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JULES CESAR,

TRAGEDIE

DE SHAKESPEARE.

Théâtre. Tome IX.

Y

ON

DES EDITEURS.

On a cru devoir joindre au théâtre les

Na

deux pièces fuivantes, quoiqu'elles ne foient que de fimples traductions.

On pourra comparer la Mort de Céfar de Shakespeare avec la tragédie de M. de Voltaire, et juger fi l'art tragique a fait, ou non, des progrès depuis le fiècle d'Elifabeth. On verra auffi ce que l'un et l'autre ont cru devoir emprunter de Plutarque, et fi M. de Voltaire doit autant à Shakespeare qu'on l'a prétendu.

L'Héraclius efpagnol fuffit pour donner une idée de la différence qui exifte entre le théâtre espagnol et celui de Shakespeare. C'est la même irrégularité, le même mélange des fituations les plus tragiques et des bouffonneries les plus groffières : mais il y a plus de paffion dans le théâtre anglais, et plus de grandeur dans celui des Efpagnols; plus d'extravagances dans Calderon et Vega, plus d'horreurs dégoûtantes dans Shakespeare.

M. de Voltaire a combattu, pendant les vingt dernières années de fa vie, contre la manie de quelques gens de lettres qui, ayant appris de lui à connaître les beautés de ces théâtres groffiers, ont cru devoir y louer prefque tout, et ont imaginé une nouvelle poëtique qui, s'ils avaient pu être écoutés, aurait absolument replongé l'art tragique dans le chaos.

que

DU TRADUCTEUR.

AYANT YANT entendu fouvent comparer Corneille et Shakespeare, j'ai cru convenable de faire voir la manière différente qu'ils emploient l'un et l'autre dans les fujets qui peuvent avoir quelreffemblance ; j'ai choisi les premiers actes de la mort de Céfar, où l'on voit une conspiration comme dans Cinna, et dans lefquels il ne s'agit que d'une confpiration, jusqu'à la fin du troifième acte. Le lecteur pourra aisément comparer les pensées, le ftyle et le jugement de Shakespeare, avec les pensées, le ftyle et le jugement de Corneille. C'eft aux lecteurs de toutes les nations, de prononcer entre l'un et l'autre. Un Français et un Anglais feraient peut-être suspects de quelque partialité. Pour bien inftruire ce procès, il a fallu faire une traduction exacte. On a mis en profe ce qui est en prose dans la tragédie de Shakespeare; on a rendu en vers blancs ce qui eft en vers blancs, et presque toujours vers pour vers. Ce qui eft familier et bas eft traduit avec familiarité et avec baffeffe. On a tâché de s'élever avec l'auteur quand il s'élève; et lorsqu'il est enflé et guindé, on a eu foin de ne l'être ni plus ni moins que lui.

On peut traduire un poëte en exprimant feulement le fond de fes penfées; mais pour le bien faire connaître, pour donner une idée jufte de fa langue, il faut traduire non-feulement ses pensées, mais tous les acceffoires. Si le poëte a employé une métaphore, il ne faut pas lui fubflituer une autre métaphore; s'il se fert d'un mot qui foit bas dans fa langue, on doit le rendre par un mot qui foit bas dans la nôtre. C'est un tableau dont il faut copier exactement l'ordonnance, les attitudes, le coloris, les défauts et les beautés; fans quoi vous donnez votre ouvrage pour le fien.

Nous avons en français des imitations, des efquiffes, des extraits, de Shakespeare, mais aucune traduction. On a voulu apparemment ménager notre délicateffe. Par exemple, dans la traduction du Maure de Venise, Yago au commencement de la pièce vient avertir le fénateur Brabantio, que le Maure a enlevé sa fille. L'auteur français fait parler ainfi Yago à la française :

? Je dis, Monfieur, que vous êtes trahi, et " que le Maure eft actuellement poffeffeur des ,, charmes de votre fille.

Mais voici comme Yago s'exprime dans l'original anglais :

,, Tête et fang, Monfieur, vous êtes un de , ceux qui ne serviraient pas Dieu fi le diable › vous le commandait ; parce que nous venons " vous rendre fervice, vous nous traitez de ,, rufiens. Vous avez une fille couverte par un › cheval de Barbarie ; vous aurez des petits, fils qui henniront, des chevaux de course " pour cousins-germains, et des chevaux de "manége pour beaux-frères.

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"Je fuis, Monfieur, un homme qui viens " vous dire que le Maure et votre fille font ,, maintenant la bête à deux dos.

LE

SENATEUR.

,, Tu es un coquin, &c.

Je ne dis pas que le traducteur ait mal fait d'épargner à nos yeux la lecture de ce morceau; je dis feulement qu'il n'a pas fait connaître Shakespeare, et qu'on ne peut deviner quel eft le génie de cet auteur, celui de fon temps, celui de fa langue, par les imitations qu'on nous en a données fous le nom de traduction. Il n'y a pas fix lignes de fuite dans le Jules Céfar français, qui fe trouvent dans le César anglais. La traduction qu'on donne ici de ce Céfar, eft

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