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APRÈS une victoire fignalée, après la prise de fept villes à la vue d'une armée ennemie, et la paix offerte par le vainqueur, le spectacle le plus convenable qu'on pût donner au fouverain et à la nation, qui ont fait ces grandes actions, 'était le Temple de la Gloire.

Il était temps d'effayer fi le vrai courage, la modération, la clémence qui fuit la victoire, la félicité des peuples, étaient des sujets auffi fufceptibles d'une mufique touchante que de fimples dialogues d'amour, tant de fois répétés fous des noms différens, et qui femblaient réduire à un feul genre la poëfie lyrique.

Le célèbre Metaftafio, dans la plupart des fêtes qu'il compofa pour la cour de l'empereur Charles VI, ofa faire chanter des maximes de morale, et elles plurent; on a mis ici en action ce que ce génie fingulier avait eu la hardiesse de présenter fans le fecours de la fiction et fans l'appareil du spectacle.

Ce n'est pas une imagination vaine et roma

nefque que le trône de la Gloire, élevé auprès du féjour des Muses, et la caverne de l'Envie, placée entre ces deux temples. Que la Gloire doive nommer l'homme le plus digne d'être couronné par elle, ce n'eft-là que l'image fenfible du jugement des honnêtes gens, dont l'approbation eft le prix le plus flatteur que puiffent fe propofer les princes; c'eft cette eftime des contemporains qui affure celle de la postérité; c'eft elle qui a mis les Titus au-deffus des Domitiens, Louis XII au-deffus de Louis XI, et qui a distingué Henri IV de tant de rois.

On introduit ici trois espèces d'hommes qui fe préfentent à la Gloire, toujours prête à recevoir ceux qui le méritent, et à exclure ceux qui font indignes d'elle.

Le fecond acte défigne, fous le nom de Bélus, les conquérans injuftes et fanguinaires dont le cœur eft faux et farouche.

Bélus enivré de fon pouvoir, méprifant ce qu'il a aimé, facrifiant tout à une ambition cruelle, croit que des actions barbares et heureufes doivent lui ouvrir ce temple; mais il en

eft chaffé par les Mufes qu'il dédaigne, et par les Dieux qu'il brave.

Bacchus, conquérant de l'Inde, abandonné à la molleffe et aux plaifirs, parcourant la terre avec ses bacchantes, eft le sujet du troisième acte; dans l'ivreffe de ses paffions, à peine cherche-t-il la Gloire; il la voit, il en eft touché un moment; mais les premiers honneurs de cet temple ne font pas dus à un homme qui a été injufte dans fes conquêtes et effréné dans fes voluptés.

Cette place eft due au héros qui paraît au quatrième acte; on a choifi Trajan parmi les empereurs romains qui ont fait la gloire de Rome et le bonheur du monde. Tous les hiftoriens rendent témoignage que ce prince avait les vertus militaires et fociales, et qu'il les couronnait par la juftice; plus connu encore par fes bienfaits que par fes victoires, il était humain, acceffible; fon cœur était tendre, et cette tendreffe était dans lui une vertu ; elle répandait un charme inexprimable fur ces grandes qualités qui prennent fouvent un caractère de dureté dans une ame qui n'eft que jufte.

Il favait éloigner de lui la calomnie; il cherchait le mérite modefte pour l'employer et le récompenfer, parce qu'il était modefte luimême, et il le démêlait, parce qu'il était éclairé : il dépofait avec fes amis le faste de l'empire, fier avec fes feuls ennemis ; et la clémence prenait la place de cette hauteur après la victoire. Jamais on ne fut plus grand et plus fimple; jamais prince ne goûta comme lui, au milieu des foins d'une monarchie immenfe, les douceurs de la vie privée et les charmes de l'amitié. Son nom eft encore cher à toute la terre; sa mémoire même fait encore des heureux : elle inspire une noble et tendre émulation aux cœurs qui font nés dignes de l'imiter.

Trajan, dans ce poëme, ainfi que dans fa vie, ne court pas après la Gloire; il n'eft occupé que de fon devoir, et la Gloire vole au-devant de lui; elle le couronne, elle le place dans fon temple; il en fait le temple du bonheur public. Il ne rapporte rien à foi, il ne fonge qu'à être bienfaiteur des hommes, et les éloges de l'empire entier viennent le chercher, parce qu'il ne cherchait que le bien de l'empire.

Voilà le plan de cette fête, il eft au-dessus de l'exécution, et au-deffous du fujet; mais quelque faiblement qu'il foit traité, on se flatte d'être venu dans un temps où ces feules idées doivent plaire.

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