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C'est une nouvelle périphrase du mot papillon. Dans la fable de la Belette et du petit Lapin, l'expression: La dame au nez pointu, est une périphrase pour désigner la belette; enfin, dans la fable de la Châtaigne, ce mot est remplacé par la périphrase,

Une cosse fermée

Et de dards menaçants de toute part armée.

L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes.

L'azur désigne la couleur bleue, comme celle du ciel; la pourpre désigne la couleur rouge foncée. Cette couleur, qui était réservée aux vêtements des rois, était extraite d'une certaine coquille qu'on trouvait sur les bords de la mer.

M. Quel est le sens du mot éclatait? avec éclat.

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E. Il veut dire brillait

M. Ce mot ne s'emploie-t-il pas aussi pour exprimer, non pas la couleur, mais le son? E. Oui, on dit que le tonnerre éclate, qu'une obus éclate; on dit également encore un son éclatant, une couleur éclatante. M. Si vous réfléchissez, vous verrez que ce qui a amené à employer ce même mot pour qualifier un son ou une couleur, c'est qu'un son éclatant produit sur l'oreille une impression à peu près semblable à celle qu'une couleur éclatante produit sur les yeux : c'est donc par dérivation que les mots éclater, éclatant, éclat, qui s'appliquaient primitivement au son, ont été appliqués à la lumière et à la couleur.

Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs.

Il faut remarquer ce tour vif et animé qui s'éloigne de la régularité de la construction grammaticale et qui est très-fréquent dans les bons écrivains. Les adjectifs jeune, beau, petit-maitre se rapportent au sujet de la phrase il. Ce tour plus vif et plus élégant est fort usité, bien qu'on ne puisse en rendre compte rigoureusement d'après les règles ordinaires. Il faut remarquer encore l'expression composée petit-maitre dont les deux mots réunis ne conservent aucun des sens qu'ils avaient séparément; le mot petit-maître signifie en effet un personnage vaniteux et présomptueux qui cherche à briller par sa toilette, ses manières ou son langage.

Dame Nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.

Vous connaissez déjà les différentes acceptions du mot nature, et vous voyez qu'il signifie ici la puissance qui crée et qui gou

verne l'univers. Le mot dame dont il est précédé est une de ces appellations que les poëtes emploient devant certains noms pour éveiller l'idée de quelque qualité qui caractérise les personnages mis en scène. Le mot dame, qui signifie maîtresse, comme dom signifie maître et seigneur, rappelle assez bien ici la puissance de la nature.

D'après les règles absolues de la grammaire, la proposition elliptique et pour moi rien, ne serait pas régulière, le verbe de la première proposition fait tout, qui est affirmatif, ne saurait grammaticalement régir le complément rien de la seconde, parce que ce complément exige que son verbe soit accompagné d'une négation. Cependant, l'usage des bons écrivains autorise, comme on voit, ce tour qui est plus vif et qui est aussi clair. Une remarque analogue pourrait être faite en sens inverse sur le vers suivant :

Je n'ai point de talent, encor moins de figure.

La régularité grammaticale demanderait : j'ai encore moins de figure.

Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants;

Aussitôt les voilà courants

Après le papillon, etc.

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M. Cela est-il correct? - E. Non; car courant est ici participe présent et doit être invariable.

M. Vous avez raison; et l'usage s'accorde cette fois avec la grammaire pour condamner cette faute. Examinez la construction de la même phrase: tous les mots y sont-ils à leur place? · E. Non; le sujet, au lieu d'être placé devant le verbe et son complément, ne vient qu'après. — M. L'usage autorise dans beaucoup de cas ce changement de place des mots, auquel on a donné le nom d'inversion. Retenez bien ce nom et cherchez d'autres exemples d'inversion. E. Le mot dans la prairie, qui est complément du verbe arrive et qui devrait être placé après, le précède cepen dant c'est une inversion. M. Quel est le sujet du verbe? E. Une troupe d'enfants. maire ces sortes de sujet? E. On les appelle collectifs. M. N'y a-t-il pas une particularité à remarquer sur l'accord de ces espèces de sujet avec le verbe? E. Oui; après un nom collectif au singulier on peut mettre le verbe au pluriel, surtout

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-

M. Comment appelle-t-on en gram

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quand le nom collectif est précédé de l'article indéfini un, une, et que le nom pluriel qui suit le collectif n'est précédé d'aucun article. On pourrait donc dire aussi : Une troupe d'enfants arrivent dans la prairie.

Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper.

Remarquez devant tous ces noms la suppression de l'article qui donne à la phrase un tour plus vif et plus animé.

M. Que remarquez-vous sur l'orthographe des mols arriver et attraper dans ces phrases? - E. La consonne qui suit la voyelle initiale y est redoublée. M. Pourriez-vous en expliquer la raison? -E. Oui; les deux verbes sont composés des radicaux trape et rive et de la préfixe ad, qui indique un mouvement de rapprochement attirer auprès d'une trappe, prendre, saisir par surprise; aller vers la rive, vers le but, joindre, arriver. D'après une règle générale d'euphonie, la consonne douce d de ad placée devant une consonne forte se change en une consonne de même nature, et de là la double consonne de attrape, arrive. M. Pourriezvous me citer d'autres exemples de consonnes ainsi redoublées par la transformation d'une préfixe? E. Attirer, formé de ad et de tirer; affecter, formé de ad et de fecter; irrégulier do in et de régulier, etc.

L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps.

Que remarquez-vous sur la seconde proposition de cette phrase? E. Qu'elle est elliptique; le verbe déjà exprimé dans la première y est sous-entendu, ce qui donne plus de rapidité à la phrase.

