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Elle, bonne et puissante, et de son trésor pleine, Sous leurs mains par moments faisant frémir à peine Son beau flanc plus ombré qu'un flanc de léopard, Distraite, regardait vaguement quelque part.

VICTOR HUGO.

(Les voix intérieures).

Le berger.

Voici l'heure incertaine où le soleil décline;
On n'entend d'autre bruit qu'un Angélus lointain.
Quelques moutons, tassés au bas de la colline,
Broutent paisiblement l'herbe fraîche et le thym.

Sur la hauteur, drápé dans sa cape de laine,
Le vieux berger repose à côté de son chien,
Et laisse, insoucieux, par les monts et la plaine,
Errer ses yeux lassés qui ne regardent rien.

Qu'aux flammes de midi tout le pays s'embrase,
Que la bise tempête, il ne s'en émeut pas.
Comme un moine à jamais cloîtré dans son extase,
Il a l'air d'être mort aux choses d'ici-bas.

Pauvre diable, ce n'est qu'une tête un peu folle,
Un infirme, à moitié couché dans le tombeau.
Mais le soleil au front lui met une auréole,
Dans la pourpre des soirs il se taille un manteau.
Pourtant il se fait tard et le couchant flamboie,
Le jour avec la nuit lutte avant d'expirer;
Dans l'éblouissement de ce grand feu de joie,
La lune peu à peu commence à se montrer.
Le vieux, lui, sur sa roche est toujours immobile,
Et le bon paysan qui rentre à la maison,
Non sans trembler un peu, l'aperçoit qui profile
Sa silhouette d'or sur le rouge horizon.

GABRIEL VICAIRE.

(Emaux bressans.--- Charpentier.)

Le cheval.

La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats : aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche, et s'anime de la même ardeur; il partage aussi ses plaisirs; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle; mais, docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvements: non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire c'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut; qui, se livrant sans réserve, ne se refusant à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour mieux obéir...

Le cheval est de tous les animaux celui qui, avec une grande taille, a le plus de proportion et d'élégance dans les parties de son corps; car, en lui comparant les animaux qui sont immédiatement au-dessus et au-dessous, on verra que l'âne est mal fait, que le lion a la tête trop grosse, que le bouf a les jambes trop minces et trop courtes pour la grosseur de son corps, que le chameau est difforme, et que les plus gros animaux, le rhinocéros et l'éléphant, ne sont, pour ainsi dire, que des masses informes. Le grand allongement des mâchoires est la principale cause de la différence entre la tête des quadrupèdes et celle de l'homme; c'est aussi le caractère le plus ignoble de tous; cependant, quoique les mâchoires du cheval soient fort allongées, il n'a pas comme

l'âne un air d'imbécillité, ou de stupidité comme le bœuf; la régularité des proportions de sa tête lui donne au contraire un air de légèreté qui est bien soutenu par la beauté de son encolure. Le cheval semble vouloir se mettre au-dessus de son état de quadrupède en élevant sa tête; dans cette noble attitude il regarde l'homme face à face; ses yeux sont vifs et bien ouverts; ses oreilles sont bien faites et d'une juste grandeur, sans être courtes comme celles du taureau, ou trop longues comme celles de l'âne; sa crinière accompagne bien sa tête, orne son col, et lui donne un air de force et de fierté; sa queue traînante et touffue couvre et termine avantageusement l'extrémité de son corps...

BUFFON.

(Histoire naturelle : Quadrupèdes.)

Le semeur.

C'est le moment crépusculaire.
J'admire, assis sous un portail,
Ce reste de jour dont s'éclaire
La dernière heure du travail.

Dans les terres, de nuit baignées,
Je contemple, ému, les haillons
D'un vieillard qui jette à poignées
La moisson future aux sillons.

Sa haute silhouette noire
Domine les profonds labours.
On sent à quel point il doit croire
A la fuite utile des jours.

Il marche dans la plaine immense,
Va, vient, lance la graine au loin,

Rouvre sa main, et recommence,
Et je médite, obscur témoin,
Pendant que déployant ses voiles
L'ombre, où se mêle une rumeur,
Semble élargir jusqu'aux étoiles

Le geste auguste du semeur.

VICTOR HUGO,

(Les chansons des rues et des bois.)

Ce que disent les hirondelles.

CHANSON D'AUTOMNE.

Déjà plus d'une feuille sèche
Parsème les gazons jaunis;
Soir et matin, la brise est fraîche;
Hélas! les beaux jours sont finis!

On voit s'ouvrir les fleurs que garde
Le jardin, pour dernier trésor :
Le dahlia met sa cocarde
Et le souci sa toque d'or.

La pluie au bassin fait des bulles;
Les hirondelles, sur le toit,
Tiennent des conciliabules:
Voici l'hiver, voici le froid!

Elles s'assemblent par centaines,
Se concertant pour le départ.
L'une dit : «< Oh! que dans Athènes
Il fait bon sur le vieux rempart!

<< Tous les ans j'y vais et je niche

Aux métopes du Parthénon 1;

1. Célèbre temple d'Athènes, construit tout entier en marbre blanc. Sa frise, divisée en quatre-vingt-douze métopes ou intervalles carrés, représentait en bas-relief le combat des Athéniens

Mon nid bouche dans la corniche
Le trou d'un boulet de canon. »

L'autre : « J'ai ma petite chambre
A Smyrne, au plafond d'un café.

Les Hadjis 1 comptent leurs grains d'ambre',
Sur le seuil, d'un rayon chauffé.

<< J'entre et je sors, accoutumée
Aux blondes vapeurs des chibouchs3.
Et, parmi les flots de fumée,

Je rase turbans et tarbouchs *. »

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contre les Centaures. Ces sculptures, attribuées à Phidias, furent fort endommagées lors du bombardement d'Athènes par les Vénitiens, en 1689; elles se trouvent maintenant à Londres, au Musée britannique.

1. Pèlerins musulmans ayant fait le pélerinage de la Mecque. 2. Le chapelet à gros grains d'ambre dont les Orientaux amusent leur solennelle oisiveté.

3. Pipes turques à long tuyau.

4. Bonnets rouges à gland bleu.

5. Ornement qui fait partie de la frise.

6. L'ancienne Héliopolis des Grecs, située en Syrie au pied de 'Anti-Liban. Ruines magnifiques à 65 km. de Damas.

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