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Les lois civiles et religieuses étaient également outragées par cet acte téméraire. Le zèle des prédicateurs s'en émut; on dirigea des poursuites contre le baron de Chantal; il fut obligé de se cacher chez son beau-frère, le comte de Toulongeon. Cette leçon ne le corrigea point; et ce même Boutteville, six mois après, l'aurait encore entraîné dans sa querelle avec le duc d'Elbeuf, si la duchesse d'Elbeuf, prévenue à temps, n'eût fait intervenir le roi, qui empêcha ce duel '.

Cependant le cardinal de Richelieu ne s'opposa point à ce que le baron de Chantal reparût à la cour; mais il ne lui pardonna pas son étroite liaison avec Henri de Talleyrand, prince de Chalais, qui avait été décapité comme coupable de haute trahison. Tout sentiment généreux est suspect au despotisme; son inexorable vengeance poursuit jusque dans la tombe l'objet de sa haine, et il persécute jusqu'au souvenir qui en reste. Il fut facile au cardinal de Richelieu de fermer tout accès à la faveur à un homme dont l'esprit indépendant et railleur devait surtout déplaire à Louis XIII, monarque d'un caractère faible et d'un esprit méticuleux.

Le supplice du comte de Boutteville, à qui son ardeur effrénée pour les duels avait fait trancher la tête le 21 juin 1627, acheva de désespérer le baron de Chantal. Il apprit que les Anglais, pour secourir les protestants de la Rochelle, devaient faire une descente sur les côtes de France, et il s'empressa de se rendre dans l'ile de Ré, dont le marquis de Toiras, son ami, était gouverneur. Il lui demanda de servir sous ses ordres comme volontaire, satisfait d'avoir saisi cette occasion d'exercer sa bravoure et de courir

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Généalogie de la maison de Rabutin, dans l'édition des Lettres de madame DE SÉVIGNÉ de Monmerqué, t. I, p. xviii, et t. VII, p. 98.

des dangers pour la défense de son pays. L'homme énergique qui dans l'âge de l'ambition est condamné au repos et repoussé de la carrière des honneurs par la persécution cherche hors de l'enceinte tracée un noble but à ses efforts lorsqu'il l'aperçoit, dût-il y trouver la mort, il s'élance vers lui de tout son courage, et demande à la gloire ce que le pouvoir lui refuse.

Le 22 juillet 1627, au soir, on vit paraître les Anglais près des côtes de l'île de Ré. A la faveur de la marée montante, ils s'approchèrent de la pointe de Semblenceau, et mirent deux mille hommes à terre. Leurs chaloupes continuaient à augmenter ce nombre, lorsque Toiras s'avança contre eux avec huit cents hommes d'infanterie et deux cents chevaux, qu'il divisa en sept escadrons, dont cinq étaient placés à l'avant-garde et deux derrière l'infanterie. Le premier de ces escadrons, composé des gentils-hommes volontaires et de l'élite de la noblesse, était commandé par le baron de Chantal. Ces cinq escadrons s'avancèrent d'abord au pas et en bon ordre; mais, pris en flanc par le canon des vaisseaux, qui tonnait de toutes parts, ils furent obligés de partir et de fondre à bride abattue sur l'ennemi, que d'abord ils repoussèrent jusque dans l'eau. La précipitation qu'ils avaient mise dans leur attaque ne permit pas à l'infanterie, qui cheminait péniblement dans le sable, d'arriver à temps pour les soutenir; et les deux escadrons qui étaient restés en arrière, n'ayant point reçu d'ordre de Toiras, demeurèrent immobiles. Alors les Anglais, s'apercevant du petit nombre de ceux qu'ils avaient à combattre, reprirent courage; et, redoublant le feu de leurs vaisseaux, par le moyen de leurs canons à cartouches et des mousquetaires dont ils les avaient bordés, ils firent reculer la cavalerie et l'infanterie des Français, et les mirent

en déroute. Ce combat avait duré six heures; et dans le nombre des gentils-hommes français qui y périrent, on compta le frère de Toiras, les barons de Navailles, de Cause, de Verrerie du Tablier, et le baron de Chantal'. Ce dernier avait eu trois chevaux tués sous lui, et avait reçu vingt-sept coups de lance. Si l'on en croit l'historien Gregorio Leti, autorité douteuse, ce fut le célèbre Cromwell qui le blessa mortellement 2. Ainsi périt, dans la trente et unième année de son âge, le dernier des descendants mâles de la branche aînée des Rabutins. Il n'eut qu'un seul enfant de son mariage avec Marie de Coulanges: c'était Marie de Rabutin-Chantal, depuis célèbre sous le nom de Sévigné, et qui est l'objet de ces Mémoires 3.