M. Voilà plusieurs mots terminés par la syllabe or qui figurent dans ce morceau, tels que or, fort, corps. Vous avez vu précédemment les mots : le bord de la Seine. Pourriez-vous me dire si cette syllabe s'écrit par les mêmes lettres, et s'il y a un moyen de reconnaître les lettres que la prononciation n'annonce pas et qui figurent cependant dans l'orthographe de la syllabe? - E. La syllabe or dans les quatre mots s'écrit d'une manière différente par suite des lettres muettes qui y sont ajoutées. Pour reconnaitre si une syllabe finale contient des lettres muettes et quelles sont ces lettres, il faut chercher les dérivés du mot auquel appartient la syllabe, et presque toujours ces dérivés mettent en évidence la consonne muette et la font connaître.

Ainsi ses dérivés doré, dorée, montrent que la syllabe or dans ie mot l'or se termine simplement par un r. Les dérivés bor

dure, border, de bord, indiquent au contraire la consonne muette d après le r, comme les mots sortir, sortilége, dérivés de sort, indiquent le t. Enfin, les mots corporel, corporation, dérivés de corps, indiquent le p muet. M. Le mot corps a de plus un s muet que la dérivation n'indique pas, et qui est un reste de l'orthographe du mot latin corpus, dont le mot français corps a été dérivé.

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Un troisième survient et le prend par la tête.

Quel est le sens du mot survient?

E. Il veut dire arrive

-

sur ces entrefaites, vient sur, après les autres.-M. Ce mot estil simple ou composé? E. Il est composé du mot venir et de la préfixe sur qui veut dire par-dessus, venir par-dessus. M. Pourriez-vous indiquer d'autres préfixes entrant en composition avec venir? — E. Advenir, convenir, devenir, événement, inrenteur, intervenir, parvenir, prévenir, provenir, revenir, etc.-M. Pourriez-vous me trouver des applications de ces divers mots dans les morceaux que vous avez déjà étudiés? E. Dans la fable le Lion et le Rat:

Cependant il advint qu'au sortir des forêts,

pour il arriva. Dans la fable du Lièvre et de la Tortue:

Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,

Ni de quel juge l'on convint,

pour on s'entendit à prendre, on fut d'accord de prendre.

Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché.

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M. Ces

Voici la seconde interjection que nous trouvons dans cette fable. Quelle était la première? — E. Ah! disait le grillon. deux interjections diffèrent-elles de sens? E. Beaucoup. La première est une expression de tristesse, de regret, d'envie, et correspond à hélas. La seconde, au contraire, est une expression de surprise, d'étonnement.

Pour vivre heureux, vivons caché.

Cette phrase ne vous présente-t-elle aucune apparence d'irré. gularité dans son orthographe? — E. Le participe caché, qui se rapporte au sujet du verbe, semblerait devoir être mis au pluriel, puisque le verbe est lui-même au pluriel. Il faudrait donc, d'après la règle vivons cachés. - M. On peut cependant justifier cette phrase. Rappelez-vous qu'à la seconde personne du singulier on

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emploie la forme plurielle du pronom et du verbe, bien qu'on ne parle qu'à une seule personne, et alors l'adjectif reste au singulier. Exemples: Vous êtes brutal, vous paraissez libéral. De même on emploie quelquefois la forme plurielle à la première personne de l'impératif, lors même qu'il n'est question que d'une seule personne. Ainsi un homme seul se dira à lui-même allons, montrons-nous libéral, ou bien, en parlant à quelqu'un, au lieu de dire ne soyez pas brutal, il dira à la première personne, d'après un tour que l'usage autorise, ne soyons pas brutal. L'auteur a donc pu écrire par cette raison: vivons caché, en mettant cette phrase dans la bouche même du grillon.

Observation. - Nous croyons utile de répéter qu'en donnant cet exemple d'explication d'une leçon sous le rapport de la grammaire et du style, nous sommes très-loin de penser que ce morceau puisse être expliqué dans une classe avec tous les développements et tous les détails dans lesquels nous venons d'entrer. Le temps de la leçon y suffirait à peine. Un commentaire aussi prolongé fatiguerait l'attention des élèves, et cette fatigue en ferait perdre le fruit. D'ailleurs les remarques qui soulèvent successivement des questions d'orthographe et de grammaire, qui traitent de la signification absolue et relative des mots, et qui s'elèvent des principes de l'étymologie et de la synonymie jusqu'aux formes et aux mouvements de style et aux appréciations de goût, resteraient fréquemment en dessus ou en dessous de la moyenne des connaissances et du développement intellectuel d'une classe. Si nous les avons ainsi réunies et assemblées dans cet exemple, c'est afin de montrer aux maîtres comment l'explication d'un morceau, sous le rapport de la langue seulement, peut être mise à la portée de tous les élèves, depuis ceux qui commencent l'étude de la grammaire jusqu'à ceux qui sont assez avancés pour s'occuper de style et de compositions. C'est donc aux maîtres de choisir dans nos explications celles qui se rapprochent de la nature des études et de la portée d'intelligence de leurs élèves, sans craindre toutefois de revenir de temps en temps en arrière ou de faire des excursions anticipées sur des sujets plus élevés.

Il y a toujours utilité à ramener de temps en temps les enfants sur des matières déjà parcourues; d'un autre côté, il ne faut pas trop les tenir en lisière, et il est quelquefois bon d'élever un peu l'enseignement au-dessus des leçons du jour et de leur ouvrir à l'avance des horizons sur les contrées où ils pénétreront plus tard. Ces retours en arrière et ces anticipations sont un exercice égale

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