Page images
PDF
EPUB

son esprit caustique et son caractère présomptueux et moqueur avaient déplu, cherchait à lui occasionner des dégoûts; il voulait que Bussy vendit à Guitaut sa charge de capitaine-lieutenant des chevau-légers. Le comte de Guitaut était cornette dans cette compagnie, et il avait toute la confiance du prince1. Bussy résista; alors Condé donna l'ordre à sa compagnie de chevau-légers de marcher en Flandre. La guerre s'y continuait. Les Espagnols, profitant des troubles civils, avaient repris Ypres et SaintVenant. Bussy évita cette fois l'obligation de se rendre à l'armée, en chargeant son maréchal des logis de l'exécution des ordres qu'il avait reçus, et en prétextant des affaires de famille qui exigeaient sa présence en Bourgogne, où en effet il eut soin de se rendre. Malheureusement pour lui, le prince de Condé y vint aussi, et Bussy se trouva dans la nécessité d'aller lui rendre ses devoirs à Dijon. Là, le prince lui réitéra l'ordre d'aller à l'armée; il fallait nécessairement ou vendre sa charge, ou faire la campagne : Bussy préféra ce dernier parti2.

Ni les projets de mariage qué Bussy formait à cette époque3, ni la mort du seul frère qui lui restait, et dont il avait reçu des marques de dévouement et d'amitié 4, ni l'amour qu'il avait pour sa cousine, ne pouvaient arrêter ce besoin d'intrigues galantes qui le dominait. Pendant son séjour à Paris, il eut occasion de voir dans le Temple, où il demeurait, deux demoiselles 5. Elles étaient sœurs,

1 Bussy, Mémoires, t. I, p. 181 de l'édit. in-12; et de l'édit. in-4o, p. 226.

2 Ibid., t. I, p. 151, édit. in-12.

3 Ibid., t. 1, p. 183 de l'édit. in-12; et de l'édit. in-4o, p. 229. 4 lbid. t. I, p. 181 de l'édit. in-12; et de l'édit. in-4o, p. 227.

5 Suppl. aux Mémoires et Lettres de M. le comte de Bussy, p. 37.

<< aussi jolies femmes, dit-il, qu'il y en eût en France, et jusque alors en fort bonne réputation ». Elles demeuraient avec leur mère. De concert avec un autre gentil-homme, qui devait l'accompagner à l'armée comme volontaire, Bussy s'introduisit chez elles, et se fit aimer de la cadette, tandis que son compagnon adressait ses hommages à l'aînée. Tous deux se montraient fort assidus dans cette maison, et n'en sortaient le soir que fort tard. D'après une lettre de Bussy, datée de Clermont en Beauvoisis le 15 septembre 1649, il paraît même que les deux galants passèrent avec les deux sœurs la nuit entière du jour qui précéda leur départ pour l'armée; mais cette lettre même prouve qu'ils ne purent parvenir à exécuter leurs coupables projets de séduction.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

née. - Rôle que joue Gondi au milieu de ces événements. Bussy offre de vendre sa charge à Guitaut, qui s'y refuse. Bussy ne se déclare pour aucun parti. — Il se marie. Il continue à suivre le parti de Condé. Il enlève en Berry le régiment du comte de Saint-Aignan. - Bussy est toujours amoureux de madame de Sévigné. Il charge Launay-Liais de lui remettre une lettre. Lettre de Bussy à madame de Sévigné. — Vanité de Launay-Liais. Tavannes lui adresse un mot humiliant.

Launay

Liais avait toute la confiance de Bussy. Bussy, par son secours, se rend en Bourgogne, et échappe aux ennemis au moyen d'un déguisement. Réflexions sur les travestissements pendant toute la durée de la Fronde.

