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J'ai devancé sur la montagne
Les premiers rayons du soleil.

S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sous l'aubépine en fleurs;
Sa mère lui portait la douce nourriture;
Mes yeux se sont mouillés de pleurs.
Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère?

Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau,
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau?
Rien ne m'appartient sur la terre;

Je n'eus pas même de berceau;
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre 1
Près de l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,
De leurs embrassements j'ignore la douceur;
Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur sœur!
Je ne partage pas les jeux de la veillée;
Jamais sous son toit de feuillée 2

Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir,
Et de loin je vois sa famille,

Autour du sarment' qui petille,
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière 3

En pleurant j'adresse mes pas :
La seule demeure, ici-bas,

Où je ne sois point étrangère,
La seule devant moi qui ne se ferme pas.
Souvent aussi mes pas errants

Parcourent des tombeaux l'asile solitaire'.
Mais

pour moi les tombeaux sont tous indifférents 3 ;

1. Les enfants que leurs parents refusent d'élever ou de reconnaître sont aban donnés le plus souvent à la porte des églises ou des maisons de charité.

2. Toit de feuillée. Couvert de feuilles ou de chaume. Du sarment qui pelille. Rameaux coupés à la vigne et qui donnent l'hiver, dans le foyer, un feu clair et petillant. Adjectif: sarmenteux.

3. Hospitalière. Qui donne l'hospitalité, où l'on reçoit l'hospitalité, où l'on est accueilli comme un hôte. Mots de la même famille: hospitalier, hospitalité, hospice, hôte, hôtel, hôpital.

4. Périphrase pour désigner le cimetière.

5. Indifférents. N'attirent pas plus mon attention l'un que l'autre, car les personnes dont les corps y reposent m'étaient également inconnues ou indifférentes.

La pauvre fille est sans parents

Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre.

13.

SOUMET.

Comme il faut s'aimer entre frères.

En ce temps-là il n'y avait pas des forgerons par toute la terre; et les marchands de Madian' passaient avec leurs chameaux 2, portant des épices, de la myrrhe, du baume et des outils de fer.

Et Ruben acheta une hache aux marchands ismaélites; il la paya cher, car il n'y en avait pas une seule dans la maison de son père.

Et Siméon dit à Ruben, son frère : « Prête-moi, je te prie, ta hache. » Mais Ruben le refusa et ne voulut pas.

Lévi lui dit aussi : « Mon frère, prête-moi ta hache, je te prie. » Et Ruben le refusa de même.

Alors Juda vint trouver Ruben, et le supplia en disant: «Voyons! tu m'aimes, et je t'ai toujours aimé; ne me refuse pas de me servir de ta hache. >>

Mais Ruben se détourna de lui, et le refusa comme les autres. Or il arriva que Ruben tailla du bois sur le bord de la rivière, et que sa bache tomba dans l'eau, et qu'il ne put venir à bout de la retrouver.

Mais Siméon, Lévi et Juda envoyèrent un messager avec de l'argent chez les Ismaélites, et ache:èrent chacun une hache.

Alors Ruben vint à Siméon, et lui dit : « J'ai perdu ma hache, et mon ouvrage reste à moitié fait; prête-moi la tienne, je te prie. »

Siméon lui répondit : « Tu n'as pas voulu me prêter ta hache, ainsi je ne te prêterai pas la mienne. »

Alors Ruben vint trouver Lévi, et lui dit : « Mon frère, tu connais la perte que j'ai faite et mon embarras; prête-moi ta hache, je te prie. >>

Lévi lui fit des reproches en disant : « Tu n'as pas voulu me pré

1. De Madian. Contrée voisine de la Palestine, peuplée par les Ismaélites ou descendants d'Ismaël, fils d'Abraham et d'Agar,

2. Chameau. Le chameau est un animal pius grand que le cheval, remarquable par son long cou, sa petite tête et la bosse qu'il a sur le dos. Il sert à porter les fardeaux dans les solitudes brûlantes des déserts.

