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aux Romains sa présence en Italie comme un mal sans remède.

Mais un jour arrive où les Romains, à leur tour portant la guerre sous les murs de Carthage, il est rappelé, lutte avec une armée détruite contre l'armée romaine reconstituée, et sa fortune déjà ancienne est vaincue par une fortune naissante, celle de Scipion, suivant l'ordinaire succession des choses humaines.

Rentré dans sa patrie, il essaye de la réformer pour la rendre capable de recommencer la lutte contre les Romains. Dénoncé par ceux dont il attaquait les abus, il fuit en Orient, essaye d'y réveiller la faiblesse des Antiochus1, y est suivi par la haine de Rome, et, quand il ne peut plus lutter, avale le poison, et meurt le dernier de son héroïque famille, car tous ont succombé comme lui à la même œuvre, œuvre sainte, celle de la résistance à la domination étrangère.

En contemplant cet admirable mortel, doué de tous les génies, de tous les courages, on cherche une faiblesse, et on ne sait où la trouver; on cherche une passion personnelle, les plaisirs, le luxe, l'ambition, et on trouve qu'une, la haine des ennemis de son pays. Le Romain Tite-Live l'accuse d'avarice et de cruauté; Annibal amassa en effet des richesses immenses, sans jamais jouir d'aucune; il les employa toutes à payer son armée, laquelle, composée de soldats stipendiés, est la seule armée mercenaire qui ne se soit jamais révoltée, contenue qu'elle était par son génie et par la sage distribution qu'il lui faisait des fruits de la victoire. Il envoya à Carthage, il est vrai, plusieurs boisseaux d'anneaux de chevaliers romains immolés par l'épée carthaginoise, mais on ne cite pas un seul acte de barbarie hors du champ de bataille. Les reproches de l'historien romain sont donc des louanges, et ce que la postérité a dit, ce que les générations les plus reculées répéteront, c'est qu'il offrit

1. Antiochus III, le Grand, roi de Syrie (222 à 186 av. J.-C.), déclara la guerre aux Romains à l'instigation d'Annibal.

le plus noble spectacle que puissent donner les hommes: celui du génie exempt de tout égoïsme, et n'ayant qu'une passion, le patriotisme, dont il est le glorieux martyr. THIERS.

(Histoire du consulat et de l'empire. - Jouvet.)

Jeanne d'Arc.

Un jour d'été, jour de jeûne, à midi, Jeanne étant au jardin de son père, tout près de l'église, elle vit de ce côté une éblouissante lumière, et elle entendit une voix : Jeanne, sois bonne et sage enfant; va souvent à l'église. >> La pauvre fille eut grand'peur.

Une autre fois, elle entendit encore la voix, vit la clarté, mais dans cette clarté de nobles figures dont l'une avait des ailes et semblait un sage prud'homme. Il lui dit : « Jeanne, va au secours du roi de France, et tu lui rendras son royaume ». Elle répondit, toute tremblante: << Messire, je ne suis qu'une pauvre fille; je ne saurais chevaucher, ni conduire les hommes d'armes ». La voix répliqua «< Tu iras trouver M. de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, et il te fera mener au roi. Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront t'assister. » Elle resta stupéfaite et en larmes, comme si elle eût déjà vu sa destinée tout entière.

Le prud'homme n'était pas moins que saint Michel, le sévère archange des jugements et des batailles. Il revint encore, lui rendit courage, et lui raconta la pitié qui était au royaume de France.

Elle qui n'avait entendu jusque-là qu'une voix, celle de sa mère, dont la sienne était l'écho, elle entendait maintenant la puissante voix des anges!... Et que voulait la voix céleste? Qu'elle délaissât cette mère, cette douce maison. Elle qu'un seul mot déconcertait, il lui fallait aller parmi les hommes, aux soldats.

Il fallait qu'elle quittât pour le monde, pour la guerre,

ce petit jardin sous l'ombre de l'église, où elle n'entendait que les cloches et où les oiseaux mangeaient dans sa main.

Jeanne ne nous a rien dit de ce premier combat qu'elle soutint. Mais il est évident qu'il eut lieu et dura longtemps, puisqu'il s'écoula cinq années entre sa première vision el sa sortie de la maison paternelle.

Les deux autorités, paternelle et céleste, commandaient des choses contraires. L'une voulait qu'elle restât dans l'obscurité, dans la modestie et le travail; l'autre qu'elle partît et qu'elle sauvât le royaume. L'ange lui disait de prendre les armes. Le père, rude et honnête paysan, jurait que si sa fille s'en allait avec les gens de guerre, il la noierait plutôt de ses propres mains. De part ou d'autre, il fallait qu'elle désobéît. Ce fut là sans doute son plus grand combat; ceux qu'elle soutint contre les Anglais ne devaient être qu'un jeu à côté.

Pour échapper à l'autorité de sa famille, il fallait qu'elle trouvât dans sa famille même quelqu'un qui la crût; c'était le plus difficile. Au défaut de son père, elle convertit son oncle à sa mission. Elle obtint de lui qu'il irait demander pour elle l'appui du sire de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs. L'homme de guerre reçut assez mal le paysan, et lui dit qu'il n'y avait rien à faire, sinon de la ramener chez son père, « bien souffletée ». Elle ne se rebuta pas; elle voulut partir, et il fallut bien que son oncle l'accompagnât. C'était le moment décisif; elle quittait pour toujours le village et la famille. Elle embrassa ses amies, surtout la petite amie Mengette qu'elle recommanda à Dieu; mais, pour sa grande amie et compagne, Haumette, celle qu'elle aimait le plus, elle aima mieux partir sans la voir.