1 Mémoires de RICHELIEU, dans la coll. des Mém. sur l'hist. de Fr. de Petitot, t. XXIII, p. 320. — ARCÈRE, Histoire de la ville de La Rochelle, in-4o, t. II, p. 234.

2 Lettres de madame DE SÉVIGNÉ, édit. de 1768, préface; et G1RAULT, Lettres inédites, 1819, Notice, p. XLVIII. — L'abbé COTIN, Poésies chrétiennes, 1658, in-12, p. 112.

3 Éloge historique ou Vie abrégée de sainte FREMYOT DE CHANTAL; Paris, 1768, in-12, p. 163.

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la Tour de Coulanges.

Est placée sous la tutelle de Philippe de

Passe sa première enfance au village de Sucy, avec son cousin de Coulanges, le chansonnier. — Mort de Philippe de Coulanges. - L'éducation de Marie de Rabutin est confiée à Christophe de Coulanges, abbé de Livry. Caractère de cet abbé. Des obligations que lui a madame de Sévigné. - Elle

reçoit les leçons de Chapelain et de Ménage.

à l'éducation, et de ce qu'elle doit à la nature.

De ce qu'elle doit

Marie de Rabutin-Chantal naquit à Paris, le jeudi 5 février 1626, dans l'hôtel que son père occupait à la place Royale du Marais, le quartier le plus renommé alors pour l'élégance des habitations. Elle fut tenue le lendemain sur les fonts de baptême par messire Charles Le Normand, seigneur de Beaumont, mestre de camp, gouverneur de la Fère, et premier maître d'hôtel du roi, et par Marie de Baise, femme de messire Philippe de Coulanges, conseiller du roi en ses conseils d'État1. Marie de Rabutin-Chantal perdit sa mère en 1632, et fut orpheline à l'âge de six ans. Les doux sentiments de la piété filiale n'eurent pas le temps de se développer en elle. Il est remarquable qu'ils paraissent avoir été inconnus à cette femme, qui encourut

'Acte de baptême de madame DE SÉVIGNÉ, dans la Revue rétrospective, t. IV, p. 310, no 10, juillet 1834. — SÉVIGNÉ, lettre en date du 5 février 1672, t. II, p. 316. — Ibid., lettre du 5 février 1674, t. III, p. 325. Registres de la paroisse Saint-Paul.

le reproche de s'être livrée avec excès à la plus désintéressée comme à la plus touchante des passions, l'amour maternel. Dans les lettres nombreuses qu'elle nous a lais. sées, on ne trouve ni le nom de sa mère, ni un souvenir qui la concerne. Elle y parle une ou deux fois de son père, mais c'est pour faire allusion à l'originalité de ses défauts'. Dans une lettre à sa fille, en date du 22 juillet, elle ajoute après cette date : « Jour de la Madeleine, où fut tué, il y a quelques années, un père que j'avais 2. » Qu'elle est triste cette puissance du temps et de la mort, puisqu'une âme aussi sensible ne paraît pas même avoir éprouvé le besoin si naturel de chercher à renouer la chaîne brisée des affections et des regrets; à suppléer au néant de la mémoire par les mystérieuses inspirations du cœur ; à se rattacher par la pensée à ceux par qui nous existons, et dont la tombe, privée de nos larmes, s'est ouverte auprès de notre berceau !

La pieuse Chantal, quoique alors débarrassée de tout soin de famille, puisqu'elle avait marié la seule fille qui lui restait au comte de Toulongeon, se dispensa des devoirs d'aïeule envers sa petite-fille; et, tout occupée de la fondation de nouveaux monastères, elle recommanda à son frère, l'archevêque de Bourges, la jeune orpheline, qui fut remise par lui entre les mains de ses parents maternels 3.

Marie de Rabutin-Chantal fut donc d'abord placée sous la tutelle de son oncle Philippe de la Tour de Coulanges,

'SÉVIGNÉ, lettres en date du 16 août 1675, t. III, p. 374; du 13 décembre 1684, t. VIII, p. 212.

2 SÉVIGNÉ, lettre du 22 juillet 1671.

3 Lettres de SÉVIGNÉ édit. de 1768, préface. p. XLII et XLIX.

GIRAULT, Notice,

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