3. Les épices. Substances destinées à l'assaisonnement des mets, tels que le poivre, la cannelle, etc. La myrrhe et le baume sont aussi des substances végétales qu'on extrait du suc de certaines plantes et qu'on emploie comme parfums ou comme remèdes. Adjectif: balsamique. Verbe: embaumer.

ter ta hache lorsque j'en ai eu envie; mais je veux être meilleur que toi, et je te prêterai la mienne. »

Ruben fut blessé de la réprimande de Lévi, et, tout confus, il le quitta et ne prit pas sa hache; mais il chercha son frère Juda. Et, lorsqu'il fut venu auprès de Juda, celui-ci vit à son air qu'il était plein de mécontentement et de honte, et il le prévint en lui disant : « Mon frère, je sais ce que tu as perdu; mais pourquoi te troubler? Voyons! n'ai-je pas une hache qui peut nous servir à tous les deux? Prends-la, je te prie, et uses-en comme de la tienne. »

Ruben se jeta à son cou, et l'embrassa en pleurant, et lui dit : « Ta complaisance est grande; ta bonté à oublier mes torts est encore plus grande; tu es vraiment mon frère, et tu peux compter que je t'aimerai tant que je vivrai. »

Et Juda lui dit : « Aimons aussi nos autres frères, ne sommesnous donc pas tous du même sang? »

Or, Joseph vit ces choses, et les rapporta à son père Jacob.

Et Jacob dit : « Ruben a mal fait; mais il s'est repenti. Siméon aussi a mal fait; Lévi n'a pas été tout à fait exempt de reproches.

<< Mais le cœur de Juda est celui d'un prince'. Juda a l'âme d'un roi. Ses enfants se prosterneront devant lui, et il régnera sur ses frères. >>

Il

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y avait un bonhomme, bûcheron de son état, qui s'appelait Brisquet, ou autrement le fendeur à la bonne hache, et qui vivait pauvrement du produit de ses fagots, avec sa femme qui s'appelait Brisquette. Le bon Dieu leur avait donné deux jolis petits enfants, un garçon de sept ans qui était brun et qui s'appelait Biscotin, et une blondine de six ans, qui s'appelait Biscotine. Outre cela, ils avaient un chien bâtard, à poil frisé, noir par tout le corps, si ce n'est au museau, qu'il avait couleur de feu; ét c'était bien le meilleur chien du pays pour son attachement à ses maîtres.

Vous souvenez-vous du temps où il vint tant de loups dans la forêt de Lions 2? C'était dans l'année des grandes neiges que les

1. Cœur de prince, âme d'un roi. Expressions métaphoriques pour désigner un cœur généreux, une grande âme. C'est par la grandeur et la générosité de l'âme qu'on acquiert l'empire sur les hommes.

2. De Lions. Nom d'une grande forêt en Normandie.

pauvres gens eurent si grand' peine à vivre. Ce fut une terrible désolation dans le pays. Brisquet, qui allait toujours à sa besogne, et qui ne craignait pas les loups, à cause de sa bonne hache, dit un matin à Brisquette : « Femme, je vous prie de ne laisser courir ni Biscotin, ni Biscotine, tant que M. le grand louvetier' ne sera pas venu. Il y aurait du danger pour eux. Ils ont assez de quoi marcher entre la butte et l'étang, depuis que j'ai planté des piquets le long de l'étang pour les préserver d'accident. Je vous prie aussi, Brisquette, de ne pas laisser sortir la Bichonne, qui ne demande qu'à trotter. » Brisquet disait tous les matins la même chose à Brisquette. Un soir, il n'arriva pas à l'heure ordinaire. Brisquette venait sur le pas de la porte, rentrait, ressortait, et disait en se croisant les mains: « Mon Dieu, qu'il est attardé!... » Et puis elle sortait encore, en criant : « Eh! Brisquet! »> Et la Bichonne lui sautait jusqu'aux épaules, comme pour lui dire : N'irai-je pas? Paix! lui dit Brisquette. Écoute, Biscotine, va jusque devers la butte, pour voir si ton père ne revient pas. Et toi, Biscotin, suis le chemin au long de l'étang en prenant bien garde s'il n'y a pas de piquets qui manquent, et crie fort Brisquet! Brisquet!... Paix là! Bichonne! » Les enfants allèrent, allèrent, et quand ils se furent rejoints à l'endroit où le sentier de l'étang vient couper celui de la butte: « Mordienne, dit Biscotin, je retrouverai notre pauvre père, ou les loups m'y mangeront. Pardienne, dit Biscotine, ils m'y mangeront bien aussi. >>

