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41.

· Établissement et conquêtes du christianisme.

Jésus-Christ naît, et la face du monde se renouvelle. La loi de Moïse, ses miracles, ceux des prophètes, n'avaient pu servir de digue contre le torrent de l'idolâtrie, et1 conserver le culte du vrai Dieu chez un seul peuple resserré dans un coin du monde; mais Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tout: à Jésus est réservé de posséder toutes les nations en héritage. Il les possède, vous le voyez. Depuis qu'il a été élevé sur la croix, il a attiré tout à lui. Dès l'origine du christianisme, saint Irénée et Tertullien ont montré que l'Église était déjà plus étendue que cet empire même, qui se vantait d'être lui seul tout l'univers. Les régions sauvages et inaccessibles du Nord, que le soleil éclaire à peine, ont vu la lumière céleste. Les plages brûlantes d'Afrique ont été inondées des torrents de la grâce. Les empereurs mêmes sont devenus les adorateurs du nom qu'ils blasphémaient et les nourriciers de l'Église dont ils, versaient le sang. Mais la vertu de l'Évangile ne doit pas s'éteindre après ces premiers efforts; le temps ne peut rien contre elle: Jésus-Christ, qui en est la source, est de tous les temps; il était hier, il est aujourd'hui, et il sera aux siècles des siècles. Aussi vois-je cette fécondité qui se renouvelle toujours; la vertu de la croix ne cesse d'attirer tout à elle.

Regardez ces peuples barbares qui firent tomber l'empire romain. Dieu les a multipliés et tenus en réserve sous un ciel glacé, pour punir Rome païenne et enivrée du sang des martyrs: il leur lâche la bride, et le monde en est inondé. Mais en renversant cet empire, ils se soumettent à celui du Sauveur : tout ensemble ministres des vengeances et objets des miséricordes, sans le savoir, ils sont menés, comme par la main, au-devant de l'Évangile; et c'est d'eux qu'on peut dire à la lettre, qu'ils ont trouvé le Dieu qu'ils ne cherchaient pas.

Combien voyons-nous encore de peuples que l'Église a enfantés à Jésus-Christ depuis le huitième siècle, dans ces temps mêmes les plus malheureux, où ses enfants, révoltés contre elle, n'ont point de honte de lui reprocher qu'elle a été stérile, et répudiée par son époux! Vers le dixième siècle, dans ce siècle dont on exagère un peu trop les malheurs, accourent en foule à l'Église, les uns sur les autres, l'Allemand, le loup ravissant devenu agneau, le Polonais, le Poméranien, le Bohémien, le Hongrois, conduit aux pieds des apôtres par son premier roi saint

1. Remarquer ici l'emploi de et au lieu de ni, en infraction aux règles formulées trop absolument par la grammaire.

11 FARTIE,

9

Étienne. Non, non, vous le voyez, la source des bénédictions célestes ne tarit point.

Mais que vois-je depuis deux siècles? Des régions immenses qui s'ouvrent tout à coup; un nouveau monde inconnu à l'ancien, et plus grand que lui. Gardez-vous bien de croire qu'une si prodigieuse découverte ne soit due qu'à l'audace des hommes. Dieu ne donne aux passions humaines, lors même qu'elles semblent décider de tout, que ce qu'il leur faut pour être les instruments de ses desseins ainsi l'homme s'agite, mais Dieu le mène. La foi plantée dans l'Amérique parmi tant d'orages ne cesse pas d'y porter des fruits.

