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main de ce monarque dépossédé, plus courageux qu'heureux, plus aimable que grand. Enivrée des hommages dont elle était l'objet, elle s'imaginait déjà être reine de France, et prévoyait peu que celui qu'elle refusait dût régner un jour. Elle était bien loin de penser que, pour obtenir une couronne qu'on ne pensait pas à lui donner, elle en perdait une qui lui était offerte. Cependant, longtemps après, en écrivant ses Mémoires, malgré les regrets que le souvenir de ces temps devait lui faire éprouver, nous voyons qu'elle aimait à se rappeler le brillant et joyeux carnaval de cette année, comme une des plus riantes époques de sa vie.

Madame de Sévigné ne prit part ni à ces intrigues ni à ces plaisirs. Elle termina aussi promptement qu'elle put les affaires qui l'avaient amenée à Paris, et elle repartit aussitôt pour aller dans sa terre des Rochers se livrer à sa douleur, et passer dans la solitude les premiers temps d'un veuvage qui ne devait finir qu'avec sa vie. Scarron, ami de son mari, avait envoyé chez elle avant son départ, pour lui faire connaître combien il regrettait que ses souffrances et ses infirmités ne lui permissent pas d'aller lui faire en personne ses compliments de condoléance. Il s'affligeait de ce qu'il était forcé de laisser échapper, même dans cette triste occasion, le plaisir de la voir au moins une fois avant de mourir. Madame de Sévigné, touchée de ses regrets, et peut-être aussi flattée de ses louanges (car à cette époque le pauvre Scarron, à l'apogée de sa réputation, était aussi le célèbre Scarron), lui

Vie de Jacques II, roi d'Angleterre, d'après les Mémoires écrits de sa main, 1819, in-8°, t. I, p. 69 à 70. MONTPENSIER, Mém., t. XLI, p. 156. Conférez la troisième partie de ces Mémoires, chapitre XIV, p. 239 et suiv.

fit dire que puisqu'il ne pouvait venir chez elle, elle lui promettait qu'aussitôt après son retour elle irait lui rendre visite. C'est alors que Scarron la pria, dans le style burlesque qui lui était familier, d'exécuter avant son départ une si séduisante promesse, parce que plus tard il ne serait plus temps, attendu qu'il serait mort. Madame de Sévigné partit, mais après avoir écrit à Scarron de ne pas mourir avant son retour, et avant qu'elle l'eût vu. Cette plaisanterie était permise avec un homme qui avait résolu de ne prendre rien au sérieux, pas même la douleur, pas même la mort. Ce fut alors qu'il lui écrivit la lettre suivante :

LETTRE DE SCARRON A MADAME DE SÉVIGNÉ.

<< Madame,

« J'ai vécu de régime le mieux que j'ai pu, pour obéir au commandement que vous m'avez fait de ne mourir point que vous ne m'eussiez vu. Mais, madame, avec tout mon régime, je me sens tous les jours mourir d'impatience de vous voir. Si vous eussiez mieux mesuré vos forces et les miennes, cela ne serait pas arrivé. Vous autres dames de prodigieux mérite, vous vous imaginez qu'il n'y a qu'à commander: nous autres malades, nous ne disposons pas ainsi de notre vie. Contentez-vous de faire mourir ceux qui vous voient plus tôt qu'ils ne veulent, sans vouloir faire vivre ceux qui ne vous voient pas aussi longtemps que vous le voulez; et ne vous en prenez qu'à vous-même de ce que je ne puis obéir au premier commandement que vous m'avez jamais fait, puisque vous aurez hâté ma mort, qu'il y a grande apparence que pour vous plaire j'aurais de bon cœur reçue aussi bien qu'un autre. Mais

ne pourriez-vous pas changer le genre de mort? Je ne vous en serais pas peu obligé. Toutes ces morts d'impa– tience et d'amour ne sont plus à mon usage, encore moins à mon gré; et si j'ai pleuré cent fois pour des personnes qui en sont mortes, encore que je ne les connusse point, songez à ce que je ferai pour moi-même, qui faisais état de mourir de ma belle mort. Mais on ne peut éviter sa destinée, et de près et de loin vous m'auriez toujours fait mourir. Ce qui me console, c'est que si je vous avais vue, j'en serais mort bien plus cruellement. On dit que vous êtes une dangereuse dame, et que ceux qui ne vous regardent pas assez sobrement en sont bien malades, et ne la font guère longue. Je me tiens donc à la mort qu'il vous a plu de me donner, et je vous la pardonne de bon cœur. Adieu, madame; je meurs votre très-humble serviteur ; et je prie Dieu que les divertissements que vous aurez en Bretagne ne soient point troublés par le remords d'avoir fait mourir un homme qui ne vous avait jamais rien fait. Et du moins souviens-toi, cruelle,

Si je meurs sans te voir,

Que ce n'est pas ma faute.

