Page images
PDF
EPUB

cette disposition, qui est adoptée dans la poésie épique et dans la tragédie. D'autres fois les rimes masculines et féminines sont entrelacées suivant un certain ordre, ou bien se suivent sans aucun ordre.

Dans la mesure du vers comme dans la disposition des rimes, le poëte n'est donc guidé que par le sentiment du rhythme et de la cadence, et la délicatesse de l'oreille.

La coupe des vers demande en général que la phrase finisse avec le vers, et qu'on ne rejette pas au vers suivant un mot nécessaire pour la terminer. C'est ce qu'on exprime en disant qu'un vers ne doit pas enjamber sur un autre vers. Mais cette règle de l'enjambement, comme celle de l'hémistiche, est loin d'être absolue, et ne doit pas être prise dans un sens trop rigoureux.

Les grands écrivains y échappent de la manière la plus heureuse, et parviennent, tout en restant fidèles au rhythme poétique, à éluder la monotonie fatigante de cette coupe uniforme du vers alexandrin, et à donner à leur phrase le mouvement même des images et des sentiments qu'ils veulent peindre.

Il faut donc bien se garder, quand on lit ou qu'on récite des vers, de faire sentir avec une régularité monotone le repos de l'hémistiche, et de se conformer d'une manière servile aux lois de l'enjambement et de la césure. Ce qu'il faut consulter avant tout, c'est la coupe et le mouvement de la phrase, les besoins du sens, les indications du sentiment et de la pensée, les besoins de la prononciation et de l'oreille.

Pour donner une idée de la manière dont les poëtes savent varier la coupe des vers, tout en restant fidèles aux lois de l'hémistiche et de l'enjambement, nous transcrirons ici, avec l'indication des poses à observer, quelques vers empruntés à un des morceaux qui vont suivre.

Ma foi sur l'avenir bien fou qui se fiera:

Tel qui rit vendredi

Un juge,

-

dimanche pleurera.
l'an passé, - me prit à son service;
Il m'avait fait venir d'Amiens- pour être suisse. -
Tous ces Normands voulaient se divertir de nous: -
On apprend à hurler, - dit l'autre, avec les loups.
Il murmure toujours certaines patenôtres
Où je ne comprends rien. - Il veut, bon gré, mal gré. —
Ne se coucher qu'en robe - et qu'en bonnet carré. -
Il fit couper la tête à son coq, de colère

[ocr errors]
[ocr errors]

qu'à l'ordinaire. dont l'affaire allait mal,

Pour l'avoir éveillé plus tard
Il disait qu'un plaideur
Avait graissé la patte

-

à ce pauvre animal.

[ocr errors]

[blocks in formation]

Jetons les yeux sur l'Église, c'est-à-dire sur cette société visible des enfants de Dieu qui a été conservée dans tous les temps: c'est le royaume qui n'aura pas de fin. Toutes les autres puissances s'élèvent et tombent : après avoir étonné le monde, elles disparaissent. L'Eglise seule, malgré les tempêtes du dehors et les scandales du dedans, demeure immortelle. Pour vaincre, elle ne fait que souffrir; et elle n'a pas d'autres armes que la croix. Considérons cette société sous Moïse, Pharaon la veut opprimer, les ténèbres deviennent palpables en Égypte1; la terre s'y couvre d'insectes; la mer s'entr'ouvre, ses eaux suspendues s'élèvent comme deux murs; tout un peuple traverse l'abîme à pied sec; un pain descendu du ciel le nourrit au désert; l'homme parle à la pierre, et elle donne des torrents? : tout est miracle pendant quarante années, pour délivrer l'Église captive...

Mais tournons nos regards vers l'Église, que Rome païenne, cette Babylone enivrée du sang des martyrs, s'efforce de détruire. L'Église demeure libre dans les chaînes, et invincible au milieu des tourments. Dieu laisse ruisseler, pendant trois cents ans, le sang de ses enfants bien-aimés. Pourquoi croyez-vous qu'il le fasse? C'est pour convaincre le monde entier, par une si longue et si terrible expérience, que l'Église, comme suspendue entre le ciel et la terre, n'a besoin que de la main invisible dont elle est soutenue. Jamais elle ne fut si libre, si forte, si florissante, si féconde.

