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l'obéissance aux ordres du roi, irrité d'avoir été éloigné du ministère, fit en sorte que le duc de Sully, son gendre, qui commandait à Nantes, permit le passage de cette ville aux troupes du duc de Nemours; et le duc de Rohan, que la reine avait nommé gouverneur d'Anjou, fit révolter Angers contre les troupes royales ; mais ensuite il ne leur résista pas aussi longtemps qu'il aurait pu le faire dans l'intérêt du prince. La cour, ainsi que les partis qui lui étaient opposés, ne se lassait pas, pour la réussite de ses projets, d'employer la fraude, la violence, la crainte, la séduction: tous les moyens lui étaient bons. Mazarin ne répugnait pas même aux plus honteux. Ainsi la maréchale de Guébriant, qu'il avait mise dans ses intérêts, ne se fit aucun scrupule d'abuser de la confiance de Charlevoix et des droits que la reconnaissance lui donnait sur un officier dont son mari avait été le bienfaiteur. Elle ne rougit pas d'employer le ministère d'une demoiselle bien faite et de facile composition, dit madame de Nemours, pour attirer ce commandant de Brissach hors de sa forteresse, le faire prisonnier, et se rendre maîtresse de la place qu'il était chargé de garder. Toutefois cette trahison ne réussit qu'à demi. La garnison, indignée, remit la place au comte d'Harcourt, qui n'était point contre le parti du roi, mais qui cependant était au nombre des mécontents, et peu favorable à Mazarin 2.

Le plus nul, le plus insignifiant de tous les chefs de la première Fronde, le duc de Longueville, fut le seul d'entre eux qui dans ces nouvelles circonstances se condui

ARNAULD,

' LORET, liv. III, p. 35, lettre du 10 mars 1652. t. XXXIV, p. 296.-TALON, t. LXII, p. 348, 351.-NEMOURS, t. XXXIV,

p. 522.- La Rochefoucauld, t. LII, p. 114 et 115.

2 MONGLAT, t. L, p. 394.-NEMOURS, t. XXXIV, p. 538.

sit avec sagesse et dignité, qui se montra un sujet fidèle, mais non servile. Il suivit un plan arrêté, conforme au bien public et à une bonne et saine politique. Retiré dans son gouvernement de Normandie, il fut sollicité par tous les partis, et ne se déclara d'abord pour aucun ; enfin il fit connaître ses intentions de ne pas se séparer du roi 1. · Mais, sans prendre fait et cause pour son ministre, il se prononça de manière à faire craindre à la cour, s'il était contrarié par elle, de le voir se replacer de nouveau sous l'empire de sa femme et de son beau-frère, auquel il s'était soustrait. Ainsi par ses instigations le parlement de Rouen avait demandé l'éloignement de Mazarin, à l'exemple de celui de Paris, mais sans adhérer aux actes de proscription de ce dernier2. La déclaration parlementaire servit au duc de Longueville de prétexte pour se refuser à admettre les troupes royales dans sa province, où cependant il maintenait la levée des impôts au profit du roi. Par là il parvint à rester maître absolu dans son gouvernement, et il se fit chérir des habitants, qu'il protégeait contre tous les maux de la guerre civile 3.

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Les désastres qu'elle occasionnait étaient portés à leur comble, et encore accrus par le peu d'autorité que les chefs militaires avaient sur leurs subordonnés. Un seul fait suffira pour faire juger du degré d'anarchie où l'on était arrivé. Pendant que la cour était en marche, la petite écurie du roi fut pillée par le frère du comte de Broglie, qui cependant était du parti de la cour; et ce brigandage fut considéré comme une équipée plaisante, dont on s'amusa, et qui excita le rire. Les troupes de tous les

' LORET, liv. III, p. 40, 52, lettres des 17 mars et 21 avril 1652. 2 CONRART, t. XLVIII, p. 69.