<< La rime n'est pas trop bonne; mais à l'heure de la mort on songe à bien mourir, plutôt qu'à bien rimer 1. »

Les dernières Euvres de M. Scarron, 1669, t. I, p. 21; édit. de 1700, t. I, p. 12. — Œuvres de M. Scarron, 1737, in-12, t. I, p. 43. L'intitulé est: A madame de Sévigny la veuve, selon la manière habituelle d'écrire ce nom alors. Conférez RICHELET, Les plus belles Lettres françoises sur toutes sortes de sujets, tirées des meilleurs auteurs, avec les noms; 4o édition, 1708, t. I, p. 50.

CHAPITRE XXII.

1651.

Réflexion sur l'état de l'âme quand un événement change notre des Courage des femmes dans l'adversité. Caractère de

tinée.

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madame de Sévigné.

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Résolution qu'elle prend de consacrer sa

vie à ses enfants. - Réflexions qui ont dû la déterminer. - Grandeur de son sacrifice. Motifs tirés de la conduite de son mari.. A veux qu'elle fait sur les deux années les plus heureuses de sa vie. -- Ce qu'elle dit du temps de son existence écoulé depuis son veuvage. Elle se replace sous la tutelle de l'abbé de Livry.

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- Elle quitte les Rochers, et revient à Citation de la Gazette de Loret à ce

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État de Paris lorsqu'elle y arriva. 21 octobre. Lit de justice.

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Vers qu'il lui adresse. - Tumulte au parlement le

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Majorité du roi déclarée. - Déjà Il signe l'ordonnance du rappel de Mazarin. Position de la cour à l'égard de Condé. La reine mère se décide à le poursuivre. — Elle sort de Paris avec le roi. — Le cardinal de Retz se trompe en croyant qu'il aurait pu empêcher ce départ.

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Quelle était la position du cardinal de Retz à l'égard des partis. Changements opérés dans les intentions et les projets du président Molé et de la princesse Palatine. — Le parti de Condé et celui de la Fronde s'affaiblissent. Embarras de la reine. - Conduite du parlement, ses désirs et ses craintes.

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Progrès de l'anarchie. Preuve tirée de la conduite du comte du Dognon. - Désordre dans les finances. — Mazarin rentre en France, accompagné d'une armée. Le parlement charge en vain le duc d'Orléans d'exécuter ses arrêts. Pourquoi le pouvoir échappait au duc d'Orléans.

Quand un événement inattendu rompt subitement le cours de notre destinée, notre âme, étonnée du coup qui la frappe, semble d'abord douter d'elle-même, l'altération qu'elle éprouve réagit sur tout ce qui nous environne. Le

monde nous apparaît sous un nouvel aspect; toutes nos illusions s'évanouissent. Dans nos longues rêveries, nous soumettons à un nouvel examen nos idées, nos opinions, et même nos affections. Nous interrogeons nos souvenirs; et le passé se montre alors sous un jour tout nouveau. Il semble qu'après avoir terminé toute une existence, avant d'en recommencer une autre, et de s'élancer vers un douteux avenir, on éprouve le besoin d'examiner autour de soi le sol sur lequel on se trouve transporté et les écueils qu'il faudra surmonter dans cette nouvelle carrière où le sort nous précipite. Cette nécessité réveille alors souvent en nous une puissance de réflexion, une force de résolution, que nous n'avions jamais connues; notre nature même semble changée. On a vu des individus soumis à une telle influence acquérir tout à coup, comme par un don surnaturel, les qualités et les vertus nécessaires à leur nouvelle vie. Pour justifier ces réflexions, l'exemple d'hommes longtemps inconnus et médiocres sous des conditions communes, qui soudainement, dans de grandes circonstances ou de grands revers, ont montré un courage et déployé des facultés qu'on ne leur aurait pas soupçonnés, ne manquerait pas; mais ces heureuses et étonnantes métamorphoses sont peut-être encore plus fréquentes et plus remarquables parmi les femmes; elles présentent du moins des contrastes plus frappants, plus étonnants. Quelque timide que soit une femme, quelque bornée même que soit son intelligence, il est rare qu'elle ne surprenne pas ceux qui la connaissent par une énergie et une présence d'esprit propres à la tirer des crises les plus difficiles, lorsqu'un sentiment profond l'anime, et surtout lorsque c'est celui de l'amour maternel. L'histoire nous en fournit d'illustres exemples. Plusieurs reines ré

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