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nom de comtesse de la Fayette; puis les comtesses de Fiesque, de Saint-Martin, de Maure, et madame DuplessisGuénégaud, causaient ensemble à voix basse. La duchesse de Chevreuse écoutait avec attention mademoiselle de Scudéry. Près du lit, la marquise de Rambouillet entre deux de ses filles, la jeune Clarice-Diane, abbesse d'Yères, et Louise-Isabelle d'Angennes 2. A côté de cette dernière était la marquise de Sévigné, occupée avec Julie d'Angennes à considérer les fraîches miniatures de la fameuse Guirlande; tandis qu'à leurs pieds le marquis de la Salle (Montausier), assis sur son manteau qu'il avait détaché, leur souriait, et paraissait heureux des compliments que lui adressait madame de Sévigné sur son incomparable galanterie 3. Douze autres jeunes seigneurs étaient moitié assis, moitié couchés sur leurs manteaux, dont les étoffes de soie, d'or et d'argent brillaient sur le tapis, ou flottaient sur les pieds des dames 4. A ses joues colorées, à sa figure joyeuse, on reconnaissait facilement parmi eux le marquis de Sévigné, assis aux pieds de mademoiselle du Vigean; il lui donnait des nouvelles de l'armée 5,

'SOMAIZE, le Grand Dictionnaire des Précieuses, 1661, t. I, p. 81, 154, 178; t. II, p. 8.-HUETII Commentarius de rebus ad eum pertinentibus, p. 213; Mélanges d'Histoire et de Littérature, recueillis par Vigneul-Marville, édit. de 1699, p. 299. DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, 1814, in-8°, t. I, p. 31.

2 Voyez ci-dessus, p. 34.

3 Mémoires de Montausier, p. 135 à 204.- DE BURE, Catalogue des Livres de la Vallière, 1783, in-8°, t. II, p. 382.-RIVES, Notice historique, 1779. — Biographic universelle, art. JARRY et MONTAUSIER.-Huetii Commentarius, p. 293 à 294.—Huetiana, p. 103, no 43. 4 SOMAIZE, Procès des Précieuses, 1660, p. 48. — MOLIÈRE, Comtesse d'Escarbagnas, scène 19. BUSSY-RABUTIN, Supplément de

ses Mémoires, t. I, p. 12.

5 DE MAISEAUX, Vie de Saint-Evremond, dans ses Œuvres, 1753,

lui parlait de Gramont et de Saint-Evremond, et la faisait rire; lui racontait les exploits du duc d'Enghien, et la faisait rougir. Le marquis de Villarceaux, et de Gondi, depuis peu archevêque de Corinthe, coadjuteur de Paris, et le marquis de Feuquières, étaient tous trois debout; le premier derrière le fauteuil de la duchesse d'Aiguillon, le second derrière celui de la duchesse de Chevreuse, le troisième à côté de madame Duplessis-Guénégaud. Toutes les dames tenaient une petite badine', que quelques-unes s'amusaient à faire tourner entre leurs doigts. Les jeunes gens, pour donner plus d'action à leurs discours et plus de grâce à leurs gestes, agitaient par intervalle dans l'air les blancs et gros panaches de leurs petits chapeaux, ou, posant ceux-ci sur leurs genoux, jouaient nonchalamment avec les plumes qui les couvraient 2. Sur le devant de l'alcôve, et en avant des colonnes, étaient assis, sur des chaises et sur des placets, sorte de tabourets bas et larges, des personnages que leurs habillements plus modestes faisaient reconnaître à l'instant pour des hommes de lettres ou des ecclésiastiques: c'étaient Balzac, Ménage, Scudéry, Chapelain, Costart, Conrart, la Mesnardière, l'abbé de Montreuil, Marigny le jeune, l'abbé Bossuet, le petit abbé Godeau, depuis évêque de Vence, et grave auteur d'un gros volume de poésies chrétiennes; mais alors, à cause de l'exiguïté de sa taille et de son assiduité auprès de Julie d'Angennes, on le nommait par dérision le nain de la

p. 22.

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in-12, t. I, p. 14. DE BAUSSET, Histoire de Bossuet, in-8°, t. I, Chansons historiques, mss., t. I, p. 3, verso. VOITURE, Œuvres, lettres 10, t. I, p. 22. - Poésies de Franç. DE MAUCROIX, p. 291.

'SOMAIZE, Procès des Précieuses, p. 49.

2 Ibid., p. 51; Récit de la farce des Précieuses, 1660, Anvers, in 12, p. 19.

princesse Julie 1. Quatre autres personnages étaient debout, appuyés contre un des côtés de l'alcôve et une de ses colonnes moins richement vêtus que les galants illustres assis aux pieds des dames, mais parés avec plus d'élégance et de recherche que ceux qui étaient gravement posés sur des chaises et des placets, ils formaient un petit groupe à part, promenaient, avec un air narquois, leurs regards sur l'assemblée ; causaient ensemble tout bas, et souriaient de temps à autre ; c'étaient Sarrasin, Charleval, Montplaisir et Saint-Pavin.

