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le Bourbonnais. La princesse quitta Montrond pour se rendre à Bordeaux, où elle arriva le 15 juin '. Les ducs de Bouillon et de La Rochefoucauld, aidés du parlement et du peuple, se disposaient à y soutenir un siége contre l'armée royale; et la princesse, qui s'y était renfermée avec eux, envoya un exprès à Paris, pour donner l'ordre aux comtes de Bussy, de Tavannes et de Chastelux de se rendre à Montrond. Elle écrivit en particulier à Bussy pour l'engager, lorsqu'il serait dans le pays, à faire tous ses efforts, à user de l'influence que lui donnait sa qualité de lieutenant de roi de Nivernais, pour se rendre maître de la Charité-sur-Loire 2. Bussy obéit; et, après avoir reçu à Montrond ses commissions, il ouvrit la campagne en Berry par l'enlèvement d'une partie du régiment d'infanterie du comte de Saint-Aignan.

Cependant ni la guerre ni le mariage conclu avec Louise de Rouville ne purent triompher de la passion que Bussy avait conçue pour sa cousine et le distraire de ses projets sur elle. Il l'avait laissée à Paris, toujours fidèle au parti de Gondi ou de la Fronde, et par conséquent actuellement dans celui de la cour et de Mazarin, réuni à celui de la Fronde, ou ayant fait avec ce parti un pacte momentané contre l'ennemi commun. Ainsi madame de Sévigné se trouvait contraire au parti des princes, dans lequel Bussy était engagé. Le sort semblait s'attacher à placer le cousin et la cousine, qui toujours désiraient se réunir, dans des camps opposés et ennemis. Launay-Liais, ce gentil-homme breton dont nous avons parlé 3, que madame de Sévigné

2

'MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 41.

3

LENET, Mémoires, t. LIII, p. 157.

Voyez ci-dessus, chap. IX, p. 122; et SÉVIGNÉ, Lettres, t. I,

p. 15, no 10, édit. M.; t. I, p. 16, édit. G. de S.-G.

avait recommandé à Bussy, et qu'il avait pris à son service, désira se rendre à Paris. Bussy le lui permit, et saisit cette occasion, que peut-être lui-même avait fait naître, pour envoyer à sa cousine la lettre suivante, datée de Montrond le 2 juillet ' :

LETTRE DE BUSSY A MADAME DE SÉVIGNÉ.

« Au camp de Montrond, ce 2 juillet 1650.

« Je me suis enfin déclaré pour M. le Prince, ma belle cousine; ce n'a pas été sans de grandes répugnances, car je sers contre mon roi un prince qui ne m'aime pas. Il est vrai que l'état où il est me fait pitié; je le servirai donc pendant sa prison comme s'il m'aimait ; et s'il en sort jamais, je lui remettrai sa lieutenance, et je le quitterai aussitôt pour rentrer dans mon devoir.

« Que dites-vous de ces sentiments-là, madame? Mandez-moi, je vous prie, si vous ne les trouvez pas grands et nobles. Au reste, écrivons-nous souvent, le cardinal n'en saura rien; et s'il venait à le découvrir et à vous faire donner une lettre de cachet, il est beau à une femme de vingt ans d'être mêlée dans les affaires d'État. La célebre madame de Chevreuse n'a pas commencé de meilleure heure. Pour moi, je vous l'avoue, ma belle cousine, j'aimerais assez à vous faire faire un crime, de quelque nature qu'il fût. Quand je songe que nous étions déjà l'année passée dans des partis différents, et que nous y sommes encore aujourd'hui, quoique nous en ayons changé, je crois que nous jouons aux barres. Cependant votre parti est toujours le meilleur; car vous ne sortez point de

1

Bussy, Mémoires, t. I, p. 196 de l'édit. in-12.

Paris, et moi je vais de Paris à Montrond, et j'ai peur qu'à la fin je n'aille de Montrond au diable.

« Pour nouvelles, je vous dirai que je viens de défaire le régiment de Saint-Aignan; si le mestre de camp y avait été en personne, je n'en aurais pas eu si bon marché.

