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Pour déchirer la pauvre bête.

<< Oh! oh! dit le grillon, je ne suis plus fâché;
Il en coûte trop cher pour briller dans le monde.
Combien je vais aimer ma retraite profonde! >>

Pour vivre heureux, vivons caché'.

18. Les fêtes de famille.

FLORIAN.

Un régal qu'elle nous donnait avec la plus sensible joie était le réveillon de la nuit de Noël. Comme il était tous les ans le même, on s'y attendait, mais on se gardait bien de paraître s'y être attendu; car tous les ans elle se flattait que la surprise se rait nouvelle, et c'était un plaisir qu'on avait soin de lui laisser. Pendant qu'on était à la messe, la soupe aux choux verts, le boudin, la saucisse, l'andouille, le morceau de petit salé le plus vermeil, les gâteaux, les beignets de pommes au saindoux, tout était préparé mystérieusement par elle et l'une de ses sœurs; et moi, seul confident de tout cet appareil, je n'en disais mot à personne. Après la messe on arrivait; on trouvait ce beau déjeuner sur la table, on se récriait sur la magnificence de la bonne grand'mère, et cette acclamation de surprise et de joie était pour elle un plein succès. Le jour des Rois, la fève était chez nous encore un sujet de réjouissance; et quand venait la nouvelle année, c'était dans toute la famille un enchaînement d'embrassades et un concert de vœux si tendres, qu'il eût été, je crois, impossible d'en être le témoin sans en être ému. Figurez-vous un père de famille au milieu d'une foule de femmes et d'enfants, qui, tous levant les yeux et les mains .vers le ciel, en appelaient sur lui les bénédictions, et lui, répondant à leurs vœux par des larmes d'amour qui présageaient peut-être le malheur qui nous menaçait; telles étaient les scènes que me présentaient ces vacances.

MARMONTEL.

1. Voir l'explication de cette fable, sous le triple rapport du sens, du style et de la récitation, dans les explications placées en tête des trois livres de ce recueil. 2. Régal. Mets qui flatte le goût. Repas, festin où les mets sont en abondance et au gré des convives.

3. Réveillon. Nom populaire du repas donné dans les familles au retour de la messe de minuit, le jour de Noël.

4. Saindoux. Graisse de cochon.

5. Appareil. Les préparatifs. L'auteur choisit à dessein le mot appareil, qui a une emphase convenable à la circonstance.

6. La fève. Le gâteau mangé en famille, le jour des Rois, contient toujours une feve. Le convive dans la portion duquel elle se trouve, est désigné par là même Roi de la fête, et chacun porte sa santé en buvant.

7. Tableau touchant. L'auteur perdit son père bientôt après.

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Pauvre petit! pars pour la France.

Que te sert mon amour? je ne possède rien.
On vit heureux ailleurs; ici, dans la souffrance.
Pars, mon enfant; c'est pour ton bien.
Tant que mon lait put te suffire,

Tant qu'un travail utile à mes bras fut permis,
Heureuse et délassée en te voyant sourire3,
Jamais on n'eût osé me dire :

Renonce aux baisers de ton fils.

Mais je suis veuve; on perd sa force avec la joie.
Triste et malade, où recourir ici?

Où mendier pour toi? chez des pauvres aussi !
Laisse ta pauvre mère, enfant de la Savoie;
Va, mon enfant, où Dieu t'envoie.

Mais, si loin que tu sois, pense au foyer absent';
Avant de le quitter, viens; qu'il nous réunisse.
Une mère bénit son fils en l'embrassant :
Mon fils, qu'un baiser te bénisse.
Vois-tu ce grand chêne la-bas?

Je pourrai jusque-là t'accompagner, j'espère.
Quatre ans déjà passés, j'y conduisis ton père;
Mais lui, mon fils, ne revint pas!

Encor s'il était là pour guider ton enfance,
Il m'en coûterait moins de t'éloigner de moi;
Mais tu n'as pas dix ans, et tu pars sans défense...
Que je vais prier Dieu pour toi !

Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde ?

1. La Savoie. Province entre la France et l'Italie, dont les habitants émigrent chaque année, à la fin de l'automne, pour venir gagner leur vie en France pendant l'hiver.

