Page images
PDF
EPUB

1717.

En eût fait l'ame d'un repas,

Lorsqu'à table il tenait sa place,

Avec Augufte et Mécénas.

Voilà un faible crayon du portrait que nous voulions faire; mais

Il faut être infpiré pour de pareils écrits;

Nous ne fommes point beaux efprits:

Et notre flageolet timide

Doit céder cet honneur charmant
Au luth aimable, au luth galant
De ce fucceffeur de Clément,
Qui dans votre temple réside. (b)
Sachez donc que l'oifiveté
Fait ici notre grande affaire. (1)
Jadis de la Divinité

C'était le partage ordinaire ;
C'est le vôtre, et vous m'avoûrez
Qu'après tant de jours confacrés
A Mars, à la cour, à Cythère,
Lorsque de tout on a tâté,
Tout fait, ou du moins tout tenté,
Il eft bien doux de ne rien faire.

VARIANTE.

(1) Fait ici notre unique affaire :
Nous buvons à votre fanté ;
Dans ce beau féjour enchanté,
Nous fefons excellente chère,
Et voilà tout en vérité,
Vous avez la mine d'en faire

Tout autant de votre côté.

(b) L'abbé de Chaulieu demeurait au Temple, qui appartient aux grands-prieurs de France. C'était autrefois la demeure des templiers.

LETTRE II I.

A M. L'ABBÉ DE CHAULIEU.

De Sully, le 15 juillet.

A vous, l'Anacréon du Temple;

A vous le fage fi vanté,

Qui nous prêchez la volupté,

Par vos vers et par votre exemple;

Vous, dont le luth délicieux,

Quand la goutte au lit vous condamne,

Rend des fons auffi gracieux,

Que quand vous chantez la tocane,
Affis à la table des Dieux.

Je vous écris, Monfieur, du féjour du monde le plus aimable, fi je n'y étais point exilé, et dans lequel il ne me manque, pour être parfaitement heureux, que la liberté d'en pouvoir fortir. C'eft ici que Chapelle a demeuré, c'est-à-dire, s'eft enivré deux ans de fuite. (1) Je voudrais bien qu'il eût laiffé dans ce château un peu de fon talent poëtique; cela accommoderait fort ceux qui veulent vous écrire. Mais comme on prétend qu'il vous l'a laiffé tout entier, j'ai été obligé d'avoir recours à la magie, dont vous m'avez tant parlé.

(1) Chapelle, était un homme d'un génie facile et libertin; il avait beaucoup bu, ce qui était le vice de fon temps; ce vice fit beaucoup de tort à fa fanté, et enfin à son efprit.

1717.

1717.

Et dans une tour affez sombre
Du château qu'habita jadis
Le plus léger des beaux efprits,
Un beau soir j'évoquai son ombre.
Aux déités des fombres lieux
Je ne fis point de facrifice,
Comme ces fripons qui des Dieux
Chantaient autrefois le fervice;
Ou la forcière Pythonisse,
Dont la grimace et l'artifice
Avaient fait dreffer les cheveux
A ce fot prince des Hébreux,
Qui crut bonnement que le diable
D'un prédicateur ennuyeux
Lui montrait le fpectre effroyable.
Il n'y faut point tant de façon
Pour une ombre aimable et légère:
C'eft bien affez d'une chanfon,
Et c'eft tout ce que je puis faire.
Je lui dis fur mon violon :
Eh! de grâce, monfieur Chapelle,
Quittez le manoir de Pluton
Pour cet enfant qui vous appelle.
Mais non, fur la voûte éternelle
Les Dieux vous ont reçu, dit-on,
Et vous ont mis entre Apollon
Et le fils joufflu de Semèle.

Du haut de ce divin canton,
Defcendez, aimable Chapelle,

Cette familière oraison

Dans la demeure fortunée

Reçut quelque approbation;
Car enfin, quoique mal tournée,
Elle était faite en votre nom.
Chapelle vint. A fon approche,
Je fentis un transport foudain ;
Car il avait fa lyre en main,
Et fon Gaffendi (b) dans sa poche;
Il s'appuyait fur Bachaumont,
Qui lui fervit de compagnon
Dans le récit de ce voyage

Qui du plus charmant badinage

Fut la plus charmante leçon.

Je vous dirai pourtant en confidence, et fi la pofte ne me preffait, je vous le rimerais; ce Bachaumont n'eft pas trop content de Chapelle. Il fe plaint qu'après avoir tous deux travaillé aux mêmes ouvrages, Chapelle lui a volé la moitié de la réputation qui lui appartenait. Il prétend que c'eft à tort que le nom de fon compagnon a étouffé le fien; car c'eft moi, me dit-il tout bas à l'oreille, qui ai fait les plus jolies chofes du voyage, et entre autres: Sous ce berceau qu'amour exprès....

Mais il ne s'agit pas ici de rendre justice à ces deux meffieurs; il fuffit de vous dire que je m'adressai à Chapelle pour lui demander comment il s'y prenait autrefois dans le monde

Pour chanter toujours fur fa lyre

Ces vers aifés, ces vers coulans,

(b) Gaffendi avait élevé la jeuneffe de Chapelle, qui devint grand partisan du systême de philosophie de fon precepteur. Toutes les fois qu'il s'enivrait, il expliquait le système aux convives; et lorsqu'ils étaient fortis de table, il continuait la leçon au maître-d'hôtel.

1717.

1717.

De la nature heureux enfans,
Où l'art ne trouve rien à dire?
L'amour, me dit-il, et le vin
Autrefois me firent connaître
Les grâces de cet art divin;
Puis à Chaulieu l'épicurien
Je fervis quelque temps de maître :
Il faut que Chaulieu foit le tien.

LETTRE

I V.

A M. LE DUC DE BRANCAS,

En lui envoyant une épître pour M. le Régent. (1)

Sully.

MONSIEUR LE DUC,

Je crois qu'il fuffit d'être malheureux et innocent

E

pour compter fur votre protection, et je vous puis affurer que je la mérite. Je ne me plains point d'être exilé, mais d'être foupçonné de vers infames, également indignes, j'ofe le dire, de la façon dont je pense et de celle dont j'écris. Je m'attendais bien à être calomnié par les mauvais poëtes, mais pas à être puni par un prince qui aime la juftice. Souffrez que je vous présente une épître en vers que j'ai compofée pour monfeigneur le Régent; fi vous la trouvez digne de vous, elle le fera de lui, et je vous fupplie de la lui faire lire dans un de ces momens (1) Voyez le volume d'Epitres.

« PreviousContinue »