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( Cintia eft armée d'un arc, et porte un carquois fur l'épaule ; elle veut prendre fes flèches. )

HERA CLIUS.

Si vous voulez m'ôter la vie, vous aurez peu de chose

à faire.

(CINTIA laiffant tomber fes flèches et fon carquois. ) La crainte me fait tomber les armes.

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Si vous vous servez de vos yeux pour faire des bleffures, tenez-vous-en à leurs rayons; quel befoin avezvous de vos flèches ?

CINTI A.

Pourquoi y a-t-il tant de grâce dans ton style, lorsque tant de férocité eft fur ton visage? Ou ta voix n'appartient pas à ta peau, ou ta peau n'appartient pas à ta voix. J'étais d'abord en colère, et je deviens une ftatue de neige.

HERA CLIU S.

Et moi je deviens tout de feu.

(Au milieu de cette converfation arrivent Libia et Léonide, qui fe difent à-peu-près les mêmes chofes que Cintia et Heraclius fe font dites. Toutes ces fcènes font pleines de jeu de théâtre. Heraclius et Léonide fortent et rentrent. Pendant qu'ils font hors de la fcène, les deux femmes troquent leurs manteaux; les deux fauvages en revenant s'y méprennent, et

concluent qu'Aftolphe avait raison de dire que la femme eft un tableau à double vifage. Cependant on cherche de tout côté le vieillard Aftolphe, qui s'eft retiré dans fa grotte. Enfin Phocas paraît avec fa fuite, et trouve Cintia et Libia avec Heraclius et Léonide.)

CINTIA en montrant Héraclius à Phocas. J'ai rencontré dans les forêts cette figure épouvantable.

LIBIA.

Et moi j'ai rencontré cette figure horrible; mais je ne trouve point cette vieille carcaffe qui m'a fait tant de peur. PHOCAS aux deux fauvages.

Vous me faites fouvenir de mon premier état ; qui êtes

vous ?

HERACLIUS.

Nous ne favons rien de nous, finon que ces montagnes ont été notre berceau, et que leurs plantes ont été notre nourriture: nous tenons notre férocité des bêtes qui l'habitent.

PHOCA S.

Jufqu'aujourd'hui, j'ai fu quelque chofe de moimême, et vous autres, pourrai-je favoir auffi quelque chofe de vous, fi j'interroge ce vieillard qui en fait plus que vous deux ?

LEONID E.

Nous n'en favons rien.

HERA CLIUS.

Tu n'en fauras rien.

PHOCAS

Comment! je n'en saurai rien? Qu'on examine toutes les grottes, tous les buiffons, et tous les précipices. Les

endroits les plus impénétrables font fans doute fa demeure; c'eft-là qu'il faut chercher.

UN SOLDAT.

Je vois ici l'entrée d'une caverne toute couverte de

branches.

LIBI A.

Oui, je la reconnais ; c'eft de là qu'eft forti ce spectre qui m'a fait tant de peur.

PHOCAS à Libia.

Eh bien, entrez-y avec des foldats, et regardez au fond. (Heraclius et Léonide fe mettent à l'entrée de la caverne. )

LEONID E.

Que perfonne n'ofe en approcher, s'il n'a auparavant envie de mourir.

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Mon courage. Avant que quelqu'un entre dans cette demeure fombre, il faudra que nous mourions tous deux,

PHOCA S.

Doubles brutes que vous êtes, ne voyez-vous pas que votre prétention eft impoffible?

HERACLIUS et LEO NI DE ensemble.

Va, va, arrive, arrive, tu verras fi cela eft impoffible.

PHOCA S.

Voilà une impertinence trop effrontée; allons, qu'ils

meurent.

CINTI A.

Qu'il ne refte pas dans les carquois une flèche qui ne foit lancée dans leur poitrine. (b)

(Comme on eft prêt à tirer fur ces deux jeunes gens, Aftolphe fort de fon antre, et s'écrie :)

Non

pas à eux,

A STOL PHE.

mais à moi ; il vaut mieux que ce soit

moi qui meure; tuez-moi, et qu'ils vivent.

(Tout le monde refte en fufpens, en s'écriant :)

Qu'est-ce que je vois ? quel étonnement! quel prodige! quelle chofe admirable!

(Les deux payfans gracieux prennent ce moment intéressant pour venir mêler leurs bouffonneries à cette fituation, et ils croient que tout cela eft de la magie: Phocas refte tout penfif.)

CINT I A.

Je n'ai jamais vu de léthargie pareille à celle dont le difcours de ce bon homme vient de frapper Phocas. PHOCAS à Aftolphe.

Cadavre ambulant, en dépit de la marche rapide du temps, de tes cheveux blancs, et de ton vieux visage brûlé par le foleil, je garde pourtant dans ma mémoire les traces de ta perfonne ; je t'ai vu ambassadeur auprès

(b) Le lecteur peut ici remarquer que dans cet amas d'extravagances ce difcours de Cintia eft peut-être ce qui révolte le plus; on ne s'étonne point que dans un fiècle où l'on était fi loin du bon goût, un auteur se foit abandonné à fon genie fauvage pour amufer une multitude plus ignorante que lui. Tout ce que nous avons vu jusqu'à préfent n'eft que contre le bon fens; mais que Cintia qui a paru avoir quelques fentimens pour Heraclius, et qui doit l'epoufer à la fin de la pièce, ordonne qu'on le tue lui et Léonide, cela choque fi étrangement tous les fentimens naturels, qu'on ne peut comprendre que la Comedie fameufe de D. Pedro Calderon de la Barca n'ait pas en cet endroit excité la plus grande indignation.

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de moi. Comment es-tu ici? je ne cherche point à t'effrayer par des rigueurs; je te promets au contraire ma faveur et mes dons : lève-toi, et dis-moi fi l'un de ces deux jeunes gens n'eft pas le fils de Maurice, que ta fidélité fauva de ma colère?

A STOL PHE.

Oui, Seigneur, l'un eft le fils de mon empereur, que j'ai élevé dans ces montagnes, fans qu'il fache qui il eft, ni qui je fuis; il m'a paru plus convenable de le cacher ainfi, que de le voir en votre pouvoir, ou dans celui d'une nation qui rendait obéiffance à un tyran.

PHOCA S.

Eh bien, vois comment le deftin commande aux précautions des hommes. Parle, qui des deux eft le fils de Maurice?

A STOL PHE.

Que c'est l'un des deux, je vous l'avoue; lequel c'eft des deux, je ne vous le dirai

pas.

PHOCA S.

Que m'importe que tu me le cèles ? empêcheras-tu qu'il ne meure, puifqu'en les tuant tous deux je fuis fûr de me défaire de celui qui peut un jour troubler mon empire?

HERACLIUS.

Tu peux te défaire de la crainte à moins de frais.

Comment ?

PHOCA S.

LEONID E.

En affouviffant ta fureur dans mon fang; ce fera pour moi le comble des honneurs de mourir fils d'un empereur, et je te donnerai volontiers ma vie.

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