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DE

MORCEAUX CHOISIS

LIVRE PREMIER

EXPLICATION

DE LA FABLE LE GRILLON' DE FLORIAN AU POINT

DE VUE DU SENS

Le Maître avant de donner la fable à apprendre commence par la lire lui-même, en s'efforçant, par le ton de voix et les inflexions convenables, d'en bien rendre le sens, et de faire ressortir les intentions de l'auteur.

Il la fait ensuite répéter à l'un de ceux qui lisent le plus correctement et dont l'organe est le plus souple et la voix la plus juste. Après cette double lecture, les élèves comprennent de quoi il est question, et ont été frappés des traits les plus saillants.

Il s'agit de reconnaître la justesse de ces premiers aperçus, de les étendre, de les compléter par les explications de détails nécessaires, et de mettre les élèves à même de répéter de vive voix le récit, sans en omettre aucune partie importante.

Le Maitre. Comprenez-vous bien le sujet de la fable qu'on vient de lire?

L'Élève. - Je le crois. M. De quoi y est-il question? E. D'un grillon et d'un papillon. Le grillon porte envie au papillon, lorsque arrive une troupe d'enfants qui mettent ce dernier en pièces. Alors le grillon reconnaît qu'il a eu tort de se plaindre de sa condition.

M. Voilà, en effet, à peu près le sujet, mais le sujet dépouillé des traits qui lui donnent sa grâce et son caractère. 1. Voyez cette fable, p. 19.

Essayons d'en retrouver quelques-uns. Et d'abord tâchons de bien connaître nos personnages. Qu'est-ce qu'un grillon, car pour le papillon, vous en avez tous vu. Il n'en est peut-être pas de même du grillon pour plusieurs d'entre vous? · E. Je le connais également, j'en ai vu dans les champs on en trouve aussi dans les maisons: ils se tiennent près du foyer, et font entendre le soir un petit cri triste et monotone que j'ai bien souvent remarqué. Ceux des maisons sont noirs, ceux des jardins ont le corps d'un beau vert avec des nuances changeantes: on les appelle encore des sergents.

M. Voilà bien le signalement général d'un grillon; mais il s'agit de celui de notre fable, et il ne faut pas seulement connaître sa robe: il est bon de connaître aussi son caractère. Vous savez bien que ce n'est pas sur la mine seule qu'il faut juger les gens. Quel est donc le caractère du grillon qui nous occupe? Vous semblez embarrassé. Il est vrai que l'auteur ne parle pas de son caractère, mais il fait parler et agir le grillon, c'est à nous à le juger d'après ses paroles et ses actes.

Voyons donc ce que fait notre grillon. Nous le trouvons caché dans l'herbe fleurie. Il regarde un papillon qui voltige dans la prairie; il admire l'éclat de ses ailes, la liberté de ses allures, le bonheur de pouvoir courir comme lui de fleurs en fleurs: il lui envie ces avantages. Nous avons donc affaire à un petit grillon sans expérience, oisif, imprudent, vaniteux, et que son inexpérience et sa vanité font bientôt envieux et jaloux. Aussitôt l'envie et la jalousie produisent en lui leurs effets ordinaires. Elles le rendent ingrat et injuste envers la Providence : Dame nature pour lui fit tout, et pour moi rien. Elles déprécient à ses yeux tous les avantages qu'il en a reçus : Je n'ai point de talent, encor moins de figure. Elles aigrissent son orgueil blessé : Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas. Elles le rendent enfin profondément malheureux: Autant vaudrait n'exister pas. Voilà donc notre petit grillon parfaitement caractérisé et dépeint'. Que se passe-t-il? Survient une troupe d'enfants, et voilà que précisément les avantages que le grillon enviait au papillon, c'est-à-dire l'éclat de ses couleurs, la vivacité de son vol, attirent l'attention de ces enfants, et amènent non pas seu

1. Ces diverses cbservations peuvent être provoquées par les questions du maître, qui doit chercher à les obtenir directement des élèves. Comme cette marche exigerait des développements et un espace que la nature de ce livre nous interdit, nous avons été obligés de les présenter sans interruption, en les mettant dans la bouche du maître; mais il est facile de voir la place de ces questions et la manière dont il convient de les poser.

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lement la captivité, mais la mort violente du brillant insecte. Cette catastrophe éclaire enfin le grillon sur l'imprudence de ses désirs; mais si elle lui donne plus de prudence, elle ne détruit pas entièrement les tristes effets de la jalousie qui tarit, dans les cœurs dont elle s'empare, la bonté et la générosité. Le grillon reste insensible à la triste fin du papillon; il ne lui échappe aucun accent de plainte ou de pitié sur sa mort; il ne songe qu'à vivre heureux dans sa retraite profonde. Ainsi l'envie le rendait malheureux, et elle le laisse insensible et égoïste.

