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Bussy revient à Paris.

CHAPITRE XI.

1648.

- Parenté

Il n'y trouve pas madame de Sévigné. Il apprend qu'elle est à l'abbaye de Ferrières. — Antiquité de cette abbaye. Pourquoi possédée par l'évêque de Châlons. de l'évêque de Châlons et des Rabutins. Événements qui ont engagé M. et madame de Sévigné à l'aller voir. — Molé de Champlatreux intervient pour arranger l'affaire de Bussy. — On exige que Bussy s'éloigne de Paris. — Il se rend à Ferrières. Retourne à Paris. Reçoit des ordres pour organiser à Autun une compagnie de chevau-légers. Pourquoi il se décide à écrire à M. et à madame de Sévigné en nom collectif. — Lettre de Bussy. — Perfection de la gastronomie à cette époque. — Nécessité, pour l'objet de cet ouvrage, de donner une idée exacte de la guerre et des personnages de la Fronde.

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Bussy, ainsi que nous l'avons déjà dit, avait quitté subitement le château de Launay. Il s'était rendu à Paris, espérant y trouver madame de Sévigné. Il apprit qu'elle était allée avec son mari passer la belle saison chez son oncle l'évêque de Châlons, à Ferrières. Cette célèbre abbaye, dont on faisait remonter l'antiquité au temps de Clovis, était située sur les bords riants de la rivière de Loing, à trois lieues au nord de Montargis 1. André Fremyot, archevêque de Bourges, frère de sainte Chantal, l'avait réformée et rebâtie, et y avait placé des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur. Jacques Nuchèze, son neveu, nommé son coadjuteur, devint titulaire de cette abbaye, quoiqu'elle fût hors du diocèse de Châlons,

' Gallia Christiana, t. IV, p. 944; et t. XII, p. 156, 157 et 171.

dont il fut fait évêque 1. Il aimait à y résider, à y jouir des délices de la campagne, et il y faisait bonne chère. Fils de Jacques de Nuchèze, baron de Bussy-le-Franc, et de Marguerite Fremyot, sœur de sainte Chantal, il était oncle de madame de Sévigné et de Bussy. Il se trouvait heureux de recevoir dans son riant séjour des hôtes jeunes et aimables tels que M. et madame de Sévigné, dont il avait béni le mariage 2; et il eut d'autant moins de peine à les retenir près de lui, que les dissensions politiques avaient eu leur effet ordinaire. Tous les plaisirs étaient interrompus dans la capitale, toutes les relations sociales suspendues. La journée des Barricades avait eu lieu; la cour avait été obligée de s'enfuir à Saint-Germain. La paix offerte par le parlement ayant été acceptée aux conditions qu'il avait imposées, la cour était revenue à Paris, et Bussy avec elle. Le procès intenté contre lui pour le fait de l'enlèvement de madame de Miramion le força de s'en éloigner. Molé de Champlatreux, fils du premier président Molé, avait été chargé par le prince de Condé de s'entremettre entre Bussy et la famille de madame de Miramion, pour procurer un accommodement 3; mais on exigea, pour condition préalable, que Bussy quittât Paris, pour ne mettre aucun obstacle à des négociations dont il désirait de voir la fin. Il se rendit d'abord dans ses terres de Bourgogne, où ses affaires le réclamaient; mais il se hâta de les terminer, et partit le 15 octobre 1648 pour aller à l'abbaye de Ferrières, charmé de l'idée de se trouver réuni dans la mème habitation avec sa cousine. Entièrement occupé d'elle, il oubliait tout le reste, et serait

' Gallia Christiana, t. IV, p. 944.

2 Voyez ci-dessus, chap. III, p. 21.

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resté longtemps dans cette agréable retraite, où les heures s'écoulaient avec une douce rapidité 1. Mais au bout de dix jours une lettre de sa mère lui annonça que sa présence était indispensable à Paris pour y terminer son affaire il s'y rendit, et ne trouva point les choses aussi avancées qu'on le lui avait fait entendre. Il regrettait d'avoir quitté sa cousiné, et se disposait à la rejoindre, lorsqu'il reçut des ordres du roi pour aller à Autun y compléter le régiment de chevau-légers du prince de Condé. Dans l'impossibilité où il se trouvait de retourner à Ferrières, il résolut d'écrire à madame de Sévigné; mais, comme il savait que sa lettre serait lue de son mari, il prit le parti d'écrire à tous deux en nom collectif, de manière à ne rien omettre de tout ce qu'il lui importait de dire, sans cependant faire naître les soupçons. Pour les écarter plus sûrement, il parle dans sa lettre d'une jeune beauté de Paris qui avait frappé ses regards. Naturellement vaniteux, il aimait à rendre sa cousine la confidente de ses amours passagères, afin de prouver qu'il ne manquait pas de moyens de se distraire de ses rigueurs, et qu'en l'aimant il lui sacrifiait plus d'une rivale.

