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de traverser un lac vaste et profond, où leur limon se dépose, et d'où elles ressortent limpides. Mais les fleuves inférieurs, et tous les ruisseaux qui naissent des montagnes plus basses ou des collines, produisent aussi, dans les terrains qu'ils parcourent, des effets plus ou moins analogues à ceux des torrents des hautes montagnes. Lorsqu'ils sont gonflés par de grandes pluies, ils attaquent le pied des collines terreuses ou sableuses qu'ils rencontrent dans leur cours, et en portent les débris sur les terrains bas qu'ils inondent, et que chaque inondation élève d'une quantité quelconque; enfin, lorsque les fleuves arrivent aux grands lacs ou à la mer, et que cette rapidité, qui entraîne les parcelles de limon, vient à cesser tout à fait, ces parcelles se déposent aux côtés de l'embouchure; elles finissent par y former des terrains qui prolongent la côte; et, si cette côte est telle que la mer y jette de son côté du sable et contribue à cet accroissement, il se crée ainsi des provinces, des royaumes entiers, ordinairement les plus fertiles et bientôt les plus riches du monde, si les gouvernements laissent l'industrie s'y exercer en paix.

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CUVIER.

Comment s'est créé le sol de la Hollande.

Allez en Hollande, et voyez ces vertes et grasses prairies couvertes de belles génisses; vous vous tromperiez étrangement si vous supposiez que c'est la nature qui a produit ce sol si frais, si riche. Enfoncez en terre un bâton, et à trois ou quatre pouces vous rencontrerez un sable stérile. Cette herbe épaisse qui se convertit en lait, puis en fromage, et qui, sous cette forme, circule dans le monde entier, est produite par un terreau de création purement artificielle. Au moyen d'une digue formée de branches de saules, on a séquestré une portion du sable de la mer; avec le temps, la vase amoncelée par le flux et le reflux a consolidé cette digue. Après avoir soustrait ce sable à l'eau de mer, on ne l'a rendu accessible qu'à l'eau du ciel ou des rivières, et on l'a ainsi dessalé peu à peu. L'herbe y a poussé, pas trèssucculente d'abord, et plus près de la nature du jonc que de celle des graminées. On y a mis des vaches, on a laissé s'y accumuler leur engrais fécondant, et on a fini par créer un sol artificiel d'une fertilité extrême.

THIERS.

1. Sableuses, terreuses. Pour mettre en évidence le rôle des désinences, rapprocher de ces mots les adjectifs de la même famille, terrestres, sablonneuses, sablées, et faire ressortir les différences de sens.

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Dès que le soleil, parvenu au signe du bélier, a donné le signal du printemps à notre hémisphère, le vent pluvieux et chaud du sud part de l'Afrique, soulève les mers, fait déborder les fleuves, qui engraissent de leur limon les champs voisins, et renverse, dans les forêts, les vieux arbres, les troncs desséchés, et tout ce qui présente quelque obstacle à la végétation future. Il fond les neiges qui couvrent nos campagnes, et, s'avançant jusque sous le pôle, il brise et dissout les masses énormes de glace que l'hiver y avait accumulées. Quand cette révolution, connue par toute la terre sous le nom du coup de vent de l'équinoxe, est arrivée au mois de mars, le soleil tourne nuit et jour autour du pôle, sans qu'il y ait un seul point dans tout l'hémisphère septentrional qui échappe à sa chaleur.

A chaque parallèle1 qu'il décrit dans les cieux, une ceinture de plantes nouvelles éclot autour du globe. Chacune d'elles paraît successivement au poste et au jour qui lui sont assignés; elle reçoit à la fois la lumière dans ses fleurs et la rosée du ciel dans son feuillage. A mesure qu'elle prend de l'accroissement, les diverses tribus d'insectes qu'elle nourrit se développent aussi. C'est à cette époque que chaque espèce d'oiseaux se rend à l'espèce de plante qui lui est connue, pour y faire son nid et y nourrir ses petits de la proie animale qu'elle lui présente, au défaut des semences qu'elle n'a pas encore produites. On voit bientôt accourir des oiseaux voyageurs, qui viennent en prendre aussi leur part. D'abord l'hirondelle vient en préserver nos maisons, en bâtissant son lit à l'entour. Les cailles quittent l'Afrique, et, rasant les flots de la Méditerranée, elles se répandent par troupes innombrables dans les vastes prairies de l'Ukraine. Les francolins2 remontent au nord jusque dans la Laponie. Les canards, les oies sauvages, les cygnes argentés, formant dans les airs de longs triangles, s'avancent jusque dans les îles voisines du pôle. La cigogne, jadis adorée dans l'Égypte, qu'elle abandonne, traverse l'Europe, et s'arrête çà et là jusque dans les villes, sur les toits de l'Allemagne hospitalière.