Que sont devenus ces Romains qui la persécutaient? Ce peuple, qui se vantait d'être le peuple-roi, a été livré aux nations barbares; l'empire éternel est tombé; Rome est ensevelie dans ses ruines avec les faux dieux; il n'en reste plus de mémoire que par une autre Rome sortie de ses cendres, qui, étant pure et sainte, est devenue à jamais le centre du royaume de JésusChrist.

L'Église n'a garde d'ébranler les royaumes de la terre, elle qui tient dans ses mains les clefs du royaume du ciel. Elle ne désire rien de tout ce qui peut être vu; elle n'aspire qu'au royaume de son époux, qui est le sien. Elle est pauvre et jalouse du trésor de sa pauvreté; elle est paisible, et c'est elle qui donne une paix

1. Allusion aux plaies d'Égypte. Ténèbres palpables, c'est-à-dire si épaisses qu'elles peuvent être touchées, palpées. Métaphore hyperbolique d'une grande énergie.

2. Passage de la mer Rouge, manne tombée du ciel, rocher d'Horeb.

que le monde ne peut donner ni ôter; elle est patiente, et c'est par sa patience jusqu'à la mort de la croix qu'elle est invincible. Elle n'oublie jamais que son époux s'enfuit sur la montagne, dès qu'on voulut le faire roi; elle se ressouvient qu'elle doit avoir en commun avec son époux la nudité de la croix, puisqu'il est l'homme des douleurs, l'homme écrasé dans l'infirmité, l'homme rassasié d'opprobres1.

O Église romaine! ô cité sainte! ô chère et commune patrie de tous les vrais chrétiens! Il n'y a en Jésus-Christ ni Grec, ni Scythe, ni Barbare, ni Juif, ni Gentil. Tout est fait un seul peuple dans votre sein. Tous sont concitoyens de Rome, et tout catholique est Romain. La voilà cette grande tige qui a été plantée de la main de Jésus-Christ. Tout rameau qui en est détaché se flétrit, se dessèche et tombe. O mère! quiconque est enfant de Dieu est aussi le vôtre.

2.- Le Presbytère

Une cour le précède, enclose d'une haie
Que ferme sans serrure une porte de claie.

FENELON.

Des poules, des pigeons, deux chèvres, et mon chien,
Portier d'un seuil ouvert et qui n'y garde rien,
Qui jamais ne repousse et qui jamais n'aboie,
Mais qui flaire le pauvre et l'accueille avec joie;
Des passereaux montant et descendant du toit,
L'hirondelle rasant l'auge où le cygne boit,
Tous ces hôtes, amis du seuil qui les rassemble,
Famille de l'ermite, y sont en paix ensemble;
Les uns couchés à l'ombre en un coin du gazon,
D'autres se réchauffant contre un mur au rayon 2;
Ceux-ci léchant le sel le long de la muraille,
Et ceux-là becquetant ailleurs l'herbe ou la paille...
Trois ruches au midi sous leurs tuiles; et puis
Dans l'angle sous un arbre, au nord, un large puits
Dont la chaîne rouillée a poli la margelle3,
Et qu'une vigne étreint de sa verte dentelle :
Voilà tout le tableau. Sept marches d'escalier"

1. Expressions des prophètes.

2. Licence. On dit aux rayons du soleil.

3. Margelle, L'assise de pierres qui forme le rebord du puits. Racine, marge. 4. Étreint. « Embrasse en la serrant. » Étreindre, famille déjà vue, de étroit, strict, etc.