Elle arriva donc dans cette ville de Vaucouleurs, avec ses gros habits rouges de paysanne, et alla loger avec son oncle chez la femme d'un charron, qui la prit en amitié. Elle se fit mener chez Baudricourt, et lui dit avec fermeté << qu'elle venait vers lui de la part de son Seigneur, pour qu'il mandât au dauphin de se bien maintenir, et qu'il n'assignat point de bataille à ses ennemis; parce que son

Seigneur lui donnerait secours dans la mi-carême... » Elle ajoutait que malgré les ennemis du Dauphin, il serait fait roi, et qu'elle le mènerait sacrer.

Le capitaine fut bien étonné; il soupçonna qu'il y avait là quelque diablerie. Il consulta le curé, qui, apparemment, eut les mêmes doutes.

Mais le peuple ne doutait point; il était dans l'admiration. De toutes parts on venait la voir. Un gentilhomme lui dit, pour l'éprouver : « Eh bien, ma mie, il faut donc que le roi soit chassé et que nous devenions Anglais ». Elle se plaignait à lui du refus de Baudricourt : « Et cependant, dit-elle, avant qu'il soit la mi-carême, il faut que je sois devers le roi, dussé-je, pour m'y rendre, user mes jambes jusqu'aux genoux. Car personne au monde, ni roi, ni ducs, ni fille du roi d'Écosse, ne peuvent reprendre le royaume de France, et il n'y a pour lui de secours que moi-même, quoique j'aimasse mieux rester à filer près de ma pauvre mère; car ce n'est pas là mon ouvrage; mais il faut que j'aille et que je le fasse, parce que mon Seigneur le veut. - Et quel est votre Seigneur? C'est Dieu !... » Le gentilhomme fut touché. Il lui promit << par sa foi, la main dans la sienne, que sous la conduite de Dieu, il la mènerait au roi ». Un jeune gentilhomme se sentit aussi touché, et déclara qu'il suivrait cette sainte fille.

Il paraît que Baudricourt envoya demander l'autorisation du roi. En attendant, il la conduisit chez le duc de Lorraine, qui était malade et voulait la consulter.

De retour à Vaucouleurs, elle y trouva un messager du roi qui l'autorisait à venir. Le revers de la journée des Harengs décidait à essayer de tous les moyens. Elle avait annoncé le combat le jour même qu'il eut lieu. Les gens de Vaucouleurs, ne doutant point de sa mission, se cotisèrent pour l'équiper et lui acheter un cheval. Le capitaine ne lui donna qu'une épée.

Elle eut encore en ce moment un obstacle à surmonter. Ses parents, instruits de son prochain départ, avaient failli en perdre le sens; ils firent les derniers efforts pour

la retenir; ils ordonnèrent, ils menacèrent. Elle résista à cette dernière épreuve et leur fit écrire qu'elle les priait de lui pardonner.

C'était un rude voyage et bien périlleux qu'elle entreprenait. Tout le pays était parcouru par des hommes d'armes. Il n'y avait plus ni route, ni pont, les rivières étaient grosses; c'était au mois de février 1429.

Elle traversait avec une sérénité héroïque tout ce pays désert ou infesté de soldats. Ses compagnons regrettaient bien d'être partis avec elle; quelques-uns pensaient que peut-être elle était sorcière; ils avaient grande envie de l'abandonner. Pour elle, elle était tellement paisible, qu'à chaque ville elle voulait s'arrêter pour entendre la messe : « Ne craignez rien, disait-elle, Dieu me fait ma route; c'est pour cela que je suis née. » Et encore : « Mes frères de paradis me disent ce que j'ai à faire. »

La cour de Charles VII était loin d'être unanime en faveur de la Pucelle. L'opposition était même si forte que, lorsqu'elle fut arrivée, le conseil discuta encore pendant deux jours si le roi la verrait.

Le roi la reçut enfin, et au milieu du plus grand appareil; on espérait apparemment qu'elle serait déconcertée. C'était le soir, cinquante torches éclairaient la salle, nombre de seigneurs, plus de trois cents chevaliers étaient réunis autour du roi. Tout le monde était curieux de voir la sorcière ou l'inspirée.

La sorcière avait dix-huit ans; c'était une belle fille, assez grande de taille, la voix douce et pénétrante.

Elle se présenta humblement, « comme une pauvre petite bergerette », démêla au premier regard le roi, qui s'était mêlé exprès à la foule des seigneurs, et quoiqu'il soutînt d'abord qu'il n'était pas le roi, elle lui embrassa les genoux. Mais, comme il n'était pas sacré, elle ne l'appelait que Dauphin : « Gentil Dauphin, dit-elle, j'ai nom Jehanne la Pucelle. Le Roi des cieux vous mande par moi que vous serez sacré et couronné en la ville de Reims, et vous serez lieutenant du roi des cieux, qui est roi de France ». Le roi la prit alors à part, et après un momen

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