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le beau-frère de Rambouillet. Ce fut lui qui l'introduisit chez Ninon. Après avoir parlé du voyage, qu'elle fit à Lyon, et de sa liaison avec Sévigné, il ajoute : « M. de Rambouillet eut son tour; durant sa passion, personne ne la voyait que celui-là. Il allait bien d'autres gens chez elle, mais ce n'était que pour la conversation, et quelquefois pour souper; car elle avait un ordinaire assez raisonnable; sa maison était passablement meublée : elle avait une chaise [une voiture] fort propre. Elle écrivit en badinant à Rambouillet: « Je crois que je t'aimerai trois mois ; c'est trois siècles pour moi. » Charleval ayant trouvé chez elle ce jouvenceau, qu'il n'y avait pas encore vu, s'approcha de l'oreille de la belle, et lui dit : « Ma chère, voilà qui a bien l'air d'être un de vos caprices 1. >>

Le règne de Rambouillet ne fut pas plus long que celui du marquis de Sévigné; il fut supplanté par Vassé, qui recueillit ainsi le fruit de sa longue persévérance. Comme Coulon et d'Aubijoux, Vassé, se plut à user de ses richesses pour satisfaire sa vanité, et à faire parade d'une conquête dont il était glorieux; et ce fut aussi la cause qui la lui fit perdre.

Tallemant remarque à ce sujet que Ninon ne voulut rien recevoir du marquis de Sévigné qu'une bague de peu de valeur peut-être eût-il été à désirer pour madame de Sévigné que son mari eût conservé plus longtemps une maîtresse aussi désintéressée; il n'en continua pas moins, après l'avoir perdue, de donner en ce genre de nouveaux sujets de peine à sa femme. Les nouvelles liaisons qu'il contracta contribuèrent, ainsi que son défaut d'ordre, à déranger sa fortune. Ce fut alors que madame

TALLEMANT DES RÉAUX, t. IV, p. 314, in-8°; et t. VII, p. 229, in-12.

de Sévigné se sépara de biens d'avec lui; mais elle ne put s'y déterminer qu'après y avoir été en quelque sorte contrainte par les instances de l'abbé de Livry. Celui-ci ne put empêcher que, peu de temps après cette séparation, elle ne se rendit caution pour M. de Sévigné d'une somme de cinquante mille écus. Ménage, qui n'aimait pas le marquis, ne put se contenir quand il apprit ce nouvel engagement. Usant des droits d'une ancienne amitié, il gronda vivement madame de Sévigné de cette faiblesse, et lui dit Madame, une femme prudente ne doit jamais placer de si fortes sommes sur la tête d'un mari. Pourvu que je ne mette que cela sur sa tête, que pourrat-on me dire? » répondit-elle'. - Nous n'eussions pas reproduit cette grivoise repartie, si elle ne servait à faire ressortir une singularité du caractère de madame de Sévigné, dont nous avons déjà parlé : c'est que le besoin de gaieté qu'éprouvait cette femme spirituelle la rendait très-libre dans ses propos, et que son imagination n'était pas aussi chaste que sa raison et sa conscience.

« Sévigné, dit Tallemant, n'était point un honnête homme il ruinait sa femme, qui est une des plus agréables de Paris. Elle chante, elle danse, elle a de l'esprit, elle est vive, et ne peut se tenir de dire ce qu'elle croit joli, quoique assez souvent ce soient des choses un peu gaillardes: même elle en affecte, et trouve moyen de les faire venir à propos 2. »

Ce n'est pas seulement ceux qui ont eu occasion de voir madame de Sévigné et de s'entretenir avec elle qui confirment cette observation, mais ce sont ses lettres mêmes.

TALLEMANT, t. IV, p. 300, édit. in-8°; t. VII, p. 216, édit. in-12. 2 Ibid., p. 299, in-8°; t. VII, p. 217, édit. in-12.