Les personnages principaux nous sont maintenant assez bien connus. N'y en a-t-il pas d'autres qui figurent dans la scène que l'auteur nous raconte?

E. Il y a aussi les enfants qui sont épris de la beauté du papillon, de l'éclat de ses ailes, et qui le poursuivent pour s'en emparer. A l'aide de leurs mouchoirs, de leurs chapeaux, ils parviennent bientôt à l'atteindre. Puis, comme chacun veut l'avoir, ils finissent par le mettre en pièces.

M. La scène à laquelle l'auteur nous fait assister se déroule donc entièrement sous nos yeux. Essayez de la reproduire. E. Nous voyons d'abord le grillon caché sous l'herbe, puis l'imprudent papillon qui voltige étourdiment de fleurs en fleurs, et jouit sans précaution de la liberté que lui donnent ses ailes. Ensuite nous voyons arriver les enfants, nous sommes témoins de leurs courses et de leurs efforts pour s'emparer du brillant insecte dont la beauté attire leurs yeux et excite leur envie. Nous le voyons succomber à leurs attaques et nous assistons à sa douloureuse agonie. Le grillon, qui en est témoin avec nous, comprend alors l'avantage de son obscurité qui le met à l'abri d'un semblable malheur, et s'arrange pour vivre heureux dans sa retraite profonde.

M. Est-ce là un récit vrai, c'est-à-dire le récit d'un événement réel et dont l'auteur a été témoin?

E. Non. C'est le récit d'une scène imaginée par l'auteur, et dans laquelle il fait même parler des êtres qui ne sont pas doués de la parole. Ce récit est une fable.

M. Pour quel but l'auteur a-t-il donc écrit le récit de cette action imaginaire?

E. Dans l'intention de nous.intéresser et de nous instruire, en nous offrant des descriptions qui nous charment, des scènes qui nous émeuvent, et des personnages dont les actions et les discours nous font voir ce qu'il faut éviter et ce qu'il faut imiter. M. Mais puisque ces personnages ne sont pas réels, puisque

ce sont souvent des animaux dénués de raison, et même des êtres inanimés que les fabulistes font agir et parler, comment pouvonsnous en recevoir des leçons et des exemples?... Cette question vous embarrasse; elle exige quelques explications pour vous mettre à même d'y répondre.

Un fabuliste ou un auteur de fables se propose, comme vous Y'avez fort bien dit, de nous intéresser de nous instruire en nous montrant par le récit d'actions imaginaires, et par les actions et les discours de personnages fictifs, ce que nous devons imiter et ce que nous devons éviter. Il prête donc à ces personnages fictifs, aux animaux, aux plantes, aux objets inanimés qu'il introduit comme acteurs, des volontés, des actes, des sentiments, des pensées semblables à celles que les créatures raisonnables éprouveraient dans les circonstances où ces acteurs fictifs sont placés.

Il leur fait tirer des faits dont ils sont les acteurs ou les témoins les mêmes conséquences que les créatures raisonnables pourraient elles-mêmes en tirer. Ainsi dans la fable du Loup et de l'Agneau, le loup joue le rôle d'un homme qui abuse de sa force et qui ne consulte que la violence et l'injustice, tandis que l'agneau joue celui d'un homme qui n'a pour sa défense que le bon droit et l'innocence.

Cherchez donc maintenant à découvrir le rôle que remplit de la même manière chacun des personnages introduits par l'auteur de la fable du Grilon, et quels enseignements il nous donne.

Commençons par le papillon. Quel vous paraît être son rôle? 5. Celui d'un étourdi qui se plaît à étaler sa jeunesse et sa beauté, qui jouit imprudemment de la liberté qu'il doit à ses ailes, et qui n'a aucun souci des dangers auxquels il s'expose.

M. Quelles sont les conséquences de cette imprudence, et quel enseignement en résulte-t-il pour nous?

E. L'éclat de sa beauté et les actes de liberté dont il est si vain attirent précisément les attaques des enfants, et il est mis en pièces par eux. C'est donc un avertissement de ne pas faire étalage des avantages qu'on possède, de peur d'attirer l'envie, et de se voir dépouillé misérablement.

5. Et quel rôle jouent les enfants qui sont les auteurs de sa perte? Vous paraissez embarrassé? Craignez-vous donc d'apprécier comme il convient la part qu'ils ont dans ce petit drame? Cette part n'a-t-elle rien de blâmable? Examinez bien leur conduite. Ce papillon leur avait-il fait du mal? leur en faisait-il?

E. Non. M. Dès lors avaient-ils le droit de lui en faire et de l'attaquer? — E. Non. - M. Ils ont donc été injustes et cruels en

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