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d'entretien, tous deux changèrent de visage; elle lui disait, comme elle l'a raconté depuis à son confesseur : « Je te dis de la part de Messire, que tu es vrai héritier de France et fils du roi »>.

Ce qui inspira encore l'étonnement et une sorte de crainte, c'est que la première prédiction qui lui échappa se vérifia à l'heure même.

Ses ennemis objectaient qu'elle pouvait savoir l'avenir, mais le savoir par inspiration du diable. On assembla quatre ou cinq évêques pour l'examiner. Ceux-ci firent renvoyer l'examen à l'université de Poitiers. Il y avait dans cette grande ville, université, parlement, une foule de gens habiles.

L'archevêque de Reims, chancelier de France, présidant le conseil du roi, manda des docteurs, des professeurs en théologie, les uns prêtres, les autres moines, et les chargea d'examiner la Pucelle.

Les docteurs introduits et placés dans une salle, la jeune fille alla s'asseoir au bout du banc et répondit à leurs questions. Elle raconta avec une simplicité pleine de grandeur les apparitions et les paroles des anges. Un dominicain lui fit une seule objection, mais elle était grave: « Jehanne, tu dis que Dieu veut délivrer le peuple de France; si telle est sa volonté, il n'a pas besoin de gens d'armes. » Elle ne se troubla point : « Ah! mon Dieu, dit-elle, les gens d'armes batailleront, et Dieu donnera la victoire.

>>

Un autre lui dit : « Dieu ne veut pas que l'on ajoute foi à tes paroles, à moins que tu ne montres un signe. » Elle répondit : « Je ne suis point venue à Poitiers pour faire des signes ou miracles; mon signe sera de faire lever le siège d'Orléans. Qu'on me donne des hommes d'armes, peu ou beaucoup, et j'irai.

Cependant il en advint à Poitiers comme à Vaucouleurs, sa sainteté éclata dans le peuple; en un moment tout le monde fut pour elle. Les femmes, demoiselles et bourgeoises, allaient la voir chez la femme d'un avocat du parlement, dans la maison de laquelle elle logeait ; et

elles revenaient tout émues. Les hommes mêmes y allaient; ces conseillers, ces avocats, ces vieux juges endurcis s'y laissaient mener sans y croire, et quand ils l'avaient entendue, ils pleuraient, tout comme les femmes, et disaient : « Cette fille est envoyée de Dieu ».

... Il n'y avait plus de temps à perdre. Orléans criait au secours; Dunois envoyait coup sur coup. On équipa la Pucelle, on lui forma une sorte de maison. On lui donna d'abord pour écuyer un brave chevalier, d'âge mûr, Jean Daulon, qui était au comte de Dunois et le plus honnête homme qu'il eût parmi ses gens. Elle eut aussi un noble page, deux hérauts d'armes, un maître d'hôtel, deux valets; son frère, Pierre Darc, vint la trouver et se joignit à ses gens. On lui donna pour confesseur Jean Pasquerel, frère ermite de Saint-Augustin. En général, les moines, surtout les mendiants, soutenaient cette merveille de l'inspiration.

Ce fut une merveille, en effet, pour les spectateurs, de voir la première fois Jeanne d'Arc dans son armure blanche et sur son beau cheval noir, au côté une petite hache et l'épée de sainte Catherine. Elle portait à la main un étendard blanc fleurdelisé, sur lequel était Dieu avec le monde dans ses mains; à droite et à gauche,.deux anges qui tenaient chacun une fleur de lis. « Je ne veux pas, disait-elle, me servir de mon épée pour tuer personne. » Et elle ajoutait que, quoiqu'elle aimât son épée, elle << aimait quarante fois plus » son étendard.

Le sauveur de la France devait être une femme.

...

Quelle légende plus belle que cette incontestable histoire? Mais il faut se garder bien d'en faire une légende; on doit en conserver précieusement tous les traits, même les plus humains, en respecter la réalité touchante et terrible...

La Vierge secourable des batailles que les chevaliers appelafent, attendaient d'en haut, elle fut ici-bas... En qui? c'est la merveille. Dans ce qu'on méprisait, dans ce qui semblait le plus humble, dans une enfant, dans la simple fille des campagnes du pauvre peuple de France...

Car il y eut un peuple, il y eut une France. Cette dernière figure du passé fut aussi la première du temps qui commençait. En elle apparurent à la fois la Vierge... et déjà la Patrie. J. MICHELET. (Histoire de France. — Marpon et Flammarion, édit.)

Bayard.

SON DÉPART DE LA MAISON PATERNELLE 1.

Sur la fin du dîner, le bon vieillard seigneur de Bayard commença ainsi ces paroles à toute la compagnie :

2

Monseigneur et messeigneurs, l'occasion pourquoi vous ai mandés est temps d'être déclarée; car tous êtes mes parents, et jà voyez-vous que je suis par vieillesse si oppressé qu'il est quasi impossible que je sache vivre deux ans. Dieu m'a donné quatre fils; de chacun ai bien voulu enquérir quel train ils veulent tenir. Et entre autres m'a dit mon fils Pierre qu'il veut suivre les armes, dont il m'a fait un singulier plaisir; car il ressemble entièrement et de toutes façons à mon grand-père, votre parent. Et si de conditions il lui veut aussi bien ressembler, il est impossible qu'il ne soit en son vivant un grand homme de bien, dont je crois que chacun de vous, comme mes bons parents et amis, seriez bien aises.

