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percé, mais ne fut point blessé. Sévigné veut récidiver; il se découvre : Albret prend son temps et pare; Sévigné se précipite sur son adversaire, reçoit un coup d'épée qui lui traverse le corps, et tombe. On le ramène à Paris : dès que les chirurgiens eurent examiné sa blessure, ils déclarèrent qu'elle était mortelle. Il expira, en effet, le lendemain, regrettant de mourir à vingt-sept ans. Ses amis, ou plutôt ses compagnons de plaisir, étaient accourus auprès de lui. Parmi eux se trouvait Gondran, celui de tous qui était le plus sincèrement affligé de sa perte '.

'CONRART, Mémoires, t. XLVIII, p. 185-187.

CHAPITRE XXI.

1651.

Tout y était

Ses

Le marquis de Sévigné peu regretté du monde. Il était dissipateur et fâcheux. — Explication de ce mot. — Madame de Sévigné fut violemment affligée de la mort de son mari. — Signes qu'elle donne de sa douleur deux ans après l'événement. — Elle revient à Paris aussitôt qu'elle l'a appris. — Elle est obligée de s'adresser à madame de Gondran pour avoir des cheveux de son mari et son portrait. État de Paris lorsque madame de Sévigné y arriva. en fermentation. · La cour et le roi gardés dans la capitale. Condé mauvais politique. Habileté de la reine régente. manœuvres pour ravoir son ministre. — La reine est soupçonnée à tort d'avoir voulu faire emprisonner le coadjuteur. — Condé quitte Paris, et se retire à Saint-Maur. — Les députés de la noblesse demandent la convocation des états généraux. La reine et le parlement s'y opposent. - La reine régente travaille à diviser les partis. — La plupart des agents de toutes ces intrigues étaient des femmes. - Détails sur la princesse Palatine. - Mademoiselle de Chevreuse.La duchesse de Lesdiguières. — Mademoiselle de Longueville. Mademoiselle de Montpensier. - Madame de Rhodes. chesse de Montbazon. — La duchesse de Châtillon. de Longueville. - Fêtes données dans la capitale. théâtrales. Mariages du duc de Mercœur et de mademoiselle de Mancini. - Brillant carnaval. — Madame de Sévigné passe son deuil dans la solitude. Se dispose à retourner en Bretagne. lui écrit pour se plaindre de ne l'avoir pas vue. — d'aller lui rendre visite à son retour de Bretagne.

La duLa duchesse

Nouveautés

Scarron Elle lui promet

Quoique le marquis de Sévigné fût bien fait, d'une figure agréable; quoiqu'il ne manquât ni d'esprit ni d'amabilité, qu'il fût homme d'honneur, et ne fût ni méchant, ni trompeur, ni perfide, si ce n'est envers sa femme, ce qui comptait peu, même alors, cependant il ne fut point

regretté'. Il s'était partout acquis la réputation d'un de ces hommes qu'on désignait par le nom de fâcheux, c'està-dire de ceux qui occupent sans cesse les autres d'euxmêmes, et se rendent par là fatigants et importuns. De plus il était dissipateur; et les dissipateurs sont toujours besoigneux. Bien loin de pouvoir être utiles à leurs amis, ils leur sont souvent à charge; leur prodigalité ne s'exerce qu'au profit des usuriers, des parasites et des flatteurs, ou des femmes sans honneur, sans conscience et sans délicatesse. Il y a donc des défauts et un genre d'inconduite qui nuisent plus à un homme dans l'estime et dans l'affection des autres, que des vices reconnus, que certaines actions coupables; car on voit des hommes qui, malgré ce double cachet de réprobation, conservent encore dans l'adversité des amis sincères et dévoués. C'est qu'il est des vices qui peuvent s'allier avec de nombreuses et fortes vertus, et des torts graves qui n'excluent ni l'élévation de l'âme ni un cœur capable de sympathiser avec les autres. Au lieu que le double caractère de fâcheux et de dissipateur implique un égoïsme profond; et l'égoïsme repousse toutes les résolutions généreuses, ne tient aucun compte des autres, resserré et concentre toute l'existence dans le moi individuel. Il est l'opposé de l'amitié et de l'amour, qui ne connaissent de vie et de bonheur que par l'expansion des sentiments, la réciprocité des services, l'échange du dévouement, des affections et des jouissances.

