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Mon cher ami, j'écrivis avant-hier à M. de Cideville

un petit mot qui doit vous plaire à tous deux : c'eft 1735. que je corrige Eryphile. Elle n'est encore digne ni de vous, ni du public, ni même de moi chétif. J'avais cru facilement que les beautés de détail qui y font répandues, couvriraient les défauts que je cherchais à me cacher. Il ne faut plus fe faire illufion. Il faut ôter les défauts, et augmenter encore les beautés. Il y a encore à retoucher aux derniers actes, mais quand tout cela sera fait, et que j'aurai passé sur l'ouvrage le vernis d'une belle poëfie, j'ofe croire que cette tragédie ne fera point déshonneur à ceux qui en ont eu les prémices, à mes chers amis de Rouen, que j'aimerai toute ma vie, et à qui je foumettrai toujours tout ce que je ferai.

Vous m'avez envoyé tous deux des vers charmans et je n'y ai pas répondu ;

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Mais, chers Formont et Cideville,
Quand j'aurai fait tous les enfans
Dont j'accouche avec Eryphile,
Prêtez-moi tous deux votre style,
Et je ferai des vers galans
Que l'on chantera par la ville.

Je vous en dirais bien davantage fans les douleurs où je fuis. Rien ne pouvait les fufpendre que votre charmante épître.

1735.

LETTRE X L I.

A M. DE FOR MONT.

FORMONT chez nous tant regretté,

Toi qui, parlant avec finesse,
Penfes avec folidité,

Et fans languir dans la paresse,
Vis heureux dans l'oifiveté ;
Dis nous un peu fans vanité
Des nouvelles de la Sageffe
Et de fa fœur la Volupté ;
Car on fait bien qu'à ton côté

Ces deux filles vivent fans ceffe.

L'une et l'autre eft une maîtresse
Pour qui j'ai beaucoup de tendreffe,
Mais dont Formont seul a tâté.

Je compte, mon cher Formont, que vous aurez inceffamment quelques manufcrits de ma façon, puisqu'on vous a débarraffé du dépôt de mes folies imprimées. Je vous enverrai Eryphile de la nouvelle fournée, avec trois actes nouveaux, le tout accompagné d'une façon de compliment en vers, felon la méthode antique (1), lequel fera récité par Dufrefne jeudi prochain. C'eft ce jour-là que le parterre jugera Eryphile en dernier reffort; mais je veux qu'auparavant elle foit jugée par vous et par M. de

(1) Voyez le premier volume du Théâtre, page 391.

Cideville, les deux meilleurs magiftrats de mon parlement. J'écrivis hier à notre cher Cideville, mais j'étais 1735. si pressé, que je ne lui mandai rien du tout. Vous aurez aujourd'hui la petite épigramme, affez naïve à mon fens, fur Néricault Deftouches.

Néricault dans fa comédie

Croit qu'il a peint le Glorieux;

Pour moi je crois, quoi qu'il nous die
Que fa préface le peint mieux.

D'ailleurs il n'y a ici rien qui vaille en ouvrages nouveaux. Nous allons avoir cet été une comédie en profe du fieur Marivaux, fous le titre des Sermens indifcrets. Vous croyez bien qu'il y aura beaucoup de métaphysique et peu de naturel, et que les cafés applaudiront pendant que les honnêtes gens n'enten

dront rien.

Vous favez que la petite Dufresne, in articulo mortis, a figné un beau billet conçu en ces termes : Je promets à Dieu et à M. le curé de Saint-Sulpice, de ne jamais remonter fur le théâtre. Tout le monde dit, oh! le beau billet qu'a la Châtre ! Pour nous autres Fontaine-Martel, nous jouons la comédie affez régulièrement. Nous répétâmes hier la nouvelle Eryphile. Nous fefons quelquefois bonne chère, affez fouvent mauvaise; mais foit qu'on meure de faim ou qu'on fe crève, on dit toujours, ah! fi M. de Formont était là! Adieu, mon cher ami, personne ne vous aime plus tendrement que Voltaire.

1735.

LETTRE

X LII.

A M. DE FORM ON T.

EMPLI de goût, libre d'affaire,
Formont, vous favez fagement
Suivre en paix le fentier charmant
De Chapelle et de Sablière;
Car vous m'envoyez galamment
Des vers écrits facilement,
Dont le plaifir feul est le père,
Et quoiqu'ils foient faits doctement,

C'eft

pour vous un amusement.
Vous rimez pour vous fatisfaire,
Tandis que le pauvre Voltaire,
Efclave maudit du parterre,
Fait fa befogne triftement.

Il barbotte dans l'élément

Du vieux Danchet et de la Serre. (1)

Il rimaille éternellement,

Corrige, efface affidûment

Et le tout, Meffieurs, pour vous plaire.

Je vous foupçonne de philofopher à Canteleu avec mon cher, aimable et tendre Cideville. Vous favez combien j'ai toujours fouhaité d'apporter mes folies dans le fejour de votre fagesse.

( 1 ) Il travaillait alors à un opéra, et c'était probablement à celui de Tanis et Zelide, ou les Rois pafteurs, dans lequel il eft queftion d'Ofiris. Du moins peut-on le conjecturer par la fuite de cette lettre. ( Voyez, Théâtre, tome IX. )

Atque utinam ex vobis unus, veftri que fuissem
Aut cuftos gregis, aut maturæ vinitor uvæ!

Hic gelidi fontes, hic mollia prata, Lycori,

Hic nemus, hic ipfo tecum confumerer avo.

Mais je fuis entre Adélaïde du Guefclin, le feigneur
Ofiris et Newton. Je viens de relire ces lettres
anglaifes moitié frivoles, moitié fcientifiques. En
vérité, ce qu'il y a de plus paffable dans ce petit
ouvrage, eft ce qui regarde la philosophie; et c'est,
je crois, ce qui fera le moins lu. On a beau dire, le
fiècle eft philofophe. On n'a pourtant pas vendu
deux cents exemplaires du petit livre de M. de
Maupertuis, où il eft queftion de l'attraction; et fi
on montre fi peu d'empressement pour un ouvrage
écrit de main de maître, qu'arrivera-t-il aux faibles
effais d'un écolier comme moi ?, Heureusement j'ai
tâché d'égayer la féchereffe de ces matières et de les
afsaisonner au goût de la nation. Me conseilleriez-
vous d'y ajouter quelques petites réflexions détachées
fur les Pensées de Pascal? Il y a déjà long-temps que
j'ai envie de combattre ce géant. Il n'y a guerrier fi
bien armé qu'on ne puisse percer au défaut de la
cuiraffe; et je vous avoue que fi, malgré ma
faibleffe, je pouvais porter quelques coups à ce vain-
queur de tant d'efprits, et fecouer le joug dont il les
a affublés, j'oferais prefque dire avec Lucrèce :

Quare fuperftitio pedibus fubjecta viciffim
Obteritur, nos exaquat victoria calo.

Au refte, je m'y prendrai avec précaution, et je ne critiquerai que les endroits qui ne feront point

1735.

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