5. Escalier. Radical scale (degré, échelle), escale, escalade, scander.

Sonore, chancelant, conduisent au palier
Qu'un avant-toit défend du vent et de la neige,
Et que de ses réseaux un vieux lierre protége;
Là, suspendus le jour au clou de mon foyer,
Mes oiseaux familiers chantent pour m'égayer...
Entrez, ne plaignez pas ma riche pauvreté;
Ces murs ne sentent pas leur froide nudité!
Des travaux journaliers voilà d'abord l'asile
Où le feu du foyer s'allume, où Marthe file;
Marthe, meuble vivant de la sainte maison,
Qui suivit dans le temps son vieux maître en prison',
Pauvre fille, à ces murs trente ans enracinée,
Partageant leur prospère ou triste destinée,
Me servant sans salaire et pour l'honneur de Dieu,
Surveillant à la fois la cure et le saint lieu,
Et qui voyant de Dieu l'image dans son maître,
Croit s'approcher du ciel en vivant près du prêtre !
Quelques vases de terre, ou de bois, ou d'étain,
Où de Marthe attentive on voit briller la main 2;
Sur la table, un pain noir sous une nappe blanche
Dont chaque mendiant vient dîmer 3 une tranche;
Des grappes de raisin, que Marthe fait sécher,
De leur pampre encor vert décorent le plancher;
La séve en hiver même y jaunit leurs grains d'ambre 4.
De ce salon rustique on passe dans ma chambre;
C'est celle dont le mur s'éclaire du couchant.....

La chaise où je m'assieds, la natte où je me couche,
La table où je t'écris, l'âtre où fume une souche,
Mon bréviaire vêtu de sa robe de peau 5,

Mes gros souliers ferrés, mon bâton, mon chapeau,
Mes livres pèle-mêle entassés sur leur planche,
Et les fleurs dont l'autel se pare le dimanche,

1. Au temps de la Terreur, où les prêtres furent violemment persécutés. 2. Ces deux vers charmants présentent un exemple de cette figure, qui consiste à moins consulter, dans la construction, l'ordre de la syntaxe, que la liaison ou l'association des idées dans l'esprit. Ce n'est pas la main de Marthe qui brille, ce sont les vases qui brillent et qui, par leur éclat, révèlent la main attentive de Marthe. Cette espèce de confusion, que la logique rigoureuse condamne, ne nuit en rien à la justesse de l'image et à la clarté de la pensée.

3. Dimer. Au sens propre, lever la dime, le dixième. Il est verbe neutre. 4. Qui deviennent jaunes comme l'ambre. » Ambre ou succin, résine fossile qui se trouve sur le littoral de la Baltique.

5. Enveloppe de peau que les ecclésiastiques mettent souvent à leur bréviaire pour en ménager la reliure.

De cet espace étroit sont tout l'ameublement.
Tout! oh non! j'oubliais son divin ornement,
Qui surmonte tout seul mon humble cheminée,
Ce christ, les bras ouverts et la tête inclinée,
Cette image de bois du maître que je sers,
Céleste ami, qui seul me peuple ces déserts,
Qui, lorsque mon regard le visite à toute heure,
Me dit ce que j'attends dans cette âpre demeure,
Et, recevant souvent mes larmes sur ses pieds,
Fait resplendir sa paix dans mes yeux essuyés.

3.

-

LAMARTINE.

- La Journée du curé de village.

La cloche avant le jour m'arrache de mon lit ;
Je crois entendre, au son de sa voix balancée,
L'ange qui du sommeil appelle ma pensée,
Et lui donne à porter son fardeau pour le jour,
Je convoque à l'autel les maisons d'alentour 1:
Des vieillards, des enfants, quelques pieuses femmes,
Ceux qui sentent de Dieu plus de soif dans leurs âmes,
D'un cercle rétréci m'entourent à genoux ;

Le Dieu de l'humble foi descend du ciel sur nous.
Du maître en peu de mots j'explique la parole ;
Ce peuple du sillon2 aime la parabole,
Poëme évangélique, où chaque vérité
Se fait image et chair par sa simplicité3,
Lorsque j'ai célébré le pieux sacrifice,

J'enseigne les enfants, je me fais leur nourrice;
Je donne goutte à goutte à leurs lèvres le lait
D'une instruction simple et tendre, et qui leur plaît.
Je rentre; et, du matin la tâche terminée,
A ma table, de fruits et de lait couronnée,
Je m'assieds un moment, comme le voyageur
Qui s'arrête à moitié du jour et reprend cœur.
Le reste du soleil, dans mes champs je le passe
A ces travaux du corps dont l'esprit se délasse:

1. Métonymie qu'explique et que justifie le vers suivant.

2. Métonymie un peu hardie pour « les laboureurs. »

3. Se fait image et chair. Métaphore énergique, c'est-à-dire que la vérité est représentée par des images si saisissantes et si vivantes, qu'elle semble prendre une figure et un corps apparent aux regards,

4. Du soleil, c'est-à-dire « du jour. »

« PreviousContinue »