>> Il m'est besoin,pour son commencement, le mettre en la maison de quelque prince ou seigneur, afin qu'il apprenne à se contenir honnêtement, et, quand il sera un peu plus grand, il apprendra le train des armes. Je vous prie, tant que je puis, que chacun me conseille en son endroit le lieu où je pourrai le mieux le loger. »

1. La scène se passe au château de Bayard, près de Grenoble. Bayard avait alors treize ans (1476). Son père s'appelait Aymon du ferrail, seigneur de Bayard; sa mère Hélène des Alemants. L'évêque de Grenoble était son oncle maternel.

2. Déjà.

Alors dit l'un des plus anciens gentilshommes : << Il faut qu'il soit envoyé au roi de France. »>

Un autre dit qu'il serait fort bien en la maison de Bourbon. Et ainsi d'un en autre, n'y eut celui1 qui n'en dît son avis.

Mais l'évêque de Grenoble parla et dit : « Mon frère, vous savez que nous sommes en grosse amitié avec le duc Charles de Savoie 2, et nous tient du nombre de ses bons serviteurs. Je crois qu'il le prendra volontiers pour un de ses pages. Il est à Chambéry: c'est près d'ici. Si bon vous semble et à la compagnie, je le lui mènerai demain au matin, après l'avoir très bien mis en ordre et garni d'un bas et bon petit roussin que j'ai, depuis trois ou quatre jours en ça, recouvré du seigneur d'Uriage. »

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Fut le propos de l'évêque de Grenoble tenu à bon de toute la compagnie, et surtout dudit seigneur de Bayard, qui lui livra son fils en lui disant : « Tenez, monseigneur; je prie Notre-Seigneur que si bon présent en puissiez faire qu'il vous fasse honneur en sa vie ».

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Alors tout incontinent envoya ledit évêque à la ville quérir son tailleur, auquel il manda apporter velours, satin, et autres choses nécessaires pour habiller le Bon Chevalier. Il vint et besogna tout la nuit, de sorte que, le lendemain matin,fut tout prêt.

Et, après avoir déjeuné, Bayard monta sur son roussin, et se présenta à toute la compagnie qui était en la basse cour du château, tout ainsi que si on l'eût voulu présenter lors au duc de Savoie.

Quand le cheval sentit si petit faix sur lui, joint aussi que le jeune enfant avait ses éperons dont il le piquait, commença à faire trois ou quatre sauts, de quoi la compagnie eut peur qu'il affolât le garçon. Mais, au lieu de

1. Il n'y eut personne qui.

2. Charles Ier, duc de Savoie (1482 à 1489), surnommé le Guerrier. 3. Cheval épais et de taille moyenne, propre au service des

armes.

4. Il y a maintenant trois ou quatre jours.

5. Sur-le-champ.

Nouv. lectures littéraires.

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ce qu'on croyait qu'il dût crier à l'aide, quand il sentit le cheval si fort remuer sous lui, d'un gentil cœur assuré comme un lion, lui donna trois ou quatre coups d'éperon, et fournit une carrière dedans ladite basse cour; en sorte qu'il mena le cheval à la raison comme s'il eût eu trente

ans.

Il ne faut pas demander si le bon vieillard fut aise; et, souriant de joie, demanda à son fils s'il avait point de peur, car pas n'avait quinze jours qu'il était sorti de l'école. Lequel répondit d'un visage assuré : « Monseigneur, j'espère, avec l'aide de Dieu, devant qu'il soit six ans, le remuer, lui ou autre, en plus dangereux lieu; car je suis ici parmi mes amis, et je pourrai être parmi les ennemis du maître que je servirai.

Or, sus! sus! dit le bon évêque de Grenoble qui était prêt à partir; mon neveu, mon ami, ne descendez point, et de toute la compagnie prenez congé. »

Lors le jeune enfant, d'une joyeuse contenance, s'adressa à son père auquel il dit : « Monseigneur mon père, je prie Notre-Seigneur qu'il vous donne bonne et longue vie, et à moi grâce, avant qu'il vous ôte de ce monde, que vous puissiez avoir bonnes nouvelles de moi. Mon ami, dit le père, je l'en supplie. » Et puis lui donna sa bénédiction. En après, alla prendre congé de tous les gentilshommes qui étaient là, l'un après l'autre, qui avaient à grand plaisir sa bonne con

tenance.

La pauvre dame de mère était en une tour du château, qui tendrement pleurait; car, combien qu'elle fût joyeuse de ce que son fils était en voie de parvenir, amour de mère l'admonestait de larmoyer.

Toutefois, après qu'on lui fût venu dire : « Si voulez venir voir votre fils, il est tout à cheval prêt à partir », la bonne gentilfemme sortit par le derrière de la tour,et fit venir son fils vers elle auquel elle dit ces paroles: << Pierre, mon ami, vous allez au service d'un gentil prince. D'autant que mère peut commander à son enfant, je vous commande trois choses, tant que je puis; et si vous les

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