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faites, soyez assuré que vous vivrez triomphalement en ce monde.

<«< La première, c'est que, devant toutes choses, vous aimiez, craigniez et serviez Dieu, sans aucunement l'offenser, s'il vous est possible: car c'est lui qui tous nous a créés; c'est lui qui nous fait vivre; c'est lui qui nous sauvera, et, sans lui et sa grâce, ne saurions faire une seule bonne œuvre en ce moment. Tous les matins et tous les soirs, recommandez-vous à lui, et il vous aidera. La seconde, c'est que vous soyez doux et courtois à tous gentilshommes, en ôtant de vous tout orgueil. Soyez humble et serviable à toutes gens. Ne soyez médisant ni menteur. Mais tenez-vous sobrement quant au boire et au manger. Fuyez envie, car c'est un vilain vice. Ne soyez flatteur ni rapporteur, car telles manières de gens ne viennent pas volontiers à grande perfection. Soyez loyal en faits et dits. Tenez votre parole. Soyez secourable à pauvres veuves et orphelins, et Dieu le vous récompensera. La troisième, que, des biens que Dieu vous donnera, vous soyez charitable aux pauvres nécessiteux ; car donner pour l'honneur de lui n'appauvrit oncques homme. Et tenez tant de moi, mon enfant, que telle aumône pourrez-vous faire qui grandement vous profitera au corps et à l'âme. Voilà tout ce que je vous encharge 2. Je crois bien que votre père et moi ne vivrons plus guère. Dieu nous fasse la grâce à tout le moins, tant que serons en vie, que toujours puissions avoir bon rapport de

vous! »

Alors le Bon Chevalier, quelque jeune âge qu'il eût, lui répondit : « Madame ma mère, de votre bon enseignement, tant humblement qu'il m'est possible, vous remercie; et espère si bien l'ensuivre que (moyennant la grâce de celui en la garde duquel vous me recommandez) en aurez contentement. Et au demeurant, après m'être très humblement recommandé à votre bonne grâce, je vais prendre congé de vous. »

1. Jamais. 2. Recommande.

Alors la bonne dame tira hors de sa manche une petite boursette, en laquelle avait seulement six écus en or et un en monnaie, qu'elle donna à son fils. Et appela un des serviteurs de l'évêque de Grenoble, son frère, auquel elle bailla une petite mallette en laquelle avait quelque linge pour la nécessité de son fils, le priant que, quand il serait présenté à monseigneur de Savoie, il voulût prier le serviteur de l'écuyer sous la charge duquel il serait qu'il s'en voulût un peu donner de garde jusques à ce qu'il fût en plus grand âge. Et lui bailla deux écus pour lui donner. Sur ce propos, prit l'évêque de Grenoble congé de la compagnie et appela son neveu qui, pour se trouver dessus son gentil roussin, pensait être en un paradis. Ils commencèrent à marcher le chemin droit à Chambéry, où pour alors était le duc Charles de Savoie.

LE LOYAL SERVITEUR.
Hachette et Cie.)

(Édition L. Larchey.

Christophe Colomb.

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«En Europe! en Europe! -Espérez Plus d'espoir!
-Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde. »
Et son doigt le montrait, et son œil, pour le voir,
Perçait de l'horizon l'immensité profonde.

Il marche, et des trois jours le premier jour a lui;
Il marche, et l'horizon recule devant lui;

Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde
L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond.
Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.
Le pilote, en silence, appuyé tristement

Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Écoute du roulis le sourd mugissement

1. Barre longue pièce de bois qui sert à faire mouvoir le gouvernail.

1

Et des mâts fatigués les craquements funèbres.
Les astres de l'Europe ont disparu des cieux;
L'ardente Croix du Sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté :

<< Colomb, voici le jour ! Le jour vient de renaître !
Le jour ! Et que vois-tu? Je vois l'immensité.

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Le second jour a fui. Que fait Colomb? Il dort;
La fatigue l'accable, et dans l'ombre on conspire.

>>

« Périra-t-il? Aux voix ! - La mort! La mort! La mort! Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire. »>

Les ingrats! Quoi! demain il aura pour tombeau
Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau!
Et peut-être demain leurs flots impitoyables,

Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard!...

Il rêve comme un voile étendu sur les mers,
L'horizon qui les borne à ses yeux se déchire,
Et ce monde nouveau,qui manque à l'univers,
De ses regards ardents il l'embrasse, il l'admire!
Qu'il est beau, qu'il est frais, ce monde vierge encor!
L'or brille sur ses fruits, ses eaux roulent de l'or!
Déjà, plein d'une ivresse inconnue et profonde,
Tu t'écriais, Colomb: « Cette terre est mon bien ! »
Mais une voix s'élève, elle a nommé ce monde,
O douleur et d'un nom2 qui n'était pas le tien!

