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templer ces bestioles alertes, vives, procédant sans façon, à l'ombre des rochers, à leur toilette du matin. Celle-ci, ayant sautelé longtemps parmi les cailloux verdâtres, se décidait enfin à piquer l'eau de son bec délicat, puis à y laisser couler doucement sa tête, qu'elle relevait d'un mouvement brusque, toute ruisselante de pierreries. Cette autre, d'un bond, plongeait au beau milieu de la source, qui se ridait du battement de ses ailes et à la surface de laquelle, par un prodige d'élasticité, de légèreté, de grâce, elle semblait marcher. Quelques-unes se contentaient de se rouler délicieusement sur les herbes humides des bords, rondes de mangeaille, toutes leurs plumes ébouriffées. FERDINAND FABRE. Charpentier, édit.)

(L'Oncle Barnabé.

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L'orage.

Les cris de la corneille ont annoncé l'orage.
Le bélier effrayé veut rentrer au hameau;
Une sombre fureur agite le taureau
Qui respire avec force, et, relevant la tête,
Par ses mugissements appelle la tempête.
On voit à l'horizon, de deux points opposés,
Des nuages monter dans les airs embrasés;
On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre.
D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre:
Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé,
Et le long du vallon le feuillage a tremblé ;
Les monts ont prolongé le lugubre murmure,
Dont le son lent et sourd attriste la nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur.
Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre
Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre ;
Le nuage élargi les couvre de ses flancs,
Il pèse sur les airs tranquilles et brûlants.

Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue;
Elle redouble, vole, éclate dans les airs;
Leur nuit est plus profonde, et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide.
Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide
Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il pousse en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés,
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds la foule consternée
Te demander le prix des travaux de l'année.
Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés
Écrasent en tombant les épis renversés;
Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Les ruisseaux en torrents dévastent leurs rivages.
O récolte ô moissons! tout périt sans retour:
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.
DE SAINT-LAMBERT.
(Les Saisons.)

Un orage dans le Midi.

Une nuit de plomb, morne et lugubre, pesa sur la campagne, plutôt morte qu'endormie. Pas le moindre bruit: rien qu'un silence formidable, interrompu de temps à autre par des gémissements sourds dans les nuées. On ne saurait se faire une idée du complet anéantissement des choses sous cette atmosphère écrasante. Les arbres, dont le feuillage s'émeut au plus léger souffle, apparaissaient, dans la lueur bleuâtre des éclairs, immobiles comme d'immenses pieux fichés en terre. On n'entendait pas même le bruissement si doux des saules de PierreBrune, où ne chantaient plus les rossignols. Comme un

homme paralysé par la peur, la nature épouvantée se taisait, dans l'attente de quelque effroyable cataclysme.

Après une nuit sans lune et sans étoiles, vint un jour sans soleil. Le ciel était d'un gris sombre, parsemé çà et là de larges raies rouges ou violacées. Le tonnerre grondait toujours par intervalles, et ses éclats, sans avoir acquis la sonorité bruyante qui annonce l'orage près de crever, devenaient de plus en plus distincts, accentués, retentissants. Évidemment la tempête approchait. Quoique marchant et respirant avec peine dans cet air épais, chargé d'émanations électriques, les paysans, en retard pour le battage du blé et qui avaient encore des gerbes étendues sur l'aire, couraient les ramasser en toute hâte pour les retirer en lieu sûr. Tout le monde était en mouvement dans la plaine de Véreille. Les hommes rentraient les foins entassés par meules dans les prairies, les femmes recueillaient leur linge étalé sur les églantiers, le long des chemins creux. Vers trois heures, les bergers éparpillés dans les châtaigneraies rentrèrent à Saint-Xist. Les capitaines-béliers, aveuglés par les éclairs, s'étaient confondus avec de simples moutons. Les troupeaux allaient au hasard, à gauche, à droite, comme ivres, n'écoutant ni la voix du pâtre ni les aboiements des chiens. Il y eut un long moment de silence sinistre; tout se taisait dans le ciel devenu noir. Mais tout à coup, avec une fureur inouïe, la foudre déchira la nue et le tonnerre détona formidablement dans la vallée. Les monts d'Orb, dont tous les échos s'émurent, répondirent par des roulements et des bruits lugubres. De grosses gouttes de pluie tombèrent enfin, et la grande débâcle commença.