Cependant il fallait bien que le marquis de Sévigné possédât quelques qualités aimables, puisqu'il fut aimé de sa femme. La douleur que madame de Sévigné ressentit de la perte de son mari fut sincère, violente et durable.

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Elle s'évanouit la première fois qu'elle revit, dans une assemblée, le chevalier d'Albret; et deux ans après le duel Tallemant la vit, dans un bal, pâlir et presque défaillir à la vue de Soyecour. En apercevant Lacger dans une allée de Saint-Cloud, où elle se promenait, elle dit : « Voilà l'homme du monde que je hais le plus, par le mal que m'ont fait ses indiscrétions. » Deux officiers aux gardes, qui se trouvaient près d'elle, lui offrirent de le fustiger devant elle : « Gardons-nous-en bien, dit-elle; il est avec plusieurs de mes parents, auxquels vous ne voudriez pas faire affront. » Et elle se détourna avec son cortége dans une autre allée du parc, pour éviter de rencontrer Lacger 1.

Aussitôt que madame de Sévigné eut appris en Bretagne que son mari s'était battu en duel, elle revint en toute hâte à Paris; mais elle n'arriva point assez tôt pour lui rendre les derniers devoirs. Le bruit courut même que n'ayant de lui ni portrait ni cheveux, elle en avait fait la demande à madame de Gondran, qui y satisfit sur-lechamp. De son côté, madame de Sévigné renvoya à madame de Gondran toutes les lettres que celle-ci avait écrites au marquis de Sévigné. Tallemant dit que ces lettres étaient, pour le style et l'indécence des expressions, semblables à celles que, plus jeune, madame de Gondran avait autrefois adressées à la Roche-Giffart2.

Jamais Paris n'avait eu un aspect plus alarmant que lors du tragique événement qui força madame de Sévigné à y revenir; jamais le Palais de Justice, le Palais-Royal, le Luxembourg, l'archevêché, les hôtels des princes et des grands seigneurs, n'avaient présenté le spectacle de

1 TALLEMANT DES RÉAUX, Mémoires, t. IV, p. 303; t. VII, p. 219, édit. in-12.

2 Ibid., t. IV, p. 303, in-8°; t. VII, p. 218, in-12.

tant d'agitations tumultueuses, de tant de changements rapides, de passions ardentes, d'intrigues compliquées. Cette capitale se remplissait de gens de guerre, que les princes, le duc de Beaufort, le coadjuteur, le duc d'Orléans, y appelaient. Poursuivi par la haine de tous les partis, Mazarin avait été obligé de céder enfin à l'orage. Il s'était déterminé à fuir; et la crainte de voir s'échapper à sa suite le roi et la reine régente avait soulevé le peuple de Paris, et y avait fait prévaloir l'influence du duc d'Orléans et du coadjuteur, qui s'était rendu maître de l'esprit de ce prince. Toutes les portes étaient gardées; aucune femme même ne pouvait sortir du Palais-Royal sans ôter son masque et décliner son nom'. A toute heure du jour, et même de la nuit, des émissaires du duc d'Orléans, des officiers de la garde bourgeoise, pénétraient dans le palais pour s'assurer si le roi s'y trouvait; et ils forçaient la reine régente à le leur montrer. Le monarque enfant, par sa beauté, ses grâces, le calme de son sommeil, saisissait de respect et d'amour ceux qui étaient admis à le contempler. Ceux-ci rendaient compte au peuple de leur mission, en termes qui faisaient partager à la multitude attentive les sentiments que la vue du roi leur avait ins→ pirés; et, au milieu de leurs actes les plus séditieux, ils portaient ainsi un remède à la sédition 2.

La reine régente, dans le dessein de sortir de la captivité, avait été obligée de rendre la liberté au prince de Condé, ainsi qu'à son frère et à son beau-frère. Ils étaient rentrés dans Paris en vainqueurs, aux acclamations de

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t. XXXIX, p. 152 et 162. · MONTPENSIER, Mémoires, t. XLI, p. 127. 2 MONGLAT, Mém., t. L, p. 282, 290. DUPLESSis, Mém., t LVII, p 363-366.

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