Ceux qui les ont les premiers livrées à l'impression sous le règne de Louis XV, à l'époque de la plus grande dépravation des mœurs en France, ont cru nécessaire de changer quelques expressions, et d'adoucir certains passages, par trop libres, pour ne pas choquer la délicatesse du public de leur temps. Le plus savant et le plus exact éditeur de madame de Sévigné n'a pas osé rétablir dans son édition ces parties du texte telles qu'il les trouvait dans les lettres autographes qu'il a collationnées, et s'est déterminé à laisser subsister les changements que les précédents éditeurs y avaient faits; et il est telle repartie échappée à madame de Sévigné dans la vivacité du dialogue, citée par Tallemant, que nous ne voudrions pas reproduire dans ces Mémoires. Chose étrange, que nous soyons devenus plus scrupuleux et plus susceptibles qu'une précieuse formée à l'école de Rambouillet!

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CHAPITRE XX.

1651.

Sévigné conduit sa femme en Bretagne, et revient à Paris. — Il devient amoureux de madame de Gondran. — Détails sur madame de Gondran et sa famille. — Ses amours avec la Roche-Giffart, lorsqu'elle était demoiselle Bigot. — Ses autres amants lorsqu'elle fut mariée. -Sévigné obtient ses faveurs.-Il emprunte à mademoiselle de Chevreuse ses pendants d'oreilles, pour les prêter à madame de Gondran. — Comment l'abbé de Romilly s'y prend pour l'humilier. Le bruit court que le marquis de Sévigné s'est battu en duel. Alarme que cette nouvelle cause à madame de Sévigné. — Le chevalier d'Albret fait sa cour à madame de Gondran. — Il ne peut réussir. — Le bruit court que le marquis de Sévigné a fait des plaisanteries sur son compte. Le chevalier d'Albret provoque Sévigré en duel. — Ils se battent. — Sévigné est blessé, et meurt.

Le marquis de Sévigné, pour se livrer avec moins de contrainte à sa vie licencieuse et désordonnée, avait conduit sa femme en Bretagne, à sa terre des Rochers ; il l'y avait laissée, et était revenu à Paris. Après avoir été quitté par Ninon, il devint amoureux de madame de Gondran, qui s'était acquis à Paris une certaine célébrité par sa beauté et ses galanteries. Pour ce qui concerne sa beauté, je dois faire observer cependant que Tallemant, en parlant de cette nouvelle inclination de Sévigné, interrompt souvent son récit en disant : « Pour moi, j'eusse mieux aimé sa femme. » Et Bussy a fait la même réflexion sur toutes les maîtresses de Sévigné.

Madame de Gondran était la fille de Bigot de la Honville, secrétaire du roi, et contrôleur général des gabelles.

Elle perdit sa mère fort jeune ; et son père, ne jugeant pas à propos de la garder avec lui, la mit sous la tutelle de sa sœur aînée, mariée à Louvigny, secrétaire du roi 1. Madame de Louvigny, femme modeste et retirée, vit tout à coup sa maison envahie par un grand nombre de jeunes gens de la cour et de la ville, qu'attiraient la beauté et plus encore les coquetteries de sa sœur. Madame de Louvigny n'osa point faire refuser sa porte à des personnes qui par leur rang, beaucoup au-dessus du sien, commandaient des égards; et elle ne put empêcher sa sœur de se plaire dans leurs entretiens, et d'être l'objet de leurs attentions et de leurs civilités. Cependant le nombre s'en accroissait sans cesse, et il n'était bruit dans Paris, parmi les jeunes seigneurs coureurs des belles, que de la charmante Lolo. C'est par ce surnom, diminutif du nom de Charlotte, qui était le sien, qu'on avait pris l'habitude de désigner mademoiselle Bigot de la Honville. Son père, tous ses parents, et surtout sa sœur, pensèrent que, pour éviter les dangers des inclinations qu'elle manifestait, il fallait se hâter de la marier. Un parti se présentait : c'était de Gondran, un des fils de Galland, avocat célèbre 3. Le fils aîné de Galland s'était aussi distingué dans la carrière du barreau, et soutenait dignement un nom que son père avait illustré. Quant à de Gondran, il était paresreux, glouton, ivrogne, brutal 4. Aucune qualité personnelle ne le recommandait, mais il était riche. Il devint

' Qu'il ne faut pas confondre avec le comte de Louvigny, depuis duc de Gramont.

2 CONRART, Mémoires, t. XLVIII, p. 192.

3

LORET, liv. V, p. 39, 18 mars 1654.

4 TALLEMANT des Réaux, t. IV, p. 288, édit. in-8°; t. VII, p. 190, édit. in-12.

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