3 BRIENNE, Mém., t. XXXVI, p. 209.

partis, mal payées, mal nourries, pillaient, brùlaient, saisissaient les deniers publics, dévastaient les campagnes, rançonnaient les cultivateurs, et produisaient partout où elles séjournaient une misère extrême et une hideuse famine. Des bandes de malheureux abandonnaient leurs habitations, et suivaient l'armée du roi en demandant du pain: la cour vit plusieurs fois sur son passage des hommes mourant de faim, et des enfants tétant encore sur le sein de leurs mères, qui venaient de rendre les derniers soupirs. La reine, fortement émue d'un tel spectacle, disait que les princes et les parlements répondraient devant Dieu de tant de calamités, oubliant ainsi la part qu'elle y avait elle-même. Ce n'était pas tout. Les Espagnols s'avançaient sur nos frontières, et entraient en France comme alliés du prince de Condé, mais dans la réalité pour profiter de nos divisions. Turenne leur fit offrir de l'argent pour se retirer, et les menaça d'une bataille s'ils n'y consentaient. Ils prirent l'argent, et délivrèrent ainsi les troupes royales de la crainte d'avoir deux armées à combattre 3.

Chaque parti se montrait jaloux de rejeter la cause des malheurs qu'on éprouvait sur les partis contraires; tous parlaient de paix et semblaient la désirer, et tous la voulaient en effet; mais chacun d'eux avait la volonté d'en régler seul les conditions. Toutefois, pour éloigner d'eux l'odieux de la continuation de la guerre civile, le parle

Lettres de feu BALZAC à M. Conrart, 1659, in-12, p. 135, liv. II, lettre 25, en date du 20 novembre 1651; p. 151, liv. III, lettre en date du 19 février 1652; p. 166, lettre 8, en date du 3 avril 1652; et p. 181, en date du 29 avril 1652.

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2 RETZ, Mém., t. XLVI, p. 33.-LA PORTE, Mém., t. LIX, p. 432. DUPLESSIS, Mém., t. LVII, p. 427 et 429.

3 DUPLESSIS, Mém., t. LVII, p. 296.

ment et les princes envoyèrent des députés à Saint-Germain, où la cour s'était retirée : ces députés étaient munis de pouvoirs pour négocier; mais ils avaient ordre de ne point voir Mazarin, et de ne pas communiquer avec lui directement ni indirectement. Lorsqu'ils furent introduits auprès de la reine, Mazarin était à côté d'elle. Les conférences s'engagèrent donc entre eux et le ministre proscrit. Alors ces députés perdirent la confiance de leurs partis, et augmentèrent beaucoup les divisions qui s'y trouvaient, par la crainte qu'ils firent naître que ceux qui semblaient parler avec plus de véhémence et d'acharnement contre Mazarin ne fussent déjà entrés en arrangement avec lui '.

' CONRART, Mém., t. XLVIII, p. 40. — LORET, liv. III, p. 58, en date du 28 avril (1652); et liv. III, p. 59, en date du 5 mai.—MONCLAT, t. L, p. 339. - Vie du cardinal DE RAIS, 1836, in-8°, p. 361.

CHAPITRE XXIV.

1651-1652.

Situation de la capitale pendant le séjour qu'y fit madame de Sévigné. Paris se ressentait peu des desastres des provinces. - Succes des théâtres.--Les malheurs publics ramenaient à la méditation et a la religion.-Le nombre des solitaires de Port-Royal augmente. - Leur influence sur les gens de lettres et sur certaines reunions. — Madame de Sévigné alors tres-répandue dans le monde.—Courtisée par le duc de Roban et le marquis de Tonquedec. ——— Ses liaisons intimes avec sa tante la marquise de La Troche; avec mademoiselle de La Vergne. - Détails sur cette dernière et sur mademoiselle de La Loupe, son amie. — Mademoiselle de La Loupe est promise en mariage au comte d'Olonne. — Le cardinal de Retz tente de la séduire. — Il est secondé dans cette intrigue par le duc de Brissac, amoureux de mademoiselle de La Vergne. -— Récit que le cardinal de Retz fait lui-même de son aventure avec mademoiselle de La Loupe. Celle-ci épouse le comte d'Olonne. — Sa visite au camp du duc de Lorraine, et commencement de son intrigue avec le comte de Beuvron. - Liaison du cardinal de Retz avec madame de Pommereul.

Nous avons exposé dans le chapitre précédent les intrigues et les événements dont Paris fut occupé, et qui fournissaient matière aux entretiens de tous les salons et de toutes les ruelles pendant l'hiver qu'y passa madame de Sévigné, c'est-à-dire depuis la mi-novembre 1651 jusqu'aux premiers jours d'avril 1652. Dans cet intervalle de temps, cette capitale jouissait d'une assez grande tranquillité, et se ressentait peu des malheurs qui affligeaient les provinces. Paris avait refusé d'ouvrir ses portes aux troupes de tous les partis, qui avaient successivement

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