preniez de l'exercice. Dieu n'a pas donné des voitures à roues à tout le monde, mais il a donné à chacun deux jambes, qui sont des machines infiniment plus commodes. Soyez-en reconnaissant, et faites usage des vôtres.

FRANKLIN. Vous m'ennuyez, avec tant de raisonnements.

LA GOUTTE. Je le crois bien. Je me tais, et je continue mon office.

FRANKLIN. Oh! continuez de parler, je vous en prie.

LA GOUTTE. Non. J'ai un nombre d'élancements à vous donner cette nuit, et vous aurez le reste demain.

FRANKLIN. Mon Dieu ! la fièvre! je me perds! Eh! eh! n'y a-t-il personne qui puisse prendre cette peine pour moi?

LA GOUTTE. Demandez cela à vos chevaux; ils ont pris la peine de marcher pour vous.

siffler, gonfler, flûter; ceux de l'eau, fluer, flux, reflux, flotter; ceux du feu, flamme, flamber, conflagration.

1, Stagnantes. « Qui demeurent en place, qui ne coulent pas. » Formes de la famille: sta, station, statue, stable, stage; éla, état, étang, étable, établir.

2. Prendre. Mot détourné de son acception ordinaire dans ce tour de phrase. Il signifie ici supporter, souffrir cette peine.

FRANKLIN. Comment pouvez-vous être și cruelle, de me tourmenter tant pour rien?

LA GOUTTE. Pas pour rien. J'ai ici une liste de tous vos péchés contre votre santé, distinctement écrite, et je peux vous rendre raison de tous les coups que je vous donne.

FRANKLIN. Lisez-la donc.

LA GOUTTE. C'est trop long à lire. Je vous en donnerai le montant,

FRANKLIN. Faites-le. Je suis tout attention.

LA GOUTTE. Souvenez-vous combien de fois vous vous êtes proposé de vous promener, le matin suivant, dans le bois de Boulogne, dans le jardin de la Muette1 ou dans le vôtre, et que vous avez manqué de parole, alléguant quelquefois que le temps. était trop froid; d'autres fois, qu'il était trop chaud, trop venteux, trop humide, quand, en vérité, il n'y avait rien de trop qui empêchât, excepté votre trop de paresse.

FRANKLIN. Je confesse que cela peut arriver quelquefois, peutêtre pendant un an dix fois.

LA GOUTTE. Votre confession est bien imparfaite; le vrai montant est cent quatre-vingt-dix-neuf.

FRANKLIN. Est-il possible!

LA GOUTTE. Oui, c'est possible, parce que c'est un fait. Vous pouvez rester assuré de la justesse de mon compte. Vous connaissez les jardins de madame Brillon, vous connaissez le bel escalier de cent cinquante degrés qui mène de la terrasse en haut jusqu'à la plaine en bas. C'est une maxime de votre invention, qu'on peut avoir autant d'exercice en montant et en descendant un mille en escalier, qu'en marchant dix milles sur une plaine. Or, vous avez visité deux fois par semaine, dans les après-midi, cette aimable famille; quelle belle occasion vous avez eue de prendre tous les deux exercices ensemble! En avez-vous profité? et combien de fois?

FRANKLIN Je ne peux pas bien répondre à cette question.
LA GOUTTE, Je répondrai donc pour vous. Pas une fois,
FRANKLIN. Pas une fois!

LA GOUTTE. Pas une fois. Pendant tout le bel été passé, vous y êtes arrivé à six heures. Et qu'avez-vous fait? Vous vous êtes assis sur la terrasse, vous avez loué la belle vue; mais vous n'avez

1. La Muette. Nom d'une maison de campagne attenant au bois de Boulogne, près de Paris.

2. C'est-à-dire qui « fit empêchement. » Ce verbe ne s'emploie pas d'ordinairo dans le sens neutre.

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