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3

Pendant ce temps-là, Brisquet était revenu par le grand chemin de Puchay, en passant à la Croix-aux-Anes, sur l'abbaye de Mortemer, parce qu'il avait une hottée de cotrets à fournir chez Jean Paquier. « As-tu vu nos enfants? lui dit Brisquette. Nos enfants? dit Brisquet, nos enfants? Mon Dieu! sont-ils sortis? Je les ai envoyés à ta rencontre, jusqu'à la butte et à l'étang', mais tu as pris par un autre chemin. » Brisquet ne posa pas sa bonne hache. Il se mit à courir du côté de la butte. « Si tu menais la Bichonne?» lui cria Brisquette. La Bichonne était déjà bien loin. Elle était si loin, que Brisquet la perdit bientôt de vue.

1. Le grand louvelier. Officier chargé de la destruction des loups.

2. Paix! Pardienne, mordienne. Remarquez ces interjections et rendez-vous compte de leur signification. Les deux dernières indiquent un sentiment de résolution subite, de volonté énergique.

3. Holtée de colrets. Une charge remplissant la hotte. Colrels, bois menu ou

fendu.

4. La butte. Tertre ou élévation de terrain. Elang. Amas d'eau formé dans les terrains bas, soit naturellement, soit au moyen de chaussées pour retenir les eaux.

Et il avait beau crier : « Biscotin, Biscotine! » On ne lui répondait pas. Alors, il se prit à pleurer, parce qu'il s'imagina que ses enfants étaient perdus. Après avoir couru longtemps, longtemps, il lui sembla reconnaître la voix de la Bichonne. Il marcha droit dans le fourré', à l'endroit où il l'avait entendue, et il y entra sa bonne hache levée. La Bichonne était arrivée là, au moment où Biscotin et Biscotine allaient être dévorés par un gros loup. Elle s'était jetée devant en aboyant, pour que ses abois avertissent Brisquet. Brisquet, d'un coup de sa bonne hache, renversa le loup roide mort, mais il était trop tard pour la Bichonne : elle ne vivait déjà plus.

Brisquet, Biscotin et Biscotine rejoignirent Brisquette. C'était une grande joie, et cependant tout le monde pleura; il n'y avait pas un regard qui ne cherchât la Bichonne.

Brisquet enterra la Bichonne au fond de son petit courtil2, sous une grosse pierre, sur laquelle le maître d'école écrivit en latin :

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« Mon frère, sais-tu la nouvelle?

Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflar vient, dit-on, de manger

Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère;
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.

Serait-il vrai? Très-vrai, mon frère.
A qui donc se fier? grands dieux! »

C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine;
Et la nouvelle était certaine.

Mouflar, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice,

Et le fermier voulait qu'une prompte justice

Effrayât les chiens du pays.

La procédure en un jour est finie.

1. Le fourré. Partie du bois où les plants et les épines sont très-serrés. Opposé: la clairière.

2. Courtil. Vieux mot qui désignait un petit jardin attenant à la maison et qui est encore usité dans plusieurs provinces.

3. Rapprocher ce dévouement de la Bichonne de l'acte criminel auquel est entraîné Mouflar dans le morceau suivant.

4. La procédure. L'instruction du procès et le prononcé du jugement.

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