Page images
PDF
EPUB

Gravement, sans songer à rien;

Tous deux suivis d'un commun maître.
Ce maître s'endormit. L'âne se mit à paître :
Il était alors dans un pré

Dont l'herbe était fort à son gré.

Point de chardons pourtant ', il s'en passa pour l'heure :
Il ne faut pas toujours être si délicat ;

[blocks in formation]

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,
Lui dit «< Cher compagnon, baisse-toi, je te prie!
Je prendrai mon dîner dans le panier au pain. >>
Point de réponse, mot: le roussin d'Arcadie'
Craignit qu'en perdant un moment

Il ne perdît un coup de dent,
Il fit longtemps la sourde oreille :
Enfin il répondit : « Ami, je te conseille
D'attendre que ton maître ait fini son sommeil;

Car il te donnera, sans faute, à son réveil

Ta portion accoutumée;

Il ne saurait tarder beaucoup. »>

Sur ces entrefaites un loup

Sort du bois, et s'en vient autre bête affamée.
L'âne appelle aussitôt le chien à son secours.

Le chien ne bouge, et dit : « Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s'éveille,

1. Point de chardons pourtant. Tour vif et phrase elliptique dont la construction régulière serait : « pourtant il n'y avait pas de chardons. » Les chardons croissent dans les champs incultes, sur les bords des chemins. Ils portent au sommet de leurs rameaux des fleurs rouges ou jaunes; leurs tiges et leurs feuilles sont ar mées de piquants.

2. Demeure. Est remis, resto. Le verbe demeurer ne s'emploie plus aujourd'hui dans ce sens sans être accompagné d'un complément. On dit : il demeura confus, interdit.

3. S'en sut enfin passer. Remarquer la place du pronom avant le premier verbe. Exemple fréquent dans La Fontaine. Il se faut entr'aider. On dirait plutôt aujourd'hui sut s'en passer, il faut s'entr'aider.

4. Point de réponse, mot. Tour vif et phrase elliptique, pour l'âne ne fait point de réponse, ne dit mot. - Roussin, diminutif de roux, couleur de l'âne. D'Arcadie. Contrée de la Grèce où les ânes étaient fort beaux.

5. Et s'en vient. Vient près d'eux, s'approche. Ce complément du verbe semble ici nécessaire. Remarquer le tour vif et l'image de autre bête affamée.

6. Ne bouge. La suppression du mot pas donne plus de vivacité et de force à l'image.

ne saurait tarder : détale vite et cours.
Que si ce loup t'atteint, casse-lui la mâchoire;
On t'a ferré de neuf, et si tu veux me croire,

Tu l'étendras tout plat '. » Pendant ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

39.

LA FONTAINE.

L'écureuil, le chien et le renard.

Un gentil écureuil était le camarade,

Le tendre ami d'un beau danois 2.

Un jour qu'ils voyageaient comme Oreste et Pylade3,
La nuit les surprit dans un bois.

En ce lieu point d'auberge '; ils eurent de la peine
A trouver où se bien coucher.

Enfin le chien se mit dans le creux d'un vieux chêne,
Et l'écureuil plus haut grimpa pour se nicher.
Vers minuit, c'est l'heure des crimes,
Longtemps après que nos amis,

En se disant bonsoir, se furent endormis,
Voici qu'un vieux renard, affamé de victimes",
Arrive au pied de l'arbre; et, levant le museau,
Voit l'écureuil sur un rameau.

6

Il le mange des yeux, humecte de sa langue
Ses lèvres qui de sang brûlent de s'abreuver.
Mais jusqu'à l'écureuil il ne peut arriver;
Il faut donc, par une harangue 7,
L'engager à descendre, et voici son discours :
<< Ami, pardonnez, je vous prie,

Si de votre sommeil j'ose troubler le cours;
Mais le pieux transport dont mon âme est remplie
Ne peut se contenir; je suis votre cousin

Germain ;

[ocr errors]

Votre mère était sœur de feu mon digue père.

1. Tu l'étendras tout plat. Tout aplati, tout à plat.

2. Danois. Chien de grosse taille.

3. Oreste et Pylade. Noms de deux princes grecs fort renommés par leur amitié,

4. En ce lieu point d'auberge. Tour elliptique, vif et gracieux.

5. De victimes. De proies à immoler. Les victimes étaient les animaux que les

païens offraient aux dieux et qu'ils immolaient sur leurs autels.

6. Le mange des yeux. Belle expression que complète l'image qui suit.

7. Harangue. Discours préparé à l'avance, discours d'apparat.

8. Feu. Défunt, mort.

Cet honnête homme, hélas! à son heure dernière,
M'a tant recommandé de chercher son neveu,
Pour lui donner moitié du peu

Qu'il m'a laissé de bien! Venez donc, mon cher frère,
Venez, par un embrassement,

Combler le doux plaisir que mon âme ressent.
Si je pouvais monter jusqu'aux lieux où vous êtes,
Oh! j'y serais déjà, soyez-en bien certain. »
Les écureils ne sont pas bêtes,

Et le mien était fort malin;

Il reconnaît le patelin',

Et répond d'un ton doux : « Je meurs d'impatience
De vous embrasser, mon cousin;

Je descends mais pour mieux lier la connaissance',
Je veux vous présenter mon plus fidèle ami,
Un parent qui prit soin de nourrir mon enfance;
Il dort dans ce trou-là : frappez un peu; je pense
Que vous serez charmé de le connaître aussi. >>
Aussitôt, maître renard frappe,

Croyant en manger deux, mais le fidèle chien
S'élance de l'arbre, le happe

Et vous l'étrangle bel et bien.

