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Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine1 enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde2?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
-«C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère*. »
Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :
Plutôt souffrir que mourir,

C'est la devise des hommes.

LA FONTAINE.

(Livre I, fable xvI.)

Le Lion et le Rat.

Mais je te veux dire une belle fable, C'est à savoir du Lion et du Rat.

Cestui Lion, plus fort qu'un vieux verrat,

1. « La chaumine du bûcheron, bâtie de bois et de boue, ayant un trou pour cheminée, toute noire de fumée aveuglante. » H. TAINE. 2. Le globe terrestre, le monde.

3. Au xvIIe siècle, les soldats étaient logés soit dans les forteresses, soit dans les maisons des bourgeois et des paysans. C'est seulement au siècle suivant qu'on construisit des casernes.

4. Travail gratuit imposé aux gens des campagnes par leurs seigneurs et dont on pouvait se racheter moyennant argent. La corvée fut abolie dans la nuit du 4 août 1789.

5. Cela ne te causera pas grand retard, tu n'y perdras pas beaucoup de temps.

Vit une fois que le Rat ne savait
Sortir d'un lieu, pour autant qu'il avait
Mangé le lard et la chair toute crue;
Mais ce lion, qui jamais ne fut grue1,
Trouva moyen, et manière, et matière,
D'ongles et dents, de rompre la ratière,

Dont maître Rat échappe vitement;
Puis mit à terre un genouil gentement,
Et, en ôtant son bonnet de la tête,
A mercié mille fois la grand'bête;
Jurant le dieu des souris et des rats
Qu'il lui rendrait. Maintenant tu verras
Le bon du conte. Il advint d'aventure
Que le Lion, pour chercher sa pâture,
Saillit dehors sa caverne et son siège,
Dont, par malheur, se trouva pris au piège,
Et fut lié contre un ferme poteau.

Adonc le Rat, sans serpe ni couteau,
Y arriva joyeux et ébaudi 3,

Et du Lion, pour vrai, ne s'est gaudi
Mais dépita chats, chattes et chatons
Et prisa fort rats, rates et ratons,
Dont il avait trouvé temps favorable
Pour secourir le Lion secourable;
Auquel a dit : - « Tais-toi, Lion lié,
Par moi seras maintenant délié;
Tu le vaux bien, car le cœur joli as;
Bien y parut quand tu me délias.
Secouru m'as fort lionneusement,
Or, secouru seras rateusement. »

1. Grue. Au figuré et familièrement niais, qui se laisse tromper facilement.

2. Sortit, s'élança hors de sa caverne.

3. En allégresse, tout content.

4. Se gaudir de quelqu'un : le railler, se moquer de lui.

5. Outragea,

Lors le Lion ses deux grands yeux vertit
Et vers le rat les tourna un petit,

En lui disant:

« O pauvre verminière
Tu n'as sur toi instrument ni manière,
Tu n'as couteau, serpe, ni serpillon
Qui sût couper corde ni cordillon,

Pour me jeter de cette étroite voie.
Va te cacher, que le chat ne te voie! >>
«< Sire Lion, dit le fils de souris,
De ton propos, certes, je me souris ;
J'ai des couteaux assez, ne te soucie,
De bel os blanc plus tranchant qu'une scie;
Leur gaîne, c'est ma gencive et ma bouche:
Bien couperont la corde qui te touche
De si très près; car j'y mettrai bon ordre. »
Lors sire Rat va commencer à mordre
Ce gros lien. Vrai est qu'il y songea
Assez longtemps, mais il le vous rongea
Souvent, et tant qu'à la parfin tout rompt;
Et le Lion de s'en aller fut prompt.
Disant en soi : « Nul plaisir, en effet,

Ne se perd point, quelque part où soit fait. >>

CLÉMENT MAROT1.
(Extrait de l'Epitre XI.)

Le Lion et le Rat.

Entre les pattes d'un Lion

Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru

1. Marot, alors prisonnier pour cause de religion, adressa cetto épître à son ami Lion Jamet qui devait solliciter sa délivrance.

Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

LA FONTAINE. (Livre II, fable x1.)

Le Loup, la Mère et l'Enfant.

Un Loup ayant fait une quête1
De toutes parts, enfin s'arrête
A l'huis d'une cabane aux champs,
Au cri d'un enfant que sa mère
Menaçait, pour le faire taire,
De jeter aux loups ravissants.

Le Loup qui l'ouït en eut joie,
Espérant d'y trouver sa proie,
Et tout le jour il attendit
Que la mère son enfant jette.
Mais le soir venu, comme il guette,
Un autre langage entendit.

Car la mère, qui d'amour tendre
En ses bras son fils alla prendre,
Le baisant amoureusement,
Avecques lui la paix va faire.
Et, le dorlotant pour l'attraire,
Lui parle ainsi flatteusement :

1. Terme de chasse: action d'aller à la recherche du gibier. 2. Terme vieilli qui signifie porte. D'où huis clos: audience à porte close sans que le public soit admis; huissier, officier chargé d'ouvrir et de fermer une porte.

«Nenny, nenny, non, non, ne pleure;
Si le loup vient, il faut qu'il meure ;
Nous tuerons le loup s'il y vient ».
Quand ce propos il ouït dire,

Le Loup grommelant se retire:

« Céans l'on dit l'un, l'autre on tient »>.

ANTOINE DE BAÏF.

(Les Mimes, III.)

Le Loup, la Mère et l'Enfant.

Un villageois avait à l'écart son logis.
Messer Loup attendait chape-chute1 à la porte;
Il avait vu sortir gibier de toute sorte,

Veaux de lait, agneaux et brebis,

Régiments de dindons, enfin bonne provende 2.
Le larron commençait pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier :

La mère aussitôt le gourmande,
Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au Loup. L'animal se tient prêt,
Remerciant les dieux d'une telle aventure,

Quand la mère, apaisant sa chère géniture,

Lui dit : «< Ne criez point; s'il vient, nous le tuerons. Qu'est ceci ? s'écria le mangeur de moutons :

Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite Les gens faits comme moi? Me prend-on pour un sot? Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noisette !... » Comme il disait ces mots, on sort de la maison :

1. Chape-chute: chape tombée, une bonne aubaine.

Les voleurs ramassent lestement ce qui tombe à terre attendre chape-chute, c'est donc attendre la rencontre d'un objet précieux pour s'en emparer.

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La chape est une sorte de manteau long, sans plis, que porte l'évêque durant l'office. L'évêque de Ptolémaïs portait la chape par-dessus la cuirasse.» VOLTAIRE 2. Provision de bouche.

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