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Il fuit dans fa maifon : pères, mères, enfans,
L'effroi dans les regards, et les cris à la bouche,
Penfent qu'ils font au jour du jugement dernier.

BRUTUS.

O deftin nous faurons bientôt tes volontés.
On connaît qu'on mourra; l'heure en eft inconnue.
On compte fur des jours dont le temps eft le maître.

CASSIUS.

Eh bien, lorsqu'en mourant on perd vingt ans de vie, On ne perd que vingt ans de craintes de la mort.

BRUTU S.

Je l'avoue; ainfi donc la mort est un bienfait;
Ainfi Céfar en nous a trouvé des amis;
Nous avons abrégé le temps qu'il eut à craindre.

CASC A.

Arrêtez; baiffons-nous fur le corps de Céfar;
Baignons tous dans fon fang nos mains jusques au coude; (c)
Trempons-y nos poignards, et marchons à la place;

(c) C'est ici qu'on voit principalement l'efprit différent des nations. Cette horrible barbarie de Cafca ne ferait jamais tombee dans l'idee d'un auteur français; nous ne voulons point qu'on enfanglante le théâtre, fi ce n'eft dans les occafions extraordinaires, dans lefquelles on fauve tant qu'on peut cette atrocité dégoûtante.

Là, brandiffant en l'air ces glaives fur nos têtes,
Crions à haute voix, paix, liberté, franchise.

CASSIUS.

Baiffons-nous, lavons-nous dans le fang de Céfar.

(ils trempent tous leurs épées dans le fang du mort.) Cette fuperbe scène un jour sera jouée Dans de nouveaux Etats en accens inconnus.

BRUT U S.

Que de fois on verra Céfar fur les théâtres,
Céfar mort et fanglant aux pieds du grand Pompée,
Ce Céfar fi fameux, plus vil que la pouffière !

CASSIUS.

Oui, lorfque l'on joûra cette pièce terrible,
Chacun nous nommera vengeurs de la patrie.

Fin du troifième et dernier acte.

OBSERVATIONS

SUR LE

JULES CESAR

DE SHAKESPEARE.

OILA tout ce qui regarde la conspiration contre Cefar. On peut la comparer à celle de Cinna et d'Emilie contre Augufte, et mettre en parallèle ce qu'on vient de lire avec le récit de Cinna et la délibération du fecond acte. On trouvera quelque différence entre ces deux ouvrages. Le refte de la pièce eft une fuite de la mort de Cefar. On apporte fon corps dans la place publique. Brutus harangue le peuple; Antoine le harangue à son tour; il foulève le peuple contre les conjurés ; et le comique eft encore joint à la terreur dans ces fcènes comme dans les autres. Mais il y a des beautés de tous les temps et de tous les lieux.

On voit enfuite Antoine, Octave, et Lépide, délibérer fur leur triumvirat, et fur les profcriptions. De-là on paffe à Sardis fans aucun intervalle. Brutus et Caffius fe querellent. Brutus reproche à Cassius qu'il vend tout pour de l'argent, et qu'il a des démangeaifons dans les mains. On paffe de Sardis en Theffalie. La

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bataille de Philippes fe donne. Caffius et Brutus fe

tuent l'un après l'autre.

On s'étonne qu'une nation célèbre par fon génie, et par fes fuccès dans les arts et dans les fciences, puiffe fe plaire à tant d'irrégularités monftrueuses, et voie fouvent encore avec plaifir, d'un côté César s'exprimant quelquefois en héros, quelquefois en capitan de farce; et de l'autre, des charpentiers, des favetiers, et des fénateurs même, parlant comme on parle aux halles.

Mais on fera moins furpris quand on faura que la plupart des pièces de Lopez de Vega et de Caldéron en Espagne font dans le même goût. Nous donnerons la traduction de l'Héraclius de Calderon, qu'on pourra comparer à l'Héraclius de Corneille; on y verra le même génie que dans Shakespeare, la même ignorance, la même grandeur, des traits d'imagination pareils, la même enflure, des groffiéretés toutes semblables, des inconféquences auffi frappantes, et le même mélange du béguin de Gilles, et du cothurne de Sophocle.

Certainement l'Efpagne et l'Angleterre ne se font pas donné le mot pour applaudir pendant près d'un fiècle à des pièces qui révoltent les autres nations. Rien n'eft plus oppofé d'ailleurs que le génie anglais, et le génie espagnol. Pourquoi donc ces deux nations différentes se réuniffent-elles dans un goût fi étrange? Il faut qu'il y en ait une raison, et que cette raifon foit dans la nature.

Premièrement les Anglais, les Espagnols, n'ont jamais rien connu de mieux. Secondement, il y a un grand fonds d'intérêt dans ces pièces fi bizarres et fi fauvages. J'ai vu jouer le Céfar de Shakespeare, et

j'avoue que dès la première fcène, quand j'entendis le tribun reprocher à la populace de Rome fon ingratitude envers Pompée, et fon attachement à Céfar vainqueur de Pompée, je commençai à être intéreffé, à être ému. Je ne vis enfuite aucun conjuré fur la fcène qui ne me donnât de la curiofité; et malgré tant de difparates ridicules, je fentis que pièce m'attachait.

la

Troisièmement, il y a beaucoup de naturel; ce naturel est souvent bas, groffier et barbare. Ce ne font point des Romains qui parlent; ce font des campagnards des fiècles paffés qui confpirent dans un cabaret; et Cefar, qui leur propose de boire bouteille, ne ressemble guère à César. Le ridicule est oûtrẻ; mais il n'eft point languiffant. Des traits fublimes y brillent de temps en temps comme des diamans répandus fur de la fange.

J'avoue qu'en tout j'aimais mieux encore ce monftrueux spectacle, que de longues confidences d'un froid amour, ou des raifonnemens de politique encore plus froids.

Enfin, une quatrième raifon, qui jointe aux trois autres, eft d'un poids confidérable, c'eft que les hommes en général aiment le fpectacle; ils veulent qu'on parle à leurs yeux; le peuple se plaît à voir des cérémonies pompeufes, des objets extraordinaires, des orages, des armées rangées en bataille, des épées nues, des combats, des meurtres, du fang répandu; et beaucoup de grands, comme on l'a déjà dit, font peuple. Il faut avoir l'efprit très-cultivé, et le goût formé, comme les Italiens l'ont eu au feizième siècle

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