CASIMIR DELAVIGNE.
(Messéniennes.)

1. Nom d'une constellation de l'hémisphère austral.

2. On sait que le nouveau monde, découvert par Christophe Colomb en 1492, fut appelé Amérique, du nom d'un navigateur florentin, Améric Vespuce, qui le visita plus tard et écrivit une relation de ses voyages.

Bernard Palissy.

Un jour (en 1539 ou 40), Bernard Palissy vit une coupe de terre « tournée et émaillée ». C'était, dit-on, une faïence de Faenza ou de Castel-Durante, comme il en venait beaucoup en France depuis la guerre d'Italie.

L'instinct de l'artisan et de l'inventeur le poussant, et les nécessités du ménage aidant (car il avait une nombreuse famille), il résolut de faire des émaux pareils à ceux qu'il admirait sur la coupe et d'en couvrir des vaisseaux de son invention. Dès lors il se mit à piler tout ce qui pouvait être pilé, persuadé qu'en mettant toute la nature dans son mortier il rencontrerait un jour ce qu'il cherchait, c'est-à-dire l'émail blanc, qu'il pensait bien, une fois trouvé, pouvoir colorer diversement.

Mais, longtemps, toutes les poudres étendues sur des tessons, dans un fourneau de sa façon, neproduisirent rien. Il imagina alors de porter ses tessons et ses poudres dans un four à potier. Cela non plus ne valut rien, et le pire était que l'inventeur ne pouvait savoir si le mécompte venait des poudres ou du feu. Plusieurs années s'étant consumées dans ces recherches, il doit, pour vivre, revenir à son métier et tirer des « pourtraicts ». En l'an 1542, fort heureusement pour lui et très malheureusement pour la province, les commissaires du roi vinrent établir la gabelle1 en Saintonge. Ils appelèrent Palissy pour lever les plans des îles et des marais salants du littoral.

Ce travail lui donna quelque argent. Ainsi muni, il reprit son invention et, ce que n'avaient pu ni son fourneau ni le four du potier, il l'alla demander au four mieux chauffé du verrier. Il eut cette fois la joie de voir que ses poudres avaient commencé à fondre. Il ne cessa de fréquenter les verreries pendant deux ans, au bout desquels il obtint un émail blanc, qui lui donna une telle joie qu'il pensa «< être devenu nouvelle créature ».

1. Anciennement impôt sur le sel.

Ce n'était pourtant que le commencement de ses peines. Il se fit potier et façonna de ses mains de la vaisselle de terre, il se fit fumiste et bâtit de ses mains un fourneau de verrier. Il n'avait pas même un apprenti pour lui tirer de l'eau. Ses pots et son fourneau achevés, il broya l'émail et chauffa le four qui, pendant six jours, dévora le bois par ses deux gueules. Mais, l'émail se trouvant mal dosé, il fallut d'autres pots enduits d'une autre couverte. Il fallut donner aux deux gueules du four à dévorer les étais du jardin, les planches de la maison, les tables. Il était dans l'angoisse, et depuis plus d'un mois sa chemise n'avait pas séché sur lui. Il a conté lui-même ses peines : « Encore, disait-il, pour me consoler on se moquoit de moi, et même ceux qui me devoient sécourir alloient crier par la ville que je faisois brûler le plancher; et par tels moyens l'on me faisoit perdre mon crédit, et m'estimoit-on estre fol.

>> Les autres disoient que je cherchois à faire la fausse monnoie, qui estoit un mal qui me faisoit sécher sur les pieds, et m'en allois par les rues tout baissé, comme un homme honteux j'estois endetté en plusieurs lieux, et avois ordinairement deux enfants aux nourrices, ne pouvant payer leurs salaires. >>

Mais il ne resta pas longtemps dans son abattement; il fit faire, sur ses dessins, des vaisseaux à un potier,qu'il nourrissait dans une taverne à crédit, et qu'il congédia, après six mois, en lui laissant ses habits en payement; puis il défit son fourneau,pour en bâtir un autre capable de fournir une plus grande chaleur. « En démaçonnant, dit-il, j'eus les doigts coupés et incisés en tant d'endroits que je fus contraint manger mon potage ayant les doigts enveloppés de drapeau. »>

Le nouveau fourneau, qu'il édifia tout seul, lui donna une grande peine, mais la cuisson s'y fit bien. Alors, pour broyer ses émaux, il tourna de ses bras un moulin qu'ordinairement deux hommes faisaient mouvoir avec difficulté. Cette fournée eût été bonne sans les graviers du four qui tombèrent pendant la cuisson, se prirent

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