LETTRE DE BUSSY A M. ET A MADAME DE SÉVIGNÉ.

Paris, ce 15 novembre 1648.

« J'ai pensé d'abord écrire à chacun de vous en particulier; mais j'ai cru ensuite que cela me donnerait trop de peine, de faire ainsi des baise-mains à l'un dans la lettre de l'autre ; j'ai appréhendé que l'apostille ne l'offen

'Bussy, Mémoires, t. I, p. 165-179-184, p. 40. 'Ibid., t. I, p. 165.

sát; de sorte que j'ai pris le parti de vous écrire à tous deux l'un portant l'autre.

« La plus sûre nouvelle que j'aie à vous apprendre, c'est que je me suis fort ennuyé depuis que je ne vous ai vus. Cela est assez étonnant; car enfin je suis venu voir cette petite brune pour qui vous m'avez vu le cœur un peu tendre à la vérité, elle m'avait ce qu'on appelle sauté aux yeux, et je ne lui avais pas encore parlé. C'est une beauté surprenante, de qui la conversation guérit : on peut dire que pour l'aimer il ne faut la voir qu'un moment, car si on la voit davantage on ne l'aime plus; voilà où j'en suis réduit. Mais j'oubliais de vous demander des nouvelles de la santé de notre cher oncle. Je vous prie de l'entretenir de propos joyeux... Au reste, si vous ne revenez bientôt, je vous iraí retrouver : aussi bien mes affaires ne s'achèveront qu'après les fêtes de Noël. Mais ne pensez pas revenir l'un sans l'autre, car en cette rencontre je ne suis pas homme à me payer de raisons.

« Depuis que je vous ai quittés, je ne mange presque plus. Vous qui présumez de votre mérite, vous ne manquerez pas de croire que le regret de votre absence me réduit à cette extrémité; point du tout ce sont les soupes de messire Crochet qui me donnent du dégoût pour toutes les autres 1. >>>

Il ne faut pas s'étonner de voir Bussy s'extasier sur les soupes de messire Crochet. Je ne sais si les artistes en gastronomie de notre siècle, qui prétendent bien du moins avoir une supériorité incontestable à cet égard sur les siècles qui l'ont précédé, pourraient nous donner une nomenclature de potages égale à celle des officiers de

1

' Bussy, Mém., t. I, p. 166, édit. in-12. — Ibid., t. I, p. 207, in-4o. SÉVIGNÉ, Lettres, t. I, p. 9, édit. 1820. (Les deux versions diffèrent.)

bouche de cette époque. Un livre qui paraît avoir eu alors beaucoup de vogue nous donne les noms et les recettes de trente-quatre potages différents'.

La vie dissipée que madame de Sévigné menait alors, autant par inclination que pour plaire à son mari, ne contribuait pas peu à tenir en haleine la jalousie de son cousin, et lui faisait redouter d'être supplanté par un rival. Non-seulement la danse, la musique, les spectacles, les cercles brillants, et tous les plaisirs que son sexe préfère, étaient de son goût; mais elle aimait encore à partager ceux que les fatigues qu'il faut endurer semblent avoir exclusivement réservés aux hommes. C'est vers cette époque qu'elle alla passer quelques jours à la belle terre de Savigny-sur-Orges, non loin de Monthléry, possédée alors par Ferdinand de la Baulme, comte de Mont-Revel. Là, elle rencontra Charlotte de Séguier, marquise de Sully, fille du chancelier Séguier, et un certain M. de Chate, dont elle garda un long souvenir, puisque vingt-quatre ans après elle parle à sa fille des trois jours qu'elle passa avec lui, et durant lesquels elle s'adonna aux plaisirs de la chasse. « Je suis étonnée d'apprendre que vous avez M. de Chate : il est vrai que j'ai été trois jours avec lui à Savigny. Il me paraissait fort honnête homme; je lui trouvais une ressemblance en détrempe qui ne le brouillait pas avec moi. S'il vous conte ce qui m'arrivaà Savigny, il vous dira que j'eus le derrière fort écorché d'avoir couru un cerfavec madame de Sully, qui est présentement madame de Verneuil 3. >>

'L'Eschole parfaite des officiers de bouche, seconde édition, chez Jean Ribou, 1666, in-12, p. 260 à 347.

2 LE BOEUF, Hist. du Diocèse de Paris, t. XII, p. 70.

3

SÉVIGNÉ, lettre du 6 septembre 1671, t. II, p. 180, édit. de Monmerqué; t. II, p. 215, édit. de G. de S.-G.

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