Comme ces traînées de poudre que dans les mines on sème à travers les rochers pour les faire éclater, le sillon fulgurant, en crevassant çà et là la surface du ciel, en détacha d'immenses assises. A travers ces décombres gigantesques, le soleil, qu'on eût pu croire éteint, lança quelques rayons obliques qui illuminèrent de reflets de feu les arêtes vives de ces masses énormes. Chacune se détacha en relief avec ses formes bizarres, celles-ci sem

blable à la façade d'un palais splendide, celle-là pareille au tronçon d'une incommensurable colonne couché dans des ruines babyloniennes. Plus loin venaient encore des obélisques et des pyramides, puis de véritables animaux apocalyptiques, avec des queues démesurées, papelonnées d'écailles, des yeux ardents, des dents acérées et de vastes gueules béantes.

Cependant le tonnerre faisait rage au milieu de cet entassement fantastique de choses et d'êtres divers sans les ébranler dans leur attitude. On eût dit un bélier colossal battant les murs de quelque ville cyclopéenne. Enfin, un obélisque tomba, puis une pyramide; un monstre au ventre verdâtre reçut sur sa tête un bloc de granit qui l'écrasa, et le sang rouge jaillit avec un éclair en larges ruisseaux de toutes parts. L'écroulement devint général; puis, en moins d'une seconde, la pluie, qui tomba par torrents, confondit tout, voila tout, noya tout.

Ce fut un véritable déluge. A sept heures seulement, le ciel, qui n'envoyait plus à la terre que de faibles gémissements, annonça en s'éclaircissant la fin de l'orage. Le soleil parut au couchant dans toute sa gloire, débarrassé des obstacles qui obstruaient naguère ses rayons.

FERDINAND FABRE.

(Les Courbezon. - Charpentier.)

Le feu du ciel.

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,
Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre,
Il croit d'abord qu'un rêve a fasciné ses yeux,
Et, doutant de lui-même, interroge les cieux.
Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée.
Il cherche autour de lui la place accoutumée
Ou sa femme l'attend sur le seuil entr'ouvert,
Il voit un peu de cendre au milieu d'un désert.
Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère,
Et viennent lui conter comme leur pauvre mère

Est morte sous le chaume avec des cris affreux;
Mais maintenant au loin tout est silencieux.
Le misérable écoute et comprend sa ruine.
Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine;
Il ne lui reste plus, s'il ne tend pas la main,
Que la faim pour ce soir et la mort pour demain.
Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée;
Muet et chancelant, sans force et sans pensée,
Il s'assoit à l'écart, les yeux sur l'horizon,
Et, regardant s'enfuir sa moisson consumée,
Dans les noirs tourbillons de l'épaisse fumée
L'ivresse du malheur emporte sa raison.

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Devant la blanche ferme où parfois, vers midi,
Un vieillard vient s'asseoir sur le seuil attiédi,
Où cent poules gaîment mêlent leurs crêtes rouges,
Où, gardiens du sommeil, les dogues dans leurs bouges
Écoutent les chansons du gardien du réveil,

Du beau coq vernissé qui reluit au soleil,
Une vache était là tout à l'heure arrêtée.
Superbe, énorme, rousse et de blanc tachetée,
Douce comme une biche avec ses jeunes faons,
Elle avait sous le ventre un beau groupe d'enfants,

D'enfants aux dents de marbre, aux cheveux en broussailles
Frais, et plus charbonnés que de vieilles murailles,
Qui, bruyants, tous ensemble, à grands cris appelant
D'autres qui, tout petits, se hâtaient en tremblant,
Dérobant sans pitié quelque laitière absente,
Sous leur bouche joyeuse et peut-être blessante
Et sous leurs doigts pressant le lait par mille trous,
Tiraient le pis fécond de la mère au poil roux.

Nouv. lectures littéraires.

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