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a Est-ce que M. de Voiture n'arrive pas ? » dit la marquise de Rambouillet à mademoiselle Paulet, qui continuait à regarder par la fenêtre. « Je ne le vois pas encore,» répondit-elle sans se détourner. « Ah, le traître! dit Charleval, il se fera attendre. » — « Non, dit la marquise de Rambouillet; car je n'ai donné rendez-vous à M. Corneille qu'à midi et demi, ne voulant pas qu'il fût interrompu par les survenants. C'est parce que M. de Voiture demeure dans cette rue, et presque à côté de l'hôtel 2, qu'il n'est pas encore arrivé : les plus près sont les moins pressés. » Saint-Pavin, prenant la parole: « J'ai entendu dire, madame, qu'il s'était battu avec Chaveroche, votre intendant, et que celui-ci l'avait blessé. >> << Cette blessure n'est rien, monsieur, dit madame de Rambouillet, et ne l'empêchera pas de venir. Mais ne parlez pas, je vous prie, de cette ridicule affaire. » — « Ma mère, dit Clarice d'Angennes en s'adressant à Saint-Pavin, a fait comprendre à Chaveroche toute l'impertinence de son procédé ; il en a fait des excuses à M. de Voiture, et ils sont les meil

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L'abbé ARNAULD, Mémoires, édit. de 1756, t. I, p. 14.-Œuvres de Boileau, édit. de Saint-Marc, 1747, t. HI, p. 192, n. 3.

2

PELLISSON, Hist. de l'Académie Française, 1729, p. 240, édit. in 4o.

leurs amis du monde : si bien que M. de Voiture a donné à Chaveroche le procès de sa sœur et toutes ses affaires à suivre, pendant le voyage qu'il va faire en Espagne. >> - << Est-ce qu'il va nous quitter? » dit Sarrasin. —« Aprèsdemain il part, répliqua Clarice; et certainement il ne manquera pas de se rendre ici. » — « Vous allez le voir arriver, dit l'abbesse d'Yères; je viens de lui dépêcher Poncette. >> << Mieux eût valu, ma fille, dit madame de Rambouillet, lui envoyer un valet de pied. »

« La prudente Arthénice connalt notre homme, » dit Sarrasin tout bas, en se penchant à l'oreille de son voisin Charleval. << Quoi! dit celui-ci avec surprise, la fille d'un portier? » — « N'importe, répliqua l'autre en souriant; tout lui est bon, depuis le sceptre jusqu'à la houlette, depuis la couronne jusqu'à la calle 2. »- « Mais sincèrement, avec ce corps exigu, ces yeux effarés, ce visage niais, le croyez-vous donc si redoutable?» — « Oui, quoique tout ce que vous dites soit vrai et qu'il en plaisante lui-même 3; mais il sait donner à cette physionomie si grotesque tant d'expression, il a tant d'esprit, de grâce et de gaieté; il sait si bien se plier à tout, s'accommoder de tout; il a une réputation si bien acquise d'habileté, de loyauté et de générosité, qué partout il se fait écouter, que partout il parvient à plaire, dans les cercles et dans les ruelles, dans les palais et les chaumières. » << Fort bien, mais Poncette est une enfant, petite, idiote d'ail

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'VIGNEUL DE MARVILLE (Bonaventure d'Argonne), Mélanges d' Histoire et de Littérature, t. II, p. 381. —VOITURE, lettre 147, t. I, p. 311. 2 SARRASIN, Œuvres, 1758, p. 250. Calle, coiffure de femme

du peuple.

3 Voiture, Œuvres, édit. de 1677, t. I, p. 18. Lettre à une maitresse inconnue, et lettre 52, t. I, p. 129.

leurs, et peu jolie..» « Une enfant! oh non! la perdrix est maillée ! seize ans, de la fraicheur, de gros traits, mais de beaux yeux. » — « Oui; mais songez donc que notre cher Voiture grisonne; il est dans l'âge du repos. »

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y parait peu, je vous assure: quoique fils d'un marchand de vin, c'est un buveur d'eau, et ces hommes-là sont privilégiés

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Ce petit aparté était à peine terminé, qu'on entendit mademoiselle Paulet dire : « Ah! voilà M. de Voiture! » et aussitôt elle courut se placer près du fauteuil de madame de Rambouillet, et s'appuya contre une des colonnes du lit.

On annonça Voiture; il entra: aussitôt Sarrasin, Charleval, presque tous les hommes de lettres, plusieurs des seigneurs, Montausier, Sévigné, vont à sa rencontre, lui donnent la main, lui souhaitent le bonjour, et l'embrassent. Ce n'est qu'avec peine qu'il parvient, en se dandinant sur ses deux jambes écartées, afin de ne pas froisser ses canons, assez près de madame de Rambouillet pour pouvoir lui faire une double salutation. Sa figure est riante, son habillement est simple, mais d'une élégance et d'une fraicheur remarquables.

<< Monsieur, lui dit la marquise, vous nous avez donc disgraciées ? voilà quatre jours que je ne vous ai vu; et même, en vous promettant M. Corneille, il faut encore vous envoyer chercher. »- « Ah, madame! plaignez-moi, et ne me grondez pas. La mission qu'il a plu à son éminence de me donner pour l'Espagne m'a contraint à des conférences sans fin avec le cardinal de la Valette, monseigneur le duc d'Orléans et les gens d'affaires. Pendant

I VOITURE, Œuvres, 1677, in 12, t. I, p. 68.

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