Tous ces oiseaux nourrissent leurs petits des insectes et des

1. A partir de l'équinoxe du printemps, le soleil paraît décrire chaque jour un cercle de plus en plus élevé au-dessus de l'horizon. Ces cercles sont toujours parallèles entre eux, de là l'expression de parallèles qu'ils conservent.

2. Francolins. Oiseaux voisins des perdrix; ils tirent leur nom de l'espèce à collier roux qui se trouve en France.

reptiles que les herbes nouvelles font éclore'. C'est alors que les poissons quittent en foule les abîmes septentrionaux de l'océan, attirés aux embouchures des fleuves par des nuées d'insectes qui sont entraînés dans leurs eaux, ou qui éclosent le long de leurs rivages. Ils remontent en flotte contre leurs cours, et s'avancent en bondissant jusqu'à leurs sources; d'autres se laissent entraîner au courant général de l'océan Atlantique, et apparaissent comme des carènes de vaisseaux sur les côtes du Brésil et sur celles de la Guinée.

Les quadrupèdes mêmes entreprennent alors de longs voyages, Les uns vont du midi au nord avec le soleil, d'autres d'orient en occident. Il y en a qui côtoient les âpres chaînes des montagnes; d'autres suivent le cours des fleuves qui n'ont jamais été navigués; de longues colonnes de bœufs pâturent en Amérique le long des bords du Mississipi, qu'ils font retentir de leurs mugissements. Des escadrons nombreux de chevaux traversent les fleuves et les déserts de la Tartarie, et des brebis sauvages errent en bêlant au milieu de ces vastes solitudes. Ces troupeaux n'ont ni pâtres ni bergers qui les guident dans les déserts, au son des chalumeaux; mais le développement des herbes qui leur sont connues déterminent les moments de leurs départs et de leurs courses. C'est alors que chaque animal habite son site naturel, et se repose à l'ombre du végétal de ses pères; c'est alors que les chaînes de l'harmonie se resserrent, et que, tout étant animé par des consonnances ou par des contrastes, les airs, les eaux, les forêts et les rochers semblent avoir des voix, des passions et des

murmures.

17.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.

Le réveil des insectes, au printemps, dans les Alpes. Pendant l'hiver, au mois de janvier, à une altitude3 de quatre mille pieds, les insectes disparaissent presque tous; ce n'est qu'avec peine qu'on découvre, sur la couche de neige durcie, quelque araignée transie. Au printemps, la scène change comme par enchantement; le premier souffle du föhn rappelle à la vie une multitude d'insectes qui avaient passé l'hiver endormis, soit à l'état parfait, soit à l'état de chrysalide. Chaque jour de föhn 1. Les insectes et les reptiles naissent avec les herbes nouvelles, mais ce ne sont pas ces herbes qui les font éclore, Expression impropre.

2. Ce verbe, intransitif de sa nature, ne s'emploie pas ordinairement au passif. 3. Altitude. «Hauteur. » Remarquer cette double forme de racine: Haut, hauteur, hautain, hausser, exhausser; alt, altitude, altesse, exalter, etc.

4. Föhn. C'est le nom allemand du « vent du midi .

en augmente le nombre, de sorte qu'au bout d'une chaude semaine de printemps des myriades1 d'insectes tourbillonnent partout dans l'air. Au pied des montagnes, les différentes familles apparaissent successivement, tandis que dans les hautes régions, où l'été est très court, c'est tous ensemble que renais→ sent les insectes.

