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Penche-t-elle un front sans couleur1

Dans la solitaire vallée;

Une obscure et triste vapeur
Voile nos rives désolées ;

Et sur les forêts branlées
Les vents soufflent avec fureur.
Ah! sous ces forêts sans ombrages,
Le long des coteaux désleuris,
Le soir au bruit sourd de l'orage,
Marchant sur de tristes débris,
J'irai voir le dernier feuillage
Tomber sur les gazons flétris.
Cédant à la mélancolie?
Là, des amis que j'ai perdus
J'appellerai l'ombre chérie 3,
Et les sens doucement émus,
Je laisserai couler ma vie
En occupant ma rêverie

3

Des jours où je ne serai plus.

26. L'orage.

AIME MARTIN.

On voit à l'horizon, de deux points opposés,
Des nuages monter dans les airs embrasés;
On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre;
D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre:
Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé,
Et, le long du vallon, le feuillage a tremblé.
Les monts ont prolongé le lugubro murmure
Dont le son lent et sourd attriste la nature';
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur,
Et la terre, en silence, attend dans la terreur.
Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre

1. Un front sans couleur. Les fleurs qui survivent à la fin de l'automne ont peu d'éclat.

2. Mélancolie. Disposition de l'âme à la tristesse, tristesse douce et rêveuse. 3. J'appellerai l'ombre chérie. Je rappellerai dans ma mémoire l'image chérie, j'évoquerai le souvenir. Le mot ombre est employé pour image, par allusion à la la croyance des poëtes anciens, qui représentaient l'Élysée ou le séjour des morts peuplé d'ombres sans réalité, mais présentant l'apparence ou les traits des personnes dont elles étaient les ombres.

4. Vers d'un bel effet comme harmonie imitative. Même remarque sur plusieurs des vers qui suivent.

Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre ';
Le nuage élargi les couvre de ses flancs;
Il pèse sur les airs tranquilles et brûlants.
Mais des traits embrasés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue :
Elle redouble, vole, éclate dans les airs;

Leur nuit est plus profonde, et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide 2.
Du couchant enflammé s'avance un vent rapide;
Il tourne sur la plaine, et rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l'airain sonnant3, dans les temples sacrés
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternéc
Te demander le prix des travaux de l'année.
Hélas! du ciel en feu les globules glacés 4
Écrasent, en tombant, les épis renversés.
Le tonnerre et les vents déchirent les nuages.
Le fermier de ses champs contemple les ravages,
Et presse dans ses bras ses enfants effrayés.
La foudre éclate, tombe; et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes,
Qui courent en torrents sur les plaines fécondes.
O récolte! ô moissons! tout périt sans retour :
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.

27.- La feuille.

De ta tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu? Je n'en sais rien :

SAINT-LAMBERT

1. Grisatre. De gris. Remarquer la terminaison qui ajoute une idée particulière au mot racine: vert, verdâtre; noir, noirâtre.

2. Pâle et livide. Pâle indique une blancheur mate, sans reflets d'autres couleurs; livide indique un blanc terne se rapprochant du vert ou du gris..

3. L'airain sonnant. Les cloches faites avec de l'airain. Les peuples égarés. Effrayés, que la frayeur égare.

4. Les globules glacés. Les grêlons. La grêle se forme surtout après de grandes chaleurs et accompagne d'ordinaire les orages.

5. Exclamations pleines de sentiment. Ellipse suffisamment expliquée par la phrase qui suit.

L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer,
Je vais où va toute chose,

Où va la feuille de rose

Et la feuille de laurier.

28.

Le départ des hirondelles.

ARNAULT.

Le ciel était beau le matin, mais avec un vent qui soufflait de la Vendée. Peu à peu le temps se voila, le ciel devint fort gris, le vent tomba, tout devint morne. C'est alors, vers quatre heures, qu'en même temps de tous les points, et du bois, et de l'Erdre, et de la ville, et de la Loire, de la Sèvre, je pense, d'infinies légions à obscurcir le jour vinrent se condenser sur l'église, avec mille voix, mille cris, des débats, des discussions. Sans savoir cette langue, nous devinions très-bien qu'on n'était pas d'accord. Peut-être les jeunes, retenus par ce souffle tiède d'automne, auraient voulu rester encore. Mais les sages, les expérimentés, les voyageurs éprouvés insistaient pour le départ. Ils prévalurent; la masse noire, s'ébranlant à la fois comme un immense nuage, s'envola vers le sud-est, probablement vers l'Italie. Ils n'étaient pas à trois cents lieues (quatre ou cinq heures de vol) que toutes les cataractes du ciel s'ouvrirent pour abîmer la terre; nous crûmes un moment au déluge. Retirés dans notre maison qui tremblait aux vents furieux, nous admirions la sagesse des devins ailés qui avaient si prudemment devancé l'époque annuelle.

