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TOUCHANT LA VIE ET LES ÉCRITS

DE

MARIE DE RABUTIN-CHANTAL,

DAME DE BOURBILLY,

MARQUISE DE SÉVIGNÉ.

CHAPITRE PREMIER.

1592-1627.

Pos

Château de Bourbilly. - Famille des Rabutins. - Tableau représentant sainte Chantal. Belle réponse de Bénigne Fremyot. - De Bénigne Rabutin. Son duel avec Boutteville. Son combat à l'île de Ré.. Sa mort.

térité de sainte Chantal.

A deux lieues au sud-ouest de la ville de Semur en Bourgogne, et à la même distance de l'ancien bourg d'É– poisses, dans un vallon tapissé de prairies et de toutes parts environné de coteaux que couvrent des bois et des vignes, s'élève, près des bords d'une petite rivière, le vieux château de Bourbilly. La rivière, que l'on nomme le Sérain, du haut d'un rocher se précipite en cascade dans le vallon, le traverse, s'y divise, et roule en murmurant ses eaux limpides. Le château, entouré de murailles épaisses et flanquées de tourelles, présentait à l'extérieur un

carré, et à l'intérieur une vaste cour. Son entrée était fermée par un pont-levis que dominait une tour.

Ce domaine, qui relevait comme fief de la seigneurie d'Époisses, était devenu l'apanage de la branche aînée des Rabutins, lorsque, à une époque très-reculée, le lieu d'où cette famille tirait son nom, situé dans la paroisse de Changy, près de Charolles, eut été détruit 1. Bourbilly devint alors la principale habitation des Rabutins ; la chapelle était affectée à leur sépulture, et les terres qui en dépendaient fournissaient les plus fortes parties de leurs

revenus.

2

Le château il y a dix ans ne s'offrait déjà plus aux regards des voyageurs tel qu'il était autrefois. A la place du pont-levis on voyait un pont en briques, de deux arches, et au lieu de la tour un petit bâtiment entouré d'arbres. Une des principales façades venait d'être abattue ; les vastes salles des corps de logis qu'on avait conservés étaient converties en greniers : il ne restait plus de leur antique magnificence que des chambranles de cheminée curieusement sculptés, et sur les murs des peintures à demi effacées, parmi lesquelles on distinguait l'écusson des Rabutins, qui par leurs alliances tenaient à la première dynastie des ducs de Bourgogne et à la famille royale de Danemark 3. Un seul portrait avait résisté comme par miracle à toutes les causes de destruction : c'était celui de la pieuse Chantal.

1 X. GIRAULT, Détails historiques sur les ancêtres, le lieu de la naissance, les possessions et les descendants de madame de SÉVIGNÉ, dans les Lettres inédites, 1819, p. XLVIII et L. — Ibid., XXVH. 2 J'écrivais ceci en 1831.

3 Lettres de madame de SÉVIGNÉ, de sa famille et de ses amis, édit. de Monmerqué, 1820, in-8°, t. I, p. 52.

Cette sainte femme était la fille de Bénigne Fremyot, de ce courageux président au parlement de Dijon, qui, menacé par les ligueurs, s'il n'embrassait leur parti, de voir immoler son fils, qu'ils avaient fait prisonnier, répondit : « Il vaut mieux au fils de mourir innocent, qu'au père de vivre perfide. » Ce fils fut depuis archevêque de Bourges. Sa sœur, Jeanne Fremyot, avait épousé, en 1592, Christophe second de Rabutin, baron de Chantal et de Bourbilly, gouverneur de Semur, qui périt à l'âge de trente-six ans, d'une blessure reçue par accident à la chasse. Sa veuve se retira avec ses enfants chez son beaupère, Guy de Rabutin, dans le château de Chantal, près d'Autun, commune de Montelon 1. C'est dans ce séjour, où elle demeura pendant plus de sept ans, que Fremyot de Chantal, obligée de donner ses soins à un vieillard brusque et quinteux, que dominait une servante méchante et intéressée, eut occasion d'exercer ces vertus chrétiennes qui lui ont valu, plus d'un siècle après sa mort, les honneurs de la canonisation. On sait que ce fut elle qui fut la fondatrice de l'ordre de la Visitation, et qu'elle mourut à Moulins, le 13 décembre 1641, dans un des quatrevingt-sept monastères de son ordre qu'elle avait établis. On montre encore aujourd'hui, dans le petit village de Bourbilly, le grand four où cette sainte veuve faisait cuire elle-même le pain des pauvres 2.

Elle n'avait eu qu'un seul fils, Celse-Bénigne de Rabutin, né en 1597. Il fut élevé à Dijon, chez ce président Fremyot, son aïeul, dont nous avons parlé. Bénigne de

1 X. GIRAULT, Détails historiques, etc., p. xxxш; Carte de la France, de Cassini, no 84.

2 Ibid., p. xxxvII; Éloge historique ou Vie abrégée de sainte FREMYOT DE CHANTAL, 1768, in-12, p. 203.

Rabutin épousa, en 1624, Marie de Coulanges, fille de Philippe, seigneur de la Tour-Coulanges, conseiller d'État, sécrétaire des finances 1. Aucun cavalier ne pouvait alors être comparé à Bénigne de Rabutin, soit pour les avantages du corps, soit pour ceux de l'esprit ; aucun d'eux ne l'emportait sur lui en courage; aucun ne pouvait l'égaler par son amabilité, par cette inépuisable gaieté qui lui faisait donner aux choses les plus communes un tour original '. Mais de graves défauts nuisaient à tant de brillantes qualités : il était vif, colère; il poussait la franehise jusqu'à la rudesse, et manifestait quelquefois son dédain et sa causticité par un laconisme insolent. Aussi eut-il souvent occasion de se soustraire à la rigueur des édits qui prohibaient les duels.

L'année même de son mariage, il assistait, à Paris, au service divin avec sa femme et toute sa famille. Il venait de communier, lorsqu'un laquais entra dans l'église, et lui vint dire que Boutteville de Montmorency, son ami, l'attendait à la porte Saint-Antoine, et avait besoin de lui pour être son second contre Pont-Gibaud, cadet de la maison de Lude. Le baron de Chantal, quoique en souliers à mule de velours noir, et dans un costume qui n'était nullement celui d'un combat, quitte l'autel, se rend à l'instant même au lieu du rendez-vous, et se bat avec sa bravoure ordinaire 3.

1 Lettres inédites de madame de SÉVIGNÉ, 1814, in-8°, p. xxXIV; ibid., édition 1819, in-12, p. XLVII. — SAINT-SURIN, Notice sur ma dame de Sévigné, dans l'édition des Lettres de Sévigné, t. I, p. 54.

Recueil de chansons choisies (par de Coulanges), 1694, in-12, p. 73.-CONRART, Mémoires, t. XLVIII de la collect., p. 187. 'Bussy de RABUTIN, Généalogie, dans les Lettres de SÉVIGNÉ, édition de Monmerqué, t. III, p. 374, note A.

3 Ibid., t. I, p. 53.

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