« Le sieur de Launay-Liais vous dira la vie que nous faisons; c'est un garçon qui a du mérite, et que par cette considération je servirai volontiers; mais la plus forte sera parce que vous l'aimez, et que je croirai vous faire plaisir. Adieu, ma belle cousine. »>

Launay-Liais avait accompagné Bussy lorsqu'il partit de Paris en poste avec Tavannes, Chastelux et Chavagnac, et quelques autres officiers de Condé, pour se rendre à Montrond. Bussy et ses compagnons avaient tous pris, pour leur sûreté, des noms supposés. Launay-Liais voulut les imiter, et semblait éprouver de la difficulté à choisir un nom pour lui; Tavannes, qui trouva sa vanité ridicule, lui dit: « Prenez le nom que j'ai adopté, et je m'appellerai Launay-Liais; plus certain de me cacher avec ce nom mieux que qui que ce soit dans la compagnie. » Bussy, qui rapporte dans ses Mémoires' ce trait humiliant pour ce pauvre gentil-homme, eut beaucoup à se louer de ses services et de sa fidélité. Quand Bussy fut obligé de se rendre à Paris, et d'y demeurer déguisé, afin de conférer avec le duc de Nemours sur les moyens de servir la cause des princes, il avoue que Launay-Liais était le seul en qui il pût avoir une confiance entière. Deux mois plus tard, Bussy fut forcé de se déguiser encore pour se rendre en Bourgogne; la mort de sa mère l'obligeait à participer de sa personne à l'arrangement de ses affaires. Ce fut encore

'Bussy, Mém., t. I, p. 193 de l'édit. in-12; et de l'édit. in-4o, p. 242.

Launay-Liais qu'il employa pour achever heureusement ce voyage difficile, et dangereux pour lui dans les circonstances où il se trouvait. Bussy fit jouer à LaunayLiais le rôle du maître, et le faisait marcher en avant; tandis que lui, affublé d'une perruque noire, avec un emplâtre sur l'œil, et de tout point méconnaissable, suivait à cheval comme domestique, et portait la valise '. Jamais l'on ne vit un plus grand nombre de déguisements et de travestissements, même de la part des plus hauts personnages, que pendant les quatre années que dura la Fronde. Les aventures qui les rendaient nécessaires, ou auxquelles ils donnaient lieu, surpassaient tout ce que les auteurs des comédies espagnoles, alors à la mode, avaient imaginé de plus étrange, de plus inattendu et de plus romanesque.

'Bussy, Mémoires, t. I, p. 199-201 de l'édit. in-12; et de l'édit. in-4°, t. I, p. 249 et 251.

CHAPITRE XV.

1650.

L'arrestation des princes augmente le nombre des partis.

On en

compte cinq. Celui de Mazarin. — Celui de Conde, ou la nou

velle Fronde.

du parlement.

Celui de l'ancienne Fronde, ou de Gondi. — Celui Celui de Gaston. Noms des chefs et des principaux personnages de chaque parti.

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Leurs caractères, leurs

intrigues. Nature de l'attachement d'Anne d'Autriche pour son ministre. Motifs qui faisaient agir Mazarin, Gaston, La Rochefoucauld, Turenne, Châteaubriand, Nemours, Gondi, et la duchesse de Chevreuse. Madame de Sévigné, liée avec la duchesse de Chevreuse, lui donne un souper splendide. Citation de la Gazette de Loret à ce sujet. - Loret appartenait au parti de la Sa Gazette était dédiée à mademoiselle de Longueville; caractère de cette princesse.

cour.

L'arrestation des princes avait singulièrement compliqué les événements de la scène politique; elle avait déplacé tous les intérêts, et au lieu de réunir les partis et de les comprimer, elle en avait augmenté le nombre. On en comptait cinq, représentés par autant de chefs principaux, autour desquels se groupaient toutes les affections et toutes les ambitions particulières.

D'abord le parti de Mazarin, seul contre tous, dont Servien, la marquise de Sablé, et quelques autres personnages de la cour, étaient plutôt les complices intéressés que les partisans'. Ce parti avait pour appui l'habileté

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BRIENNE, Mémoires,t. XXXVI, p. 161, 165. — LENET, Mémoires, t. LIII, p. 479

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