6

MICHELET.

1. Sans me plaindre ou. La régularité grammaticale demanderait ni.

2. A la mort, où arrivent également la beauté, symbolisée par la feuille de rose, et la gloire, symbolisée par la feuille de laurier.

3. Vendée. Département formé de l'ancienne province, le Poitou.

4. L'Erdre. Nom d'une petite rivière qui se jette dans la Loire.

5. La Loire. Un des grands fleuves de France, qui se jette dans l'Océan.

vre. Un des affluents de la Loire.

6. Cataracte. Amas d'eau qui se précipite et forme une chute.

La Sè

29. - L'hiver.

Arbres dépouillés de verdure,
Malheureux cadavres des bois,
Que devient aujourd'hui cette riche parure
Dont je fus charmé tant de fois?

Je cherche vainement dans cette triste plaine
Les oiseaux, les zéphyrs, les ruisseaux argentés;
Les oiseaux sont sans voix, les zéphyrs sans haleine,
Et les ruisseaux dans leur cours arrêtés.

Les aquilons fougueux règnent seuls sur la terre,
Et mille horribles sifflements

Sont les trompettes de la guerre

Que leur fureur déclare à tous les éléments3.

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L'hiver a ses beautés. Que j'aime et des frimas
L'éclatante blancheur et la glace brillante,
En lustres azurés à ces roches pendante'!
Et quel plaisir encor, lorsque échappé dans l'air,
Un rayon du printemps vient embellir l'hiver;

Et, tel qu'un doux souris qui naît parmi les larmes,
A la campagne en deuil rend un moment ses charmes!
Qu'on goûte avec transport cette faveur des cieux !
Quel beau jour peut valoir ce rayon précieux,
Qui, du moins un moment, console la nature?
Et, si mon œil rencontre un reste de verdure,
Dans les champs dépouillés combien j'aime à le voir!
Au plus doux souvenir il mêle un doux espoir;
Et je jouis, malgré la froidure cruelle,

Des beaux jours qu'il promet, des beaux jours qu'il rappelle.

DELILLE.

1. Cadavres. L'application de ce mot aux arbres qui semblent morts pendant l'hiver, mais qui reverdiront au printemps, manque un peu d'exactitude et aussi de goût.

2. Les aquilons. L'aquilon est le vent qui souffle du nord. On donne ce nom à tout vent violent et impétueux.

3. Éléments. Pour à toute la nature que les anciens croyaient composée seulement de quatre éléments: l'eau, la terre, l'air et le feu.

4. Phrase d'une construction lourde et embarrassée.

5. Charmante image. Le mot souris s'écrit plus ordinairement sourire.

31. Vicissitudes des saisons de l'année et des âges de
la vie humaine.

Voyez comme l'année, en son cours qui varie,
Se partage en saisons, images de la vie.

Le Printemps, jeune enfant bercé par les zéphyrs,
Se couronne de fleurs et sourit aux plaisirs.
Le blé, du laboureur espérance fragile,
Nourrit de sucs laiteux son enfance débile;
Et le fruit en bouton se cache sous les fleurs,
De dons plus précieux frêles avant-coureurs'.
L'Été, fils du soleil, coloré par le håle3,

Succède au doux printemps plus robuste et plus mâle.
C'est dans cette saison que l'an plus vigoureux
Enfante plus de fruits, brûle de plus de feux.
L'Automne, déjà mûr sans être vieux encore,
S'enrichit des trésors que l'été fit éclore;
De la jeunesse en lui les feux sont amortis;

Même on peut sur son front compter des cheveux gris.
L'Hiver, glacé du froid que souffle son haleine,
Le suit à pas tremblants et chemine avec peine.
Son front, chauve et neigeux, et battu par les vents,
Ou n'a plus de cheveux, ou n'en a que de blancs.

Ainsi que les saisons on voit changer les hommes :
Ce qu'hier nous étions, ce qu'aujourd'hui nous sommes,
Demain, faibles mortels, nous ne le serons plus.

32.

SAINT-ANGE (Traduction d'Ovide).

Un počte à son pétit logis.

Petit séjour, commode et sain
Où des arts et du luxe en vain
On chercherait quelque merveille;
Humble asile, où j'ai sous la main
Mon La Fontaine et mon Corneille,
Où je vis, m'endors et m'éveille
Sans aucun soin du lendemain,
Sans aucun remords de la veille;
Retraite où j'habite avec moi,

1. Frêles avant-coureurs. Fréles, délicats, fragiles; avant-coureurs, qui viennent avant, qui précèdent. Les fleurs annoncent et promettent les fruits.

2. Le hâle. Le grand air. L'haleine des vents en plein air.

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