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les fins et les moyens, qu'il sait diriger ses actions, concerter ses opérations, mesurer ses mouvements, vaincre la force par l'esprit, et la vitesse par l'emploi du temps.

Cependant parmi les animaux les uns paraissent être plus ou moins familiers, plus ou moins sauvages, plus ou moins doux, pl s ou moins féroces que l'on compare la docilité et la soumiss on du chien avec la fierté et la férocité du tigre, l'un paraît être l'ami de l'homme et l'autre son ennemi; son empire sur les animaux n'est donc pas absolu : combien d'espèces savent se soustraire à sa puissance par la rapidité de leur vol, par la légèreté de leur course, par l'obscurité de leur retraite, par la distance que met entre eux et l'homme l'élément qu'ils habitent! combien d'autres espèces lui échappent par leur seule petitesse! et enfin combien y en a-t-il qui, bien loin de reconnaître leur souverain, l'attaquent à force ouverte '!

C'est par les talents de l'esprit et non par la force et les autres qualités de la matière, que l'homme a su subjuguer les animaux. Il a fallu qu'il fût civilisé lui-même pour savoir instruire et commander, et l'empire sur les animaux, comme tous les autres empires, n'a été fondé qu'après la société. C'est d'elle que l'homme tient sa puissance, c'est par elle qu'il a perfectionné sa raison, exercé son esprit et réuni ses forces; auparavant l'homme était peut-être l'animal le plus sauvage et le moins redoutable de tous; nu, sans armes et sans abri, la terre n'était pour lui qu'un vaste désert peuplé de monstres, dont souvent il devenait la proie; et même longtemps après, l'histoire nous dit que les premiers héros n'ont été que des destructeurs de bêtes 2.

Mais lorsque avec le temps l'espèce humaine s'est étendue, multipliée, répandue, et qu'à la faveur des arts et de la société, l'homme a pu marcher en force pour conquérir l'univers, il a fait reculer peu à peu les bêtes féroces, il a purgé la terre de ces animaux gigantesques dont nous trouvons encore les ossements énormes, il a détruit ou réduit à un petit nombre d'individus les espèces voraces et nuisibles, il a opposé les animaux aux animaux, et, subjuguant les uns par adresse, domptant les autres par la force, ou les écartant par le nombre et les attaquant tous par des moyens raisonnés, il est parvenu à se mettre en sûreté, et à établir un empire qui n'est borné que par des lieux inacces

1. Rapprocher ce morceau des suivants, ainsi que de ceux des deux premiers livres sur des sujets analogues. Ce rapprochement seul sert à expliquer les uns par les autres.

2. Allusion aux exploits d'Hercule et de Thésée.

sibles, les solitudes reculées, les sables brûlants, les montagnes glacées, les cavernes obscures, qui servent de retraites au petit nombre d'espèces d'animaux indomptables.

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Les uns, et ce sont les plus doux, les plus innocents, les plus tranquilles, passent leur vie dans nos campagnes; ceux qui sont plus défiants, plus farouches, s'enfoncent dans les bois; d'autres, comme s'ils savaient qu'il n'y a nulle sûreté sur la surface de la terre, se creusent des demeures souterraines, se réfugient dans des cavernes, ou gagnent les sommets des montagnes inaccessibles; enfin les plus féroces, ou plutôt les plus fiers, n'habitent que les déserts, et règnent en souverains dans ces climats brùlants où l'homme aussi sauvage qu'eux ne peut leur disputer l'empire.

