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Du sarigue c'est la femelle :

Nulle mère pour ses enfants

N'eut jamais plus d'amour, plus de soins; vigilants.
La nature a voulu seconder sa tendresse,
Et lui fit près de l'estomac

Une poche profonde, une espèce de sac,
Où ses petits, quand un danger les presse,
Vont mettre à couvert leur faiblesse.

Fais du bruit; tu verras ce qu'ils vont devenir.
L'enfant frappe des mains: la sarigue, attentive,
Se dresse, et d'une voix plaintive

Jette un cri; les petits aussitôt d'accourir2,
Et de s'élancer vers la mère,

En cherchant dans son sein leur retraite ordinairo.
La poche s'ouvre, les petits

En un moment y sont blottis 3;
Ils disparaissent tous; la mère avec vitesse
S'enfuit emportant sa richesse 4.

La Péruvienne alors dit à l'enfant surpris :
Si jamais le sort t'est contraire',
Souviens-toi du sarigue; imite-le, mon fils :
L'asile le plus sûr est le sein d'une mère.

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FLORIAN.

Je passais récemment dans un obscur canton®,
Où l'on m'a conté pour notoire?

Ce petit fait touchant qui rappelle l'histoire
De la vache de Fénelon".

Un prélat, homme simple et bon,

Respecté, mais surtout chéri dans son domaine 10,

1. Sarigue, animal qui présente à peu près la forme et la taille du renard, et qu'on trouve dans l'Amérique méridionale.

2. Les petits aussitôt d'accourir. Phrase elliptique, pour « se mettent aussitôt à accourir, ce qui serait long et traînant.

3. Blollis, cachés. Expression qui fait image.

4. Sa richesse. Ses enfants qui font sa richesse.

5. Le sort. Ce qui arrive, la succession des événements t'est contraire, est contraire, funeste à ton bonheur. Si tu éprouves des accidents, des revers, des chagrins, réfugie-toi auprès de ta mère.

6. Un obscur cunton. Un lieu peu connu, un endroit ignoré.

7. Notoire. Connu, public. Mot de la famille de connaître.

8. La vache de Fénelon. Voir le vol. II des Morceaux choisis. 9. Prélal. Évêque cu archevêque.

10. Domaine. Domaine spirituel, c'est-à-dire dans son diocèse.

En se rendant un jour à la ville prochaine,
Rencontra sur sa route un beau petit garçon
Qui lui parut en grande peine.

Il allait tristement du coteau vers la plaine,
Guidant son modeste troupeau,

Et caressait en pleurant un agneau.

<< Pauvre agneau! » disait-il; « tu n'auras plus de mère; « Elle est perdue au fond du bois;

«< Hélas! ma brebis la plus chère

« Aujourd'hui n'entend plus ma voix.

« Oh! quand je vais rentrer, quel chagrin pour mon père ! »

Le prélat s'était arrêté;

Et tandis qu'à sa plainte amère
L'enfant s'abandonnait, il l'avait écouté.

<< Pauvre petit, » dit-il avec bonté;
« Tu retournes à ta chaumière ';

« Si tu n'y trouvais plus ta mère,

a Dis-moi, que ferais-tu?

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«

Je pousserais des cris.
Et tes cris, mon enfant, pourraient-ils te la rendre?

Si ma mère pouvait m'entendre,

<< Elle accourrait près de son fils.

Tu le crois; eh bien donc, cela devrait t'apprendre

<< Par quel moyen tu peux ramener ta brebis. >>

2

Sur le prélat le petit pâtre
D'abord jette un regard surpris;
Puis tout à coup il a compris :
Il saisit son agneau folâtre 3,
Contre son sein le presse doucement,
Et le force à pousser un triste bêlement.
Deux ou trois fois il renouvelle
Cette épreuve, quoiqu'à regret,
Et voilà que, dans la forêt,
On entend la brebis qui bêle.
Le petit de nouveau l'appelle,

Et la pauvre brebis, aux cris de son agneau,

1 Chaumière, petite maison couverte en chaume, en paille.

2. Pâtre. Mot de la famille de paître. Celui qui fait paître, qui mène pattres

bei ger.

3. Folâtre. Qui aime à jouer, à folâtrer comme les petits enfants et les agneaux. Cette épithète n'est pas bien placée dans la circonstance.

Comme une tendre mère inquiète et fidèle,
Accourt rejoindre le troupeau.

44.

L. DE JUSSIEU.

Le respect pour les parents.

Pour vivre longtemps sur la terre,
Honore ton père et ta mère;

C'est ce que votre loi, Seigneur, commande à tous.
Pour respecter son père à l'égal' de vous-même,
Pour aimer tendrement la mère qui nous aime,
Faut-il donc un ordre de vous,

Quand pour l'enfant pieux votre bonté suprême
Rend déjà le devoir si doux?

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Le jardinier Lenôtre, qui a planté les jardins de Versailles et des Tuileries, n'est pas devenu moins célèbre que les architectes qui ont élevé ces palais. Sa réputation s'était étendue non-seulement en France, mais dans l'Europe entière. De toute part, on s'adressait à lui pour en obtenir des plans et des dessins de jardins et de parcs destinés à embellir les résidences royales et les châteaux des grands seigneurs. Lenôtre n'en conservait pas moins la simplicité de manières et la naïveté de sentiments qu'il devait à sa profession et aux exemples de son excellent père, dont il garda jusqu'à la fin le plus pieux et le plus tendre souvenir.