Que reste-t-il? peuples des extrémités de l'Orient, votre heure est venue. Alexandre, le conquérant rapide, que Daniel dépeint comme ne touchant pas la terre de ses pieds, lui qui fut si jaloux de subjuguer le monde entier, s'arrête bien loin en deçà de vous: mais la charité va plus loin que l'orgueil. Ni les sables brûlants, ni les déserts, ni les montagnes, ni la distance des lieux, ni les tempêtes, ni les écueils de tant de mers, ni l'intempérie de l'air, ni le milieu fatal de la ligne, où l'on découvre un ciel nouveau, ni les flottes ennemies, ni les côtes barbares, ne peuvent arrêter ceux que Dieu envoie. Qui sont ceux-ci qui volent comme les nuées? Vents, portez-les sur vos ailes. Que le Midi, que l'Orient, que les îles inconnues les attendent, et les regardent en silence venir de loin. Qu'ils sont beaux les pieds de ces hommes qu'on voit venir du haut des montagnes, apporter la paix, annoncer les biens éternels, prêcher le salut, et dire : « O Sion! ton Dieu régnera sur toi!» Les voici ces nouveaux conquérants, qui viennent sans armes, excepté la croix du Sauveur. Ils viennent, non pour enlever les richesses et répandre le sang des vaincus, mais pour offrir leur propre sang et communiquer le trésor céleste.

Peuples qui les vîtes venir, quelle fut d'abord votre surprise, et qui peut la représenter? Des hommes qui viennent à vous, sans être attirés par aucun motif, ni de commerce, ni d'ambition, ni de curiosité; des hommes qui, sans vous avoir jamais vus, sans savoir même où vous êtes, vous aiment tendrement, quittent tout pour vous, et vous cherchent au travers de toutes les mers avec tant de fatigues et de périls, pour vous faire part de la vie éternelle qu'ils ont découverte ! Nations ensevelies dans l'ombre de la mort, quelle lumière sur vos têtes!

FENELON.

ET

DES FORMES PARTICULIÈRES A LA POÉSIE

DES RÈGLES DE LA VERSIFICATION FRANÇAISE.

La poésie se distingue de la prose de deux manières :

1° Par la nature des idées et des sentiments dont elle est l'interprète, et par le caractère particulier du langage dans lequel on les exprime;

2° Par la forme matérielle qu'elle donne à ce langage et que déterminent les règles de la versification.

La connaissance de ces règles aide à mieux se rendre compte des difficultés et du mérite de la poésie, à mieux en sentir l'harmonie et les beautés, à mieux en interpréter, quand on la récite, les intentions et les effets.

Il est donc utile, pour lire et étudier avec plus de fruit les ouvrages des poëtes, de connaître les règles générales de la versification.

Ces règles sont relatives:

4o A la consonnance des syllabes qui terminent chaque vers : c'est ce qu'on appelle la rime;

2° Au nombre, à l'arrangement, à la coupe des mots et des syllabes qui constituent le vers, et à l'arrangement des vers entre eux : c'est ce qu'on appelle le rhythme.

1° Règles relatives à la rime.

La rime n'est autre chose que la ressemblance exacte des sons qui terminent les mots, c'est-à-dire qui en forment les dernières syllabes.

On distingue deux sortes de rimes. Les rimes masculines et les rimes féminines.

La rime masculine résulte de l'identité de son dans les syllabes formées par une voyelle autre que l'e muet :

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Ex. Le compas, le trépas, l'auteur, la hauteur, les bateaux, les rateaux.

Lorsque, comme dans ces exemples, toutes les lettres de la dernière syllabe sont semblables, on dit que la rime est riche.

Elle est seulement suffisante, soit quand la consonne qui commence la syllabe n'est pas la même dans les deux mots, soit

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quand la voyelle, bien qu'ayant le même son, ne s'écrit pas avec les mêmes lettres, soit enfin lorsque les consonnes muettes qui se trouvent après la voyelle ne sont pas semblables. Ex.: le soldat, le combat, toujours, discours, la main, le sein, austère, volontaire, les efforts, les bords, etc. Lorsque la dernière syllabe d'un mot est féminine, c'est-àdire quand elle est formée par un e muet, la rime se constitue alors par la ressemblance de son dans les deux dernières syllabes, et non plus seulement dans la dernière. Ainsi rive ne rimerait pas avec rêve, riche avec arche, etc. Mais rive forme rime avec prive, rève avec sève, riche avec niche, creche avec bêche, etc. Il faut donc pour les syllabes féminines conformité de son dans l'avant-dernière et la dernière syllabe des mots.