Ces animaux sauvages et libres sont peut-être, sans même en excepter l'homme, de tous les êtres vivants les moins sujets aux altérations, aux changements, aux variations de tout genre: comme ils sont absolument les maîtres de choisir leur nourriture et leur climat, et qu'ils ne se contraignent pas plus qu'on ne les contraint, leur nature varie moins que celle des animaux domestiques, que l'on asservit, que l'on transporte, que l'on maltraite, et qu'on nourrit sans consulter leur goût. Les animaux sauvages vivent constamment de la même façon; on ne les voit pas errer de climat en climat; le bois où ils sont nés est une patrie à laquelle ils sont fidèlement attachés : ils s'en éloignent rarement, et ne la quittent jamais que lorqu'ils sentent qu'ils ne peuvent y vivre en sûreté. Et ce sont moins leurs ennemis qu'ils fuient, que la présence de l'homme; la nature leur a donné des moyens et des ressources contre les autres animaux; ils sont de pair avec eux, ils connaissent leur force et leur adresse, ils jugent leurs desseins, leurs démarches; et s'ils ne peuvent les éviter, au moins ils se défendent corps à corps: ce sont, en un mot, des espèces de leur genre'. Mais que peuvent-ils contre des êtres qui savent les trouver sans les voir, et les abattre sans les approcher?

BUFFON.

1. Des espèces de leur genre. La raison, l'intelligence qui caractérise l'homme en fait un genre à part des autres animaux. Ces animaux dénués de raison se subdivisent en plusieurs espèces d'après la diversité de leur conformation, et les espèces à leur tour en familles; mais ces espèces comme ces familles appartiennent au même genre dont l'homme lui-même ferait partie s'il n'en était pas distinguo par la raison.

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Certains animaux paraissent faits pour l'homme. Le chien est né pour le caresser, pour se dresser comme il lui plaît, pour lui donner une image agréable de société, d'amitié, de fidélité et de tendresse, pour garder tout ce qu'on lui confie, pour prendre à la course beaucoup d'autres bêtes avec ardeur, et pour les laisser ensuite à l'homme, sans en rien retenir. Le cheval et les autres animaux semblables se trouvent sous la main de l'homme, pour le soulager dans son travail, et pour se charger de mille fardeaux. Ils sont nés pour porter, pour marcher, pour soulager l'homme dans sa faiblesse, et pour obéir à tous ses mouvements. Les bœufs ont la force et la patience en partage, pour traîner la charrue et pour labourer. Les vaches donnent des ruisseaux de lait. Les moutons ont, dans leur toison, un superflu qui n'est pas pour eux, et qui se renouvelle pour inviter l'homme à les tondre toutes les années. Les chèvres mêmes fournissent un crin long, qui leur est inutile, et dont l'homme fait des étoffes pour se couvrir. Les peaux des animaux fournissent à l'homme les plus belles fourrures, dans les pays les plus éloignés du soleil. Ainsi l'auteur de la nature a vêtu ces bêtes selon leur besoin; et leurs dépouilles servent encore ensuite d'habits aux hommes, pour les réchauffer dans ces climats glacés.

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L'été, lorsque du ciel tombe enfin la nuit fraîche,
Les bestiaux, tout le jour retenus dans la crèche,
Vont errer librement: au pied des verts coteaux,
Ils suivent pas à pas les longs détours des eaux,
S'étendent dans les prés, ou dans la vapeur brune
Hennissent bruyamment aux rayons de la lune.
Alors, de sa tanière attiré par leurs voix,

Les yeux en feu, le loup, comme un trait sort du bois,
Tue un jeune poulain, étrangle une génisse;

Mais avant que sur eux l'animal ne bondisse,
Souvent tout le troupeau se rassemble, et les bœufs,
Les cornes en avant, se placent devant eux.

Le loup rôde à l'entour, ouvrant sa gueule ardente,
Et hurlant, il se jette à leur gorge pendante;
Mais il voit de partont les fronts noirs se baisser,
Et des cornes toujours prêtes à le percer

Enfin, lâchant sa proie, il fuit, lorsqu'une balle
L'atteint, et les bergers, en marche triomphale,
De hameaux en hameaux promènent son corps mort.

BRIZEUX.

