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de l'obtenir autrement. C'est au collège que tous les Français sont égaux devant la loi; il n'en va pas toujours ainsi dans le monde. C'est au collège qu'une absurde et touchante fraternité entraîne quelquefois les bons élèves à faire cause commune avec les autres. C'est au collège, enfin, et pas ailleurs, que les coupables se font un point d'honneur de s'accuser eux-mêmes plutôt que de laisser punir un innocent.

Dans ce milieu, d'une salubrité vraiment rare, ni la fortune, ni les relations ne comptent pour rien. On n'y connaît ni les protections ni les influences; l'émulation y est toujours en éveil, mais une émulation honnête et qui ne sort jamais du droit chemin. Non certes que les écoliers soient tous de petits saints : si je vous le disais, je perdrais votre confiance. Mais ils se rectifient les uns les autres, et ils ne pardonnent jamais une faute contre l'honneur. Voilà comment la camaraderie devient une longue épreuve qui nous permet de nous apprécier les uns les autres, de nous améliorer au besoin par un contrôle réciproque et de choisir nos amis pour la vie. Vous le savez, les vieux amis sont meilleurs et plus solides que les neufs, et la grande fabrique des vieux amis, c'est le collège.

La camaraderie, mes chers enfants, n'est pas une affaire, comme Scribe1 l'a démontré, sans le croire, dans une de ses comédies les plus plaisantes. Cet homme d'esprit a été toute sa vie le modèle des camarades, et Sainte-Barbe s'en souvient. Ce n'est pas tout que de penser avec plaisir aux compagnons de notre enfance; il faut analyser un sentiment obscur et organiser quelque peu notre fraternité instinctive. L'école est une petite patrie dans la grande; une patrie moins large assurément, mais plus intime. Nous ne lui devons pas notre sang, comme à celle qui nous a donné la vie ; mais nous lui devons autre chose. Une sorte de parenté intellec

1. Poète comique né à Paris (1791-1861), auteur de vaudevilles, de comédies, de drames, d'opéras.

tuelle et morale nous unit à tous ceux qui se sont assis sur nos bancs, soit avec nous, soit même avant ou après nous. Nous devons quelque déférence à nos aînés du collège, quelque protection à nos cadets, quelque assistance à tous ceux des nôtres qui ont éprouvé la rigueur du sort. On ne songeait guère à tout cela, j'en conviens, quand on avait votre âge; mais nous y avons pensé depuis, et il n'est pas mauvais que vous profitiez un peu de notre expérience.

EDMOND ABOUT.

(Discours prononcé au lycée Charlemagne.)

La politesse.

La politesse n'est plus à la mode. On remarquait autrefois, dans un salon, les jeunes gens qui n'étaient pas polis; on remarque aujourd'hui ceux qui le sont. Nous voyons quelques parents supprimer la politesse de la première éducation comme quelque chose de factice et de tyrannique.

Habituer un enfant à ôter son chapeau en entrant dans un salon, l'astreindre à dire bonjour aux personnes, le forcer, quand il va se coucher, à accompagner son bonsoir d'un baiser, leur paraissent autant de conventions sociales qui vont mal avec les deux charmantes qualités de l'enfance, le naturel et la sincérité.

«< A quoi bon, disent-ils, condamner ces pauvres innocents à nos petits exercices de salon. Ils ressemblent bien assez tôt à des poupées. L'éducation n'a rien à faire avec ces mouvements automatiques,d'où la pensée est absente, et contre lesquels les victimes protestent, souvent par leur résistance, toujours par leur gaucherie!... »

A quoi je réponds d'abord que les enfants n'y sont pas tous aussi réfractaires, surtout s'ils y ont été dressés j'emploie à dessein le mot dressés de bonne heure. Deuxièmement, l'idée de leur imposer un ennui ne me

touche nullement, attendu que l'éducation n'est souvent autre chose que l'art d'apprendre à faire ce qui nous ennuie comme si cela nous amusait. Quant à leur gaucherie, je ne la nie pas, à la condition qu'on convienne qu'il n'y a rien de plus charmant que cette gaucherie même. Ces pauvres mioches, qui vous ôtent gravement leur petit chapeau et vous font si sérieusement l'aumône de leurs petites joues, m'enchantent! Leur air de ne pas penser à ce qu'ils font ajoute à leur charme! Pour ce que l'on trouve de machinal dans ces actes, je vous rappellerai le mot profond de Pascal: Commençons par les pratiques, la foi suivra.