Ceci prouve deux points': d'abord qu'il est utile
Dans la douce amitié de placer son bonheur;
Puis, qu'avec de l'esprit il est souvent facile

Au piége qu'il nous tend de surprendre un trompeur.

40.

Le chien et le chat.

Pataud jouait avec Ralon;

FLORIAN.

Mais sans gronder, sans mordre, en camarade, en frère.
Les chiens sont bonnes gens, mais les chats, nous dit-on,
Sont justement tout le contraire.
Aussi, bien qu'il jurât toujours
D'avoir fait patte de velours",

1. Patelin. L'hypocrite qui cherche à s'insinuer, à tromper par de douces manières.

2. Lier la connaissance. On dirait plutôt aujourd'hui: lier connaissance.

3. Deux points. Deux choses, deux vérités.

4. Pulle de velours. Une patte de velours est une patte douce comme le velours et qui ne fait sentir ni griffes, ni ongles. Faire palle de velours, c'est traiter avec douceur; cacher les griffes et les dents.

Raton, et ce n'est pas une histoire apocryphe ',
Dans la peau d'un ami, comme fait maint plaisant,
Enfonçait, tout en s'amusant,

Tantôt la dent, tantôt la griffe.
Pareil jeu dut cesser bientôt :

<< Eh quoi! Pataud, tu fais la mine??
Ne suis-je pas ton bon ami?

Prends un nom qui convienne à ton humeur maligne,
Raton, ne sois rien à demi.

J'aime mieux un franc ennemi

Qu'un bon ami qui m'égratigne. >>

41.

Le loup et le jeune mouton.

ARNAULT.

Des moutons étaient en sûreté dans leur parc 3; les chiens dormaient; et le berger, à l'ombre d'un grand ormeau, jouait de la flûte avec d'autres bergers voisins. Un loup affamé vint, par les fentes de l'enceinte, reconnaître l'état du troupeau. Un jeune mouton sans expérience, et qui n'avait jamais rien vu, entra en conversation avec lui: « Que venez-vous chercher ici? dit-il au glouton. L'herbe tendre et fleurie, lui répondit le loup. Vous savez que rien n'est plus doux que de paître dans une verte prairie émaillée de fleurs, pour apaiser sa faim, et d'aller éteindre' sa soif dans un clair ruisseau : j'ai trouvé ici l'un et l'autre. Que faut-il davantage? J'aime la philosophie' qui enseigne à se contenter de peu. Est-il donc vrai, repartit le jeune mouton, que vous ne mangez point de la chair des animaux, et qu'un peu d'herbe vous suffit? Si cela est, vivons comme frères, et paissons ensemble. » Aussitôt le mouton sort du parc dans la prairie, où le sobre philosophe le mit en pièces et l'avala.

[ocr errors]

Défiez-vous des belles paroles des gens qui se vantent d'être vertueux. Jugez-en par leurs actions, et non par leurs discours.

[blocks in formation]

La brebis et le chien, de tous les temps amis,

1. Apocryphe. Fausse, controuvée.

2.

te de versification. Mine ne rime pas avec maligne. Faire la mine, faire la mot Gallicisme, montrer un visage mécontent.

3. Parc. Signifie ici l'enceinte d'un champ, formée par des claies de bois, dans laquelle un troupeau de moutons est renfermé pour paître et passer la nuit.

4. Eteindre sa soif. Belle expression pour « apaiser, étancher la soif. » La soif semble brûler le gosier, d'où les expressions « une soif brûlante, et éteindre la soif. » 5. Philosophie. Nom de la science qui apprend la sagesse.

6. Sobre. Expression prise ironiquement.

Se racontaient un jour leur vie infortunée.
<< Ah! disait la brebis, je pleure et je frémis
Quand je songe aux malheurs de notre destinée.
Toi, l'esclave de l'homme, adorant des ingrats,
Toujours soumis, tendre et fidèle,
Tu reçois pour prix de ton zèle

Des coups, et souvent le trépas.
Moi, qui tous les ans les habille',

Qui leur donne du lait, et qui fume 2 leurs champs,
Je vois chaque matin quelqu'un de ma famille
Assassiné par ces méchants.

Leurs confrères les loups dévorent ce qui reste.
Victimes de ces inhumains,

Travailler pour eux seuls et mourir par leurs mains,
Voilà notre destin funeste 3!

- Il est vrai, dit le chien: mais crois-tu plus heureux Les auteurs de notre misère?

Va, ma sœur, il vaut encor mieux

Souffrir le mal que de le faire '. »

[blocks in formation]

La raison du plus fort est toujours la meilleure ;
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.

« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:

Tu seras chàtié de ta témérité.

1. Les habille. La laine enlevée chaque printemps à la brebis sert à faire les vêtements de l'homme.

2. Fume fournit le fumier, on engraisse fournit l'engrais.

3. Remarquer la construction elliptique de la phrase et la forme absolue de victimes de ces inhumains.

4. Oui, car celui qui souffre le mal trouve dans sa conscience une satisfaction que ne goûte jamais celui qui le fait. Aussi l'innocent, lors même qu'il est persé cuté, est-il réellement plus heureux que le persécuteur dont le remords trouble la vie, et auquel la Providence réserve dans ce monde et dans l'autre le châtiment de ses injustices.

5. Non la meilleure parce qu'elle l'emporte en sagesse et en justice, mais parce que le plus fort la fait prévaloir par la violence.

6. Cherchait aventure. Gallicisme. Cherchait une occasion de butin, de proic.

« PreviousContinue »