Les dissensions civiles, en se prolongeant, ne manquent jamais de montrer le triste spectacle des torts de tous les partis; ceux même qui y étaient entrés avec les penchants et les illusions de la vertu, honteux des souillures qu'ils ont contractées dans la lutte, finissent presque toujours par se renfermer dans le cercle étroit des intérêts individuels, et achèvent de se dégrader, en ne reconnaissant plus pour seul mobile de leurs actions qu'un lâche égoïsme. Alors tout amour du bien publíc s'éteint; les cœurs deviennent insensibles à toute généreuse sympathie; l'âme se flétrit, tout ce qu'elle avait de divin disparaît; semblable à ces aromates qui, après avoir répandu au loin l'odeur et l'éclat de leur ardent brasier, ont

perdu par la combustion jusqu'à la faculté de s'enflammer, et ne forment plus qu'une cendre vile, sans chaleur, sans lumière et sans parfum.

Bussy n'était pas même au rang de ceux dont le patriotisme avait besoin d'être détrompé par l'inutilité de ses efforts: jamais il ne s'était laissé guider par d'autre motif que par son ambition, sa cupidité et les autres passions qui le dominaient. Quoique mécontent du prince de Condé, il n'avait pas hésité à suivre son parti, parce que c'était en même temps celui de la cour, dont il attendait des grâces. Lorsque la paix fut faite, il se disposait à quitter le prince et à s'attacher à Mazarin, qui était devenu la source des faveurs, tandis que Condé perdait tous les jours de son crédit. Bussy avait consenti, dans ce but, à vendre à Guitaut sa charge de capitaine de chevaulégers; Condé le pressait de conclure. Le 18 janvier 1650 Bussy était allé rendre ses devoirs au prince, qui lui demanda si son affaire avec Guitaut était terminée, ajoutant que l'argent de ce dernier était tout prêt. C'était le prince qui le lui prêtait. Bussy promit de terminer cette affaire sans perdre de temps; et en effet telle était son intention'. Mais le soir même il apprit que le prince de Condé, le prince de Conti, son frère et le duc de Longueville, avaient été arrêtés au Palais-Royal, au sortir du conseil, et conduits à Vincennes comme prisonniers d'État 2.

Cet événement inattendu, qui frappa de stupeur la cour, Paris, la France entière, paraîtrait inexplicable, si les Mémoires des principaux acteurs qui occupaient alors

1 BUSSY, Mém., t. I, p. 190 de l'édit. in-12, et p. 238 de l'édit. in-4°. 2 RETZ, Mémoires, t. XLV, p. 102, ou p. 191 de l'édit. 1836 de M. Champollion-Figeac. ARNAULD, t. XXXIV, p. 287. — BRIENNE,

t. XXXVI, p. 160.JOLY, t. XLVII, p. 97.

la scène politique, et qui pour cette seule année forment plusieurs volumes, ne nous avaient fait connaître jusque dans les plus petits détails les luttes secrètes des partis, la complication des intérêts individuels, la multiplicité des intrigues, qui rendirent un tel acte de l'autorité nonseulement possible, mais nécessaire. Autrement, on ne pourrait comprendre comment la reine et son ministre purent arbitrairement et injustement faire arrêter et conduire en prison le vainqueur de Rocroi et de Lens, le héros qui avait deux fois sauvé la France et la capitale des armes de l'Espagne, le prince du sang qui avait soutenu l'autorité du roi contre les Parisiens révoltés, le plus éminent des pairs de France; et cela sans qu'il eût conspiré contre l'État, sans qu'il pût être accusé d'aucun délit. On ne pourrait même deviner pourquoi toute la cour avait à se féliciter d'une si violente et si injuste ri— gueur; pourquoi le parlement, dont Condé avait maintenu l'autorité contre les séditieuses émeutes de la Fronde, ne songea pas à réclamer contre une telle atteinte portée aux lois du royaume, aux conventions protectrices de la liberté individuelle faites entre lui et le gouvernement; pourquoi, enfin, le peuple de Paris fit des feux de joie en apprenant la captivité de ce même prince dont il fêta depuis le retour par d'autres feux de joie, et des acclamations non moins unanimes et non moins bruyantes 1.

Notre sujet exige que les lecteurs connaissent l'enchaînement des scènes politiques qui amenèrent de si étranges résultats.

L'accommodement fait l'année précédente était plutôt une trêve entre les partis qu'une paix solide. Le parle

1 MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 7. GLAT, t. L, p. 217.

- JOLY, t. XLVII, p. 100.

- MON.

« PreviousContinue »