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pas affez fouvenu des fentimens de ce philofophe. Je

veux lui écrire fur cet article.

Pardon, aimable Cideville; je ne vous écris point de ma main, mais je fuis fi malade qu'il n'y a que mon cœur en vie.

Renvoyez l'Epître à Emilie; vous verrez que je hais Rouffeau, mais qui ne fait pas hair, ne fait pas

aimer.

LETTRE XXV I.

A M. L'ABBÉ DE SADE.

A Paris, le 29 d'augufte.

VOTRE lettre, Monfieur, pouvait feule me dédom

mager de votre charmante converfation. La divine Emilie favait combien je vous étais attaché, et fait à préfent combien je vous regrette. Elle connaît ce que vous valez, et elle mêle fes regrets aux miens: c'est une femme que l'on ne connaît pas; elle eft affurément bien digne de votre estime et de votre amitié. Regardez-moi comme fon fecrétaire ; écrivez-lui et écrivez-moi malgré les amusemens que vous donnent les femmes d'Avignon.

On a déjà enlevé à Londres la traduction anglaise de mes lettres. C'eft une chofe affez plaifante que la copie paraiffe avant l'original; j'ai heureusement arrêté l'impreffion du manufcrit français, craignant beaucoup plus le clergé de la cour de France que l'Eglife anglicane.

1733.

1733.

On brûlait autrefois les gens
Pour un peu de philofophie ;
Aujourd'hui les gens de bon fens
Ne font brûlés qu'en l'autre vie.

Vous me demandez l'Epître à Emilie; mais vous favez bien que c'est à la divinité même, et non à l'un de fes prêtres, qu'il faut vous adreffer, et que je ne peux rien faire fans fes ordres. Vous devez croire qu'il eft impoffible de lui défobéir. Vous avez bien raison de dire que vous auriez voulu paffer votre vie auprès d'elle. Il eft vrai qu'elle aime un peu le monde :

Cette belle ame eft d'une étoffe

Qu'elle brode en mille façons ;
Son efprit eft très-philosophe,
Et fon cœur aime les pompons.

Mais les pompons et le monde font de fon âge, et fon mérite eft au-dessus de fon âge, de son sexe et du nôtre.

J'avourai qu'elle eft tyrannique :

Il faut, pour lui faire fa cour,
Lui parler de métaphyfique

Quand on voudrait parler d'amour.

Mais moi qui aime affez la métaphyfique, et qui préfère l'amitié d'Emilie à tout le refte, je n'ai aucune peine à me contenir dans mes bornes.

Ovide autrefois fut mon maître,

C'eft à Locke aujourd'hui de l'être.

L'art de penser eft confolant

Quand on renonce à l'art de plaire.

1733.

Ce font deux beaux métiers vraiment,
Mais où je ne profitai guère.

J'aurais du moins fait quelque profit dans l'art de penfer entre Emilie et vous; j'aurais été l'admirateur de tous deux ; je n'aurais jamais été jaloux des préférences que vous méritez. J'aurais dit de fa maison comme Horace de celle de Mécène :

Nil mihi officit unquam,

Ditior hic aut eft quia doctior. Eft locus uni-
Cuique fuus.

Mais vous allez courir à Avignon : Emilie est toujours à la cour, et cette divine abeille va porter fon miel aux bourdons de Versailles. Pour moi je refte prefque toujours dans ma folitude, entre la poëfie et la philofophie.

Je connais fort M. de Caumont de réputation, et c'en est assez pour l'aimer. Si je peux me flatter de votre fuffrage et du sien, fublimi feriam fidera vertice.

1733.

LETTRE XXVII

A MADAME

LA COMTESSE DE LA NEUVILLE.

JE VO

E vous envoie, Madame, cette Epître fur la calomnie, qui ne mérite votre attention que par la perfonne à qui elle eft adreffée. (1)

Daignez donc parcourir de vos yeux pleins d'attraits
Ces vers contre la calomnie;

Ce monftre dangereux ne vous blessa jamais ;
Vous êtes cependant sa plus grande ennemie.
Votre efprit fage et mesuré,

Non moins indulgent qu'éclairé,

Plaint nos travers au lieu d'en rire,
Excufe quand il peut médire ;

Et des vices de l'univers

Votre vertu, mieux que mes vers,

Fait à tout moment la fatire.

Je joins à mon obéiffance une petite œuvre de furérogation La mule du pape. C'est une fatire que j'ai retrouvée dans mes paperaffes. Vous me pardonnerez bien de m'être un peu émancipé fur le faint père. J'ai l'honneur d'être réuni avec les janféniftes par une honnête averfion pour la cour de Rome; mais je vous fuis bien plus attaché que je ne hais le pape, et j'aime mille fois mieux chanter vos louanges que de me moquer de la cour romaine.

(1) A madame du Châtelet. Voyez le volume d'Epitres.

LETTRE

X X VII I.

1733.

A M. DE CI DE VILLE.

Ce 27 septembre.

L'AUTRE jour l'amitié, d'un air simple et facile;

Vint m'apporter des vers écrits en ma faveur.
Ils font, tu le vois bien, du charmant Cideville,
Dit-elle, et tu connais l'air tendre et féducteur
Dont cet ingénieux pasteur,

Par fes accens nouveaux à son gré ressuscite
Les fons du doux Virgile et ceux de Théocrite;
Mais il t'a prodigué dans son style enchanteur
Tous les éloges qu'il mérite.

Quelle faible réponse, mon aimable ami, à votre charmante églogue, et que j'ai de remords de vous payer fi tard et fi mal! N'accufez point ma pareffe ; mon cœur furtout n'eft point pareffeux, mais vous savez que ma détestable santé me met quelquefois dans l'impuiffance de penfer et d'écrire; cela met dans ma vie des vides effroyables. Il faut quelquefois que je demeure plufieurs jours privé de la confolation des belles lettres et de la douceur de votre commerce. Moi qui voudrais, vous le favez bien, passer ma vie entre ces lettres et vous, faut-il que je ne la passe prefque qu'en regrets! L'abbé Linant, ou plutôt Linant qui n'eft plus abbé vient d'arriver, toujours rempli de vous. Il lui faudra du temps pour reprendre l'habitude de la vie inquiéte et tumultueufe

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