Trois mois avant la mort de Lenôtre, le roi2, qui aimait à le voir et à le faire causer, le mena dans ses jardins, et, à cause de son grand âge (il avait 88 ans), le fit mettre dans une chaise3 que des porteurs roulaient à côté de la sienne, et Lenôtre disait là: « Ah! mon pauvre père, si tu vivais et que tu pusses voir un pauvre jardinier comme moi, ton fils, se promener en chaise à côté du plus grand roi du monde, rien ne manquerait à ma joie. »

SAINT-SIMON.

1. A l'égal de vous-même, comme vous-même: locution elliptique, pour: « comme on vous respecte vous-même. "

2. Le roi Louis XIV. L'un des plus grands rois qu'ait eus la France. Né en 1638, mort en 1715.

3. Chaise. Chaise à porteurs. Espèce de fauteuil couvert, reposant sur des roues ou des pieds, et que des porteurs roulaient ou portaient. Les chaises à porteurs ont été fort en usage jusqu'au XVIIe siècle.

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46.

L'aisance et le bonheur dans la médiocrité.

L'ordre, l'économie, le travail, un petit commerce et surtout la frugalité, nous entretenaient dans l'aisance2. Le petit jardin produisait presque assez de légumes pour les besoins de la maison, l'enclos3 nous donnait des fruits, et nos coings', nos pommes, nos poires, confits au miel de nos abeilles, étaient durant l'hiver, pour les enfants et pour les bonnes vieilles, les déjeuners les plus exquis. Le troupeau de la bergerie de Saint-Thomas habillait de sa laine tantôt les femmes et tantôt les enfants; mes tantes la filaient; elles filaient aussi le chanvre du champ qui nous donnait du linge; et les soirées, où, à la lueur d'une lampe qu'alimentait l'huile de nos noyers, la jeunesse du voisinage venait teiller avec nous ce beau chanvre, formaient un tableau ravissant. La récolte des grains de la petite métairie assurait notre subsistance; la cire et le miel des abeilles, que l'une de mes tantes cultivait avec soin, étaient un revenu qui coûtait peu de frais; l'huile exprimée de nos noix encore fraîches avait une saveur, une odeur que nous préférions au goût et au parfum de celle de l'olive. Nos galettes de sarrasin 7, humectées, toutes brûlantes, de ce bon beurre du Mont-Dore, étaient pour nous le plus friand régal. Je ne sais pas quel mets nous eût paru mcilleur que nos raves et nos châtaignes; et en hiver, lorsque ces belles raves grillaient le soir à l'entour du foyer, ou que nous entendions. bouillonner l'eau du vase où cuisaient ces châtaignes si savoureuses et si douces, le cœur nous palpitait de joie. Je me sou

10

1. La frugalité. Habitude de se nourrir de mets simples et peu variés.

2. Aisance. État où l'on peut satisfaire facilement à tous les besoins de la vie 3. L'enclos. Petit champ voisin de la maison d'habitation, entouré d'une hạio ou d'un mur, et où l'on cultive les fruits et les légumes pour le ménage.

4. Coings. Espèce de grosses poires, jaunes, dures, qui se mangent cuites et qui servent à faire des compotes et des confitures.

5. Teiller. Casser la tige du chanvre pour en extraire la filasse qui y est attachée. Cette opération facile et peu pénible se fait pendant les veillées, et donne lieu, dans la campagne, à des réunions fort joyeuses.

6. Metairie. Domaine dont les récoltes sont partagées entre le propriétaire du du sol et le laboureur qui le cultive.

7. Sarrasin. Connu aussi sous le nom de blé noir, à cause de la couleur de son grain, de la grosseur de celui du blé, mais taillé en angle. Il se sème en été. La fleur est blanche, et on le récolte en automne. Son grain, réduit en farine, donne un pain grossier. Il sert aussi à nourrir la volaille.

8. Mont-Dore. Montagne d'Auvergne entre le Puy-de-Dôme et le Cantal.

9. A l'entour du foyer. A l'entour est un adverbe et ne peut avoir de régime. Il faudrait dire autour du foyer.

10. Savoureuses. Qui a une bonne saveur. qui est sapide, mots de la même famille.

viens aussi du parfum qu'exhalait un beau coing rôti sous la cendre, et du plaisir qu'avait notre grand'mère à le partager entre nous. La plus sobre des femmes nous rendait tous gourmands. Ainsi, dans un ménage où rien n'était perdu, de petits objets réunis entretenaient une sorte d'aisance, et laissaient peu de dépense à faire pour suffire à tous nos besoins. Le bois mort dans les forêts voisines était en abondance et presque en nonvaleur ; il était permis à mon père d'en tirer sa provision. L'excellent beurre de la montagne et les fromages les plus délicats étaient communs et coûtaient peu; le vin n'était pas cher, et mon père lui-même en usait sobrement'.

1

47. Le grillon.

Un pauvre petit grillon,
Caché dans l'herbe fleurie,
Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

MARMONTEL

L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs:
L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes;
Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs,
Prenant et quittant les plus belles.

« Ah! disait le grillon, que son sort et le mien
Sont différents! Dame Nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.

Je n'ai point de talents, encor moins de figure;
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas:
Autant vaudrait n'exister pas. »>
Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfants :

Aussitôt les voilà courants

Après ce papillon dont ils ont tous envie.
Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper;
L'insecte vainement cherche à leur échapper;
Il devient bientôt leur conquête.

L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient, et le prend par la tête:
Il ne fallait pas tant d'efforts

1. En non-valeur. Sans valeur effective. Le bois. mort étant commun dans les grandes forêts n'y a pas une valeur réalisable, parce qu'on ne trouve personne pour l'acheter.

2. Sobrement. Modérément, en petite quantité. De là la différence entre frugalilé et sobriété.

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