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LE roi a voulu donner à madame la Dauphine une fête qui ne fût pas feulement un de ces fpectacles pour les yeux, tels que toutes les nations peuvent les donner, et qui, paffant avec l'éclat qui les accompagne, ne laissent après eux aucune trace. Il a commandé un spectacle qui pût à la fois fervir d'amufement à la cour, et d'encouragement aux beaux arts, dont il fait que la culture contribue à la gloire de fon royaume. M. le duc de Richelieu, premier gentilhomme de la chambre en exercice, a ordonné cette fête magnifique.

Il a fait élever un théâtre de cinquante-fix pieds de profondeur dans le grand manége de Versailles, et a fait conftruire une falle, dont les décorations et les embelliffemens font tellement ménagés que tout ce qui fert au spectacle doit s'enlever en une nuit, et laiffer la falle ornée pour un bal paré, qui doit former la fête du lendemain.

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Le théâtre et les loges ont été construits avec la magnificence convenable, et avec le goût qu'on connaît depuis long-temps dans ceux qui ont dirigé ces préparatifs.

On a voulu réunir fur ce théâtre tous les talens qui pourraient contribuer aux agrémens Théâtre. Tome IX.

D

de la fête, et raffembler à la fois tous les charmes de la déclamation, de la danse et de la mufique, afin que la perfonne auguste, à qui cette fête eft confacrée, pût connaître tout d'un coup les talens qui doivent être dorénavant employés à lui plaire.

On a donc voulu que celui qui a été chargé de composer la fête fît un de ces ouvrages dramatiques, où les divertiffemens en mufique forment une partie du sujet, où la plaisanterie fe mêle à l'héroïque, et dans lefquels on voit un mélange de l'opéra; de la comédie et de la tragédie.

On n'a pu ni dû donner à ces trois genres toute leur étendue; on s'est efforcé feulement de réunir les talens de tous les artistes qui fe diftinguent le plus, et l'unique mérite de l'auteur a été de faire valoir celui des autres.

Il a choisi le lieu de la fcène fur les frontières de la Castille, et il en a fixé l'époque sous le roi de France Charles V, prince jufte, sage et heureux, contre lequel les Anglais ne purent prévaloir, qui fecourut la Caftille, et qui lui donna un monarque.

Il eft vrai que l'hiftoire n'a pu fournir de femblables allégories pour l'Efpagne, car il y

régnait alors un prince cruel, à ce qu'on dit, et sa femme n'était point une héroïne dont les enfans fuffent des héros. Prefque tout l'ouvrage eft donc une fiction dans laquelle il a fallu s'affervir à introduire un peu de bouffonnerie, au milieu des plus grands intérêts, et des fêtes au milieu de la guerre.

Ce divertiffement a été exécuté le 23 février 1745, vers les fix heures du foir. Le roi s'eft placé au milieu de la falle, environné de la famille royale, des princes et princeffes de fon fang, et des dames de la cour, qui formaient un fpectacle beaucoup plus beau que tous ceux qu'on pouvait leur donner.

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Il eût été à défirer qu'un plus grand nombre de Français eût pu voir cette affemblée, tous les princes de cette maison qui eft fur le trône longtemps avant les plus anciennes du monde cette foule de dames parées de tous les ornemens qui font encore des chefs-d'œuvre du goût de la nation, et qui étaient effacés par elles; enfin cette joie noble et décente qui occupait tous les cœurs, et qu'on lifait dans tous les yeux.

On eft forti du spectacle à neuf heures et demie, dans le même ordre qu'on était entré ; alors on a trouvé toute la façade du palais et des écuries illuminée. La beauté de cette fête

n'est qu'une faible image de la joie d'une nation qui voit réunir le fang de tant de princes auxquels elle doit fon bonheur et fa gloire.

Sa Majesté, fatisfaite de tous les foins qu'on a pris pour lui plaire, a ordonné que ce spectacle fût représenté encore une feconde fois.

DE LA FETE POUR LE MARIAGE

DE MONSIEUR

LE DAUPHIN.

LE SOLEIL defcend dans fon char et prononce ces paroles.

L'INVENTEUR

'INVENTEUR des beaux arts, le Dieu de la lumière, Defcend du haut des cieux dans le plus beau féjour Qu'il puiffe contempler en sa vaste carrière.

La gloire, l'hymen, et l'amour,
Aftres charmans de cette cour,
répandent plus de lumière

Que le flambeau du dieu du jour.

J'envisage en ces lieux le bonheur de la France,
Dans ce roi qui commande à tant de cœurs foumis;
Mais tout dieu que je fuis, et dieu de l'éloquence,
Je reffemble à fes ennemis,
Je fuis timide en sa présence

Faut-il qu'ayant tant d'afsurance,
Quand je fais, entendre fon nom,

Il ne m'inspire ici que de la défiance?
Tout grand homme a de l'indulgence,
Et tout héros aime Apollon.

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