L'homme a un corps comme il a une âme, et ce corps peut servir parfois d'instituteur à l'âme. L'habitude est une grande maîtresse d'école. Quand l'enfant salue, ce n'est d'abord que sa tête qui s'incline; quand sa bouche vous souhaite, comme dit André Chénier1, la bienvenue au jour, ce n'est que sa bouche qui parle, mais à mesure que ces actes et ces mots se répètent, ils passent peu à peu des lèvres au cœur, du front à l'intelligence; les gestes se convertissent en sentiments! Ajoutez que les enfants polis font les jeunes gens polis. La politesse est comme le piano: si on ne l'apprend pas de bonne heure on ne l'apprend jamais. Or, je crois bien utile de l'apprendre.

Les gens qui ne jurent que par les États-Unis vous objectent qu'en Amérique on se soucie peu de la politesse. C'est précisément pour cela que j'y tiens, parce que c'est une qualité française. Certains esprits farouches la rejettent comme un reste de l'ancien régime. J'espère être de mon époque autant que personne, mais je ne répudie pas tout dans le passé; il avait du bon et du charmant, et c'est le charmant que je voudrais lui dérober pour en parer les sociétés nouvelles. La France ne sera

1. Célèbre poète français, né à Constantinople d'une mère grecque. Il est considéré comme le précurseur de l'école romantique dont Victor Hugo fut le chef glorieux. André Chénier périt sur l'échafaud pendant la tourmente révolutionnaire (1794).

complètement la France que quand elle alliera les manières d'autrefois avec les principes d'aujourd'hui.

Certes, je connais beaucoup de politesses qui choquent: il y a d'abord la politesse impertinente du grand personnage qui se sait bon gré d'être poli; il y a la politesse obséquieuse qui obsède; la politesse phraseuse qui irrite, la politesse quêteuse qui dégoûte, car l'une ressemble à un mensonge, l'autre à un placement. Mais quand elle reste dans la mesure et dans la vérité, quand elle se présente à nous avec ses compagnes naturelles, la distinction des manières et l'élégance; quand elle produit cette habitude charmante qui est la prévenance; quand enfin elle s'allie avec une supériorité véritable, alors elle devient une qualité à la fois morale et physique, et rappelle, ce me semble, quelques-unes des œuvres les plus délicates du génie grec.

Un petit garçon de cinq ans rencontre un jour un pauvre, très vieux et très infirme. Sa mère donne un sou à l'enfant, qui le porte au vieux pauvre ; mais, en le lui remettant, il ôte d'abord devant lui sa petite casquette et le salue. N'est-ce pas exquis? Quel enseignement profond! Comme ce petit enfant, qui se découvre devant la pauvreté et qui ajoute l'aumône du cœur à l'aumône de la main, nous montre tout à coup la politesse sous une forme nouvelle ! Comme il nous dit, sans le savoir, le cher petit! et son inconscience ajoute à la grâce et à la force de sa leçon ; comme il nous dit clairement d'honorer dans tout être humain une créature de Dieu et un frère de douleur! Grâce à lui, nous avons le droit de compléter la phrase de Vauvenargues1 en disant : << La politesse est comme les grandes pensées : elle vient du cœur! >>

E. LEGOUVÉ.

(Nos filles et nos fils. Hetzel.)

1. Moraliste français, auteur de Maximes célèbres (1715-1747)

Les Proverbes.

Les proverbes sont le fruit de l'expérience de tous les peuples, et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formules.

RIVARGL.

Chaque langue, outre les mots, possède un certain nombre de locutions toutes faites, qui sont comme les pièces blanches du langage à côté de la menue monnaie.

D'où proviennent ces locutions? C'est quelque tête bien faite, quelque malin ou poétique conteur qui les a imaginées, et, on les a trouvées si justes et si pittoresques qu'elles ont été adoptées aussitôt et qu'elles n'ont pas cessé depuis lors d'être en usage.

Ces proverbes, si chers à nos aïeux, et dont Franklin savait tirer un si bon parti, ont bien perdu de leur prestige. C'est encore un legs du passé que nous répudions trop légèrement, sans nous demander par quoi nous remplacerons tout ce bon sens ramassé en courtes sentences.

Il est bien vrai que c'est une arme à deux tranchants, et que, sur la plupart des sujets, on peut ranger les proverbes par paires qui se contredisent. Mais, s'il en est beaucoup qui plaident la cause de l'égoïsme, il y en a encore plus qui sont des maximes d'honneur et de vertu. C'est la tâche de l'école de les mettre en pleine lumière et de les graver en traits profonds dans l'esprit de l'enfant, pour qu'il les emporte dans la vie comme un sûr viatique.

MICHEL BRÉAL. (Quelques mots sur l'instruction publique.— Hachette.}

Il faut battre le fer quand il est chaud. La patience vient à bout de tout. Il faut casser le noyau pour avoir l'amande. Ne remettez pas au lendemain ce que vous pouvez faire le jour même. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Contentement passe richesse. - Il faut rendre

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Nouv. lectures littéraires

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