2. Que le sert. A quoi te sert. Remarquer cette tournure et l'ellipse de la phrase suivante ici, dans la souffrance. La souffrance pour « la misère. »

3. Retenez cette tournure, qui s'écarte des règles de la construction grammaticale, mais qui produit un bon effet et qui est autorisée. (Jamais on n'eût osé dire « à moi, heureuse et délassée, » etc.)

4. Foyer absent. Le foyer est pris ici pour la chaumière qu'il rappelle, parce que c'est auprès du foyer que la famille se réunit le plus souvent. De là le mot foyer domestique, pour « foyer de la famille. » Absent, éloigné, où tu n'es plus.

5. Quatre ans déjà passés. Noter cette tournure elliptique vive et très-usitee. Noter également le gallicisme de la phrase suivante: Il m'en coûterait moins. 6. Seconde. Protége, favorise.

Seul, par.ni les méchants (car il en est au monde),
Sans ta mère, du moins, pour t'apprendre à souffrir...
Oh! que n'ai-je du pain, mon fils, pour te nourrir!
Mais Dieu le veut ainsi : nous devons nous soumettre;
Ne pleure pas en me quittant;

Porte au seuil des palais un visage content.
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être...
l'our distraire le richie, il faut chanter pourtant.
Chante tant que la vie est pour toi moins amère;
Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau;
Répète, en cheminant, les chansons de ta mère,
Quand ta mère chantait autour de ton berceau.
Si ma force première encor m'était donnée,
J'irais, te conduisant moi-même par la main;
Mais je n'atteindrais pas la troisième journée;
Il faudrait me laisser bientôt sur ton chemin :
Et moi je veux mourir aux lieux où je suis née.
Maintenant de ta mère entends le dernier vœu :
Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne,
Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui donne3.
Prie, et demande au riche: il donne au nom de Dieu.
Ton père le disait sois plus heureux adieu.
Mais le soleil tombaits des montagnes prochaines;
Et la mère avait dit: Il faut nous séparer;
Et l'enfant s'en allait à travers les grands chênes,

Se tournant quelquefois, et n'osant pas pleurer.

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Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit un jour à son

1. Au seuil. A la porte, devant la porte, car le petit Savoyard n'est pas admis tans l'intérieur des palais.

2. Marmotte. Animal de la grosseur d'un chat, d'un pelage gris, qui vit dans les Alpes et que les petits Savoyards apportent avec eux en France, dans une petite caisse, afin de le montrer aux passants et de gagner quelques sous par cette exhibition.

3. Le seul bien du pauvre est ce qu'il gagne par son travail. Mais le petit Savoyard est trop faible pour travailler; il faut, en attendant, qu'il demande au riche et qu'il obtienne de la charité ce qu'il ne peut encore devoir à ses forces.

4. Au nom de Dieu. Quand on le prie au nom de Dieu, qui a commandé aux riches de soulager les pauvres.

5. Tombait des montagnes prochaines. Le soleil, qu'on apercevait au-dessus des montagnes rapprochées, semblait s'abaisser et tomber derrière elles, et leur ombre, en s'allongeant dans la plaine, annonçait l'approche du soir.

père : « Mon père, donnez-moi la portion de votre bien qui doit me revenir. » Le père fit donc entre ses enfants le partage de son bien.

Peu de jours après, le plus jeune des fils, ayant rassemblé tout ce qu'il avait, partit pour une région étrangère et lointaine, et il y dissipa son bien dans une vie d'excès et de débauche.

Après qu'il eut tout consumé, une grande famine régna dans cette contrée, et il commença à sentir la faim. Se trouvant sans ressources, il fut obligé de se mettre au service d'un habitant de ce pays. Celui-ci l'envoya à sa maison des champs pour garder les pourceaux. Il fut réduit à une telle détresse qu'il enviait, pour apaiser sa faim, les siliques' que mangeaient les pourceaux ;. mais personne ne lui en donnait.