Pour se faire une idée de leur nombre immense, il suffit d'observer un instant les joyeux essaims de ces baladins aériens et de ces élégants acrobates". Partout ils s'agitent. Des punaises bondissent à la surface des mares et plongent dans les flaques d'eau, ou courent, ornées de leurs brillantes élytres3, au milieu des pierres. Des milliers de pucerons couvrent les feuilles et les chaumes. Les prairies fourmillent de joyeuses sauterelles et de petites cigales sautillantes; le fourmillon épie, du fond de son entonnoir, l'insecte qui passe, et le couvre d'un jet de sable; les cigales se balancent aux tiges flexibles; les prairies et les coteaux retentissent du bruit strident que les grillons et les criquets produisent en frottant leurs élytres. Des millions de mouches, de cousins et de taons, tourbillonnent dans l'air et s'attroupent au-dessus des fleurs et des buissons. Près des ruisseaux, les libellules aux yeux énormes passent et repassent en bruissant dans leur vol égaré, tandis que, plus légères, les demoiselles aux ailes bleu d'acier se posent sur les plantes aquatiques.

C'est par essaims que des abeilles et des guêpes de toute espèce sortent des fentes du terrain, de dessous les pierres, des fissures des planches qui garnissent les huttes et les étables; d'autres se dégagent des vieux troncs pourris ou des rugosités de l'écorce des arbres, et à peine sont-elles délivrées que déjà elles se livrent des combats acharrés, dans lesquels se distinguent les guêpes ichneumones et les espèces qui déposent leurs œufs dans le corps d'autres insectes. Des bourdons de toute espèce traversent en tous sens les forêts et les monts, à la recherche du suc des fleurs récemment épanouies. Les guêpes et les frelons poursuivent leur proie de leur dangereux aiguillon; les fourmis construisent leurs demeures, en transportent les matériaux, et courent sans s'arrêter le long de leurs petits sentiers ou de leurs grandes routes militaires. D'innombrables scarabées montent aux 1. Myriades. Milliers. » On retrouve ce mot dans myriamètres, etc.

2. Acrobates. Qui marchent sur une pointe, un endroit étroit, élevé, « danseurs de corde ".

3. Élytres. Enveloppe supérieure des ailes des insectes. Ces ailes sont mises à l'abri sous les élytres, plus dures et plus résistantes, comme sous un bouclier ou une cuirasse qui les protége.

1

arbres, courent à terre sous les buissons et les pierres, se rassemblent autour des animaux morts ou dans les excréments des vaches, nagent dans les étangs, les ruisseaux et les mares, ou traversent l'espace de leur vol pesant. Fleurs vivantes, des papillons aux mille couleurs, les plus charmants entre tous les insectes, voltigent de calice en calice, se balancent en planant au-dessus des lacs et des prairies, tournoient autour des rochers et des arbres, et animent encore le crépuscule.

18.

TSCHUDI (traduit de).

Développement de la végétation printanière
dans les champs et les bois.

Dans nos climats tempérés, on voit se développer dès les premiers jours d'avril, au milieu des sombres forêts, les réseaux de la pervenche et ceux de l'anémone, qui recouvrent d'un long tapis vert et lustré les mousses et les feuilles desséchées par l'année précédente. Cependant, à l'orée1 des bois, on voit déjà fleurir les primevères, les violettes et les marguerites, qui bientôt disparaissent en partie pour faire place, en mai, à l'hyacinthe bleue, à la croisette jaune qui sent le miel, au muguet parfumé, au genêt doré, au bassinet doré et vernissé, et aux trèfles rouge et blanc, si bien alliés aux graminées. Bientôt les orties blanches et jaunes, les fleurs du fraisier, celles du sceau de Salomon, sont remplacées par les coquelicots et les bluets, qui éclosent dans des oppositions ravissantes; les églantiers épanouissent leurs guirlandes fraîches et variées, les fraises se colorent, les chèvrefeuilles parfument les airs; on voit ensuite les vipérines d'un bleu pourpré, les bouillons blancs avec leurs longues quenouilles de fleurs soufrées et odorantes, les scabieuses battues des vents, les ansérines, les champignons et les asclépias, qui restent bien avant dans l'hiver, où végètent des mousses de la plus tendre verdure.

Toutes ces fleurs paraissent successivement sur la même scène. Le gazon, dont la couleur est uniforme, sert de fond à ce riche tableau. Quand ces plantes ont fleuri et donné leurs graines, la plupart s'enfoncent et se cachent, pour renaître avec d'autres printemps. Il y en a qui durent toute l'année, comme la paquerette et le pissenlit; d'autres s'épanouissent pendant cinq jours, après lesquels elles disparaissent entièrement: ce sont les éphémères de la végétation.

1. Orée. Vieux mot plein de grâce. "Bord, commencement, lisière. » Même famille que Orient, exorde, origine, orifice, etc.

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