14. L'accuell du chien.

Le chien seul en jappant s'élança sur mes pas',
Bondit autour de moi de joie et de tendresse,
Se roula sur mes pieds enchaînés de caresse,
Léchant mes mains, mordant mon habit, mon soulier,
Sautant du seuil au lit, de la chaise au foyer,

2

Fêtant toute la chambre et semblant aux murs même,
Par ses bonds et ses cris, annoncer ce qu'il aime,
Puis sur mon sac poudreux à mes pieds étendu
Me couva d'un regard dans le mien suspendu.
Me pardonnerez-vous, vous qui n'avez sur terre
Pas même cet ami du pauvre solitaire?
Mais ce regard si doux, si triste de mon chien,
Fit monter de mon cœur des larmes dans le mien3.
J'entourai de mes bras son cou gonflé de joie;

Des gouttes de mes yeux roulèrent sur sa soie':

« O pauvre et seul ami, viens, lui dis-je, aimons-nous ! Car partout où Dieu mit deux cœurs, s'aimer est doux ! »

12.- Le cheval de bataille.

LAMARTINE.

Vois ce coursier! son pied frappe et creuse la terre,
Son regard lance au loin la flamme et la fureur;
Son fier hennissement, émule du tonnerre,
Inspire la terreur.

De son robuste cou, sa mouvante crinière
Et s'agite, et bondit, et retombe à longs flots:
Il vole avec orgueil, et sa fougue guerrière

S'indigne du repos.

Son belliqueux essor court au-devant des armes.
Il se rit de la peur, et d'audace brûlant,

4. C'est un voyageur rentrant chez lui qui parle.

2. Le sac contenant le bagage du voyageur.

3. Construction cubarrassée. Le poëte veut dire : "Fit monter des larmes de mon cœur dans mon regard ou mes yeux. »

4. Des larmes tombèrent sur son poil soyeux.

Il défie, intrépide au plus fort des alarmes,
Le glaive étincelant.

En vain le javelot, et l'épée, et la lance

Sur lui font rayonner leurs clartés et leurs feux :
Son œil s'allume encore à l'éclair qui s'élance
De l'acier lumineux.

Il écume, il frémit, il dévore la terre :
Si la trompette sonne, à ses bruyants éclats
Il dit : « Allons! » De loin il respire la guerre
Et l'odeur des combats.

13. - Le réveil des oiseaux.

CHÊNEDOLIĆ,

Le merle s'élève secouant la rosée de ses plumes brillantes. Le voilà qui aiguise son bec sur la branche, et, de rameau en rameau, sautille jusqu'au sommet de l'érable où il a dormi, étonné de voir que presque tout sommeille encore dans la forêt, quand l'aube du jour a remplacé la nuit. Deux fois, trois fois, il lance sa fanfare aux échos de la montagne et de la vallée, qu'un épais brouillard lui dérobe encore.

De minces colonnes de fumée blanchâtre s'échappent du toit des chaumières; les chiens jappent autour des fermes, et les clochettes sonnent au cou des vaches. Les oiseaux quittent alors leurs buissons, agitent leurs ailes, et s'élançent dans les airs pour saluer le soleil qui vient une fois de plus leur donner sa bienfaisante lumière. Plus d'un pauvre petit moineau se réjouit d'avoir échappé aux dangers de la nuit. Perché sur une petite branche, il avait cru pouvoir dormir sans crainte, la tête ensevelie sous ses plumes, quand, à la lueur d'une étoile, il a vu se glisser dans les arbres la chouette 'silencieuse, méditant quelque forfait. La iouine' était venue du fond de la vallée, l'hermine était descendue du rocher, la martre des sapins avait quitté son nid, le renard rodait dans les broussailles. Tous ces ennemis, le pauvre petit les avait vus pendant cette nuit terrible. Sur son arbre, à terre, dans l'air, partout la destruction le menaçait. Qu'elles avaient été longues ces heures où, n'osant bouger, il n'avait pour protection que les jeunes feuilles qui le cachaient! Aussi, maintenant quel plaisir pour lui de s'élancer à tire-d'aile, de vivre en sécurité, protégé, défendu par la lumière.

1. La chouette. Oiseau de proie nocturne. La fouine, l'hermine, la martre Quadrupedes carnassiers qui font la guerre aux petits oiseaux, et ainsi que la chouette les attaquent surtout pendant la nuit.

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