Rentrant alors en lui-même, il dit : « Combien de mercenaires 2 dans la maison de mon père ont du pain en abondance, tandis que moi je meurs de faim ici Je me lèverai donc et j'irai vers mon père, et je lui dirai : J'ai péché contre le ciel et contre vous, je ne suis plus digne d'être appelé votre fils. Faites de moi l'un de vos mercenaires 2. >>

Il se leva donc et revint vers son père. Comme il était encore loin son père le vit, et, touché de compassion, il accourut, se jeta à son cou et le baisa. Et le fils lui disait : « Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre vous; je ne suis plus digne d'être appelé votre fils. » Mais le père dit à ses serviteurs : « Apportez vite sa robe première et revêtez-l'en, et mettez-lui un anneau au doigt et une chaussure aux pieds. Allez chercher aussi le veau gras; tuez-le et mangeons et réjouissons-nous. Car mon fils que voilà était mort, et il revit; il était perdu, et il est retrouvé. » Et tous commencèrent à manger et à se réjouir.

Or le fils aîné était dans les champs. Comme il revenait et approchait de la maison, il entendit le bruit de la musique et de la danse. Appelant aussitôt un de ses serviteurs, il lui demanda ce que c'était. Le serviteur lui dit : « Votre frère est revenu, ét votre père a tué le veau gras pour témoigner sa joie de l'avoir recouvré sain et sauf. »> A ces paroles il se courrouça et ne

voulut point entrer.

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1. Siliques. Les cosses, les enveloppes qui contiennent les graines des plantes légumineuses, telles que les pois, les haricots, les lentilles, les fèves, etc.

2. Mercenaires Ceux qui louent ou prêtent leurs services moyennant un salaire convenu. Domestiques, gens salariés.

3. Sa robe première. Sa robe d'innocence, la robe qu'il portait avant de quitter la maison paternelle. Le vêtement des peuples orientaux était une espèce de robe ou de tunique.

Son père donc étant sorti, cherchait à l'apaiser, et le priait de venir prendre place au festin; mais répondant à son père, il lui dit: « Voilà que je vous sers depuis longues années. Je n'ai jamais manqué à aucun de vos commandements, et jamais vous ne m'ave donné un chevreau' pour me réjouir en le mangeant avec mes amis. Mais lorsque ce fils, qui a dévoré son bien avec des courtisanes, est revenu, vous avez tué pour lui le veau gras. »

Le père lui répondit : « Mon fils, vous êtes, vous, toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à vous. Mais il fallait faire un festin et se réjouir, parce que votre frère était mort et il revit; il était perdu et il est retrouvé. »>

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(Traduit de l'Évangile de saint Lnc.)

Inépuisable bonté de Dieu.

Que le Seigneur est bon! que son joug' est aimable !
Heureux qui dès l'enfance en connaît la douceur !
Jeune peuple, courez à ce maître adorable :

Les biens les plus charmants n'ont rien de comparable
Aux torrents de plaisir qu'il répand dans un cœur.

4

Il s'apaise, il pardonne;

Du cœur ingrat qui l'abandonne

Il attend le retour.

Il excuse notre faiblesse ;

A nous chercher même il s'empresse3.

Pour l'enfant qu'elle a mis au jour

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1. Un chevreau. Le petit encore jeune de la chèvre. Remarquer la terminaison ordinaire des diminutifs. Les plaintes et le chagrin du fils aîné sembleraient légitimes, en voyant son père témoigner plus de tendresse à son frère coupable, qu'il ne lui en a jamais témoigné à lui-même malgré sa bonne conduite. Mais ce frère coupable est aujourd'hui repentant; il était comme mort, et le voilà ressuscité; il est donc naturel que le père éprouve une grande joie et la manifeste. Le frère aîné qui est toujours resté auprès de son père, à qui tout le bien de son père n'a jamais cessé d'appartenir, ne peut donner lieu à ces manifestations. D'ailleurs, l'objet de cette touchante parabole est de montrer l'extrême miséricorde de Dieu envers les pécheurs, et la tendresse avec laquelle il accueille le retour de ceux qui se repentent.

2. Joug. La soumission au Seigneur est désignée par le nom de l'instrument qui sert à soumettre les bœufs au travail que l'homme leur impose.

3 Jeune peuple. Peuple d'enfants, jeunes gens.

4. Torrents de plaisir. Les cœurs de ceux qui aiment Dieu sont comme inondés de joie et de bonheur. La joie et le bonheur les remplissent tout entiers. De là l'expression torrents de plaisir.

5. Il s'empresse à nous chercher. Inversion. Le verbe s'empresser est plutôt suivi de de que de à. Dieu s'empresse à nous chercher, de nous chercher quand nous sommes éloignés de lui, quand nous sommes perdus hors du bon chemin.

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