Bien que l'on trouve souvent des consonnes muettes différentes à la fin des rimes, l'usage ne permet pas qu'on fasse rimer un singulier avec un pluriel quand les deux mots ne finissent pas par une même lettre. Ainsi, on peut faire rimer le repos avec les impôts, les tributs avec l'abus, mais on ne pourrait faire rimer l'enfant avec les méchants, l'impôt avec les dépôts

2o Règles relatives au rhythme.

Les règles relatives au rhythme s'appliquent : 1o Au nombre des syllabes;

2o A leur arrangement et à leur coupe;

3o A la succession et à l'arrangement des vers.

4° Les vers les plus longs sont composés de douze syllabes quand la rime est masculine, de treize quand la rime est féminine.

Oui, c'est un Dieu caché que le Dieu qu'il faut croire;
Mais tout caché qu'il est, pour révéler sa gloire
Quels témoins éclatants devant moi rassemblés!
Répondez, cieux et mer, et vous, terre, parlez.

Ces vers se nomment vers alexandrins.

Dans le vers alexandrin, la sixième syllabe doit toujours so trouver à la fin d'un mot après lequel le sens de la phrase autorise une légère pause: c'est ce qu'on appelle la césure.

La césure, dans l'alexandrin, partage donc le vers en deux parties égales qu'on nomme hémistiches.

La césure ne peut tomber sur une syllabe muette, par conséquent on ne peut finir l'hémistiche initial par un mot que termine une syllabe formée par un e muet, à moins que l'e ne soit élidé.

Après les vers alexandrins viennent les vers de dix syllabes.

Dans ces vers, la césure est placée à la quatrième syllabe, et le vers se trouve ainsi partagé inégalement. Ex.:

Lorsqu'il sentit les paniers sur son dos,

Ho! ho! dit-il, voici de lourds fardeaux.

Les vers qui ont moins de dix syllabes ne sont pas soumis à la césure. On comprend, en effet, que le petit nombre de syllabes dont ils se composent n'exige pas le repos dont la prononciation a besoin dans les vers plus longs de dix et douze syllabes.

On n'est donc pas astreint à la césure dans les vers de neuf, de huit, de sept, de six syllabes, et à plus forte raison encore dans ceux de cinq et de quatre.

Quelquefois les vers de même mesure se suivent uniformément; d'autres fois, ils sont disposés en stances ou strophes régulières, comme les couplets d'une chanson. Souvent au contraire les vers de différente mesure s'entremêlent dans un même morceau.

2° L'arrangement et la rencontre des syllabes donnent lieu à deux règles principales, l'hiatus et l'élision. Toute voyelle autre que l'e muet, lorsqu'elle est suivie d'un mot commençant par une voyelle, donne lieu à un hiatus, et l'hiatus est banni de la versification.

Il n'y a d'exception que pour les voyelles nasales, dont l'usage autorise la rencontre avec une autre voyelle, et pour les voyelles précédées de l'h aspiré, bien que la susceptibilité de l'oreille soit blessée de cette rencontre.

Gardez qu'une voyelle à courir trop hâtée

Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.

L'e muet qui termine un mot s'élide ou se retranche dans la prononciation, quand le mot suivant commence par une voyelle. Est-il besoin d'ajouter que l'élision ne peut avoir lieu devant un h aspiré.

Par suite de l'élision, il arrive souvent que la césure tombe, non sur la dernière, mais sur l'avant-dernière syllabe d'un mot, parce que la dernière disparaît par l'élision.

Quel bras peut vous suspendre, innombrables étoiles!

J'y reconnais un maître à qui rien n'a coûté.

3o Les vers alexandrins sont ordinairement disposés de manière à présenter deux rimes masculines et deux rimes féminines se suivant alternativement. Le premier morceau du recueil offre

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