Page images
PDF
EPUB

fleront brutalement la souillure aux quatre coins de l'horizon.

Où était-il donc, le petit village?

ÉMILE ZOLA.

(Nouveaux Contes. - Charpentier, édit.)

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]
[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Je ne suis pas content de moi; j'ai fait une mauvaise action.

Un de ces jours de décembre, j'étais sorti par les premiers froids; le vent était coupant comme un acier, le pavé sec et sonore. Les passants fuyaient plutôt qu'ils ne marchaient.

Ennemi de ce qu'on appelle un beau froid, je m'étais prudemment précautionné contre ses atteintes. J'avais un paletot et un pardessus; ma bouche et mes oreilles étaient closes par un vaste cache-nez, mes mains étaient plongées dans des gants fourrés. Ainsi recouvert, j'allais frappant la semelle sur les trottoirs avec un air de défi, et l'esprit occupé de joyeux projets.

Au coin de la rue de Laval et de la rue Frochot, une femme, appuyée contre le mur et tenant un enfant dans ses bras, tendit vers moi la main en murmurant :

Monsieur, la charité, je vous prie!

Je passai sans répondre, rapidement, me contentant de penser que j'étais pressé, qu'il était tard, et que je ne pouvais pas sensément m'arrêter, ôter mes gants, déboutonner mon paletot, chercher mon porte-monnaie, au risque d'attraper l'onglée, après tous les soins que je m'étais donnés pour me maintenir dans un état de douce chaleur.

Et, comme pour appuyer ce raisonnement, je jugeai à propos de doubler le pas.

Mais la pauvre femme m'avait suivi; je la retrouvai à côté de moi, tendant encore la main et murmurant encore: La charité, je vous prie, monsieur...

Quelque prompt que fût mon regard, j'eus le temps de remarquer l'extrême abattement de sa physionomie. Je jetai un coup d'œil furtif sur l'enfant. Je dois le dire, j'eus un moment d'hésitation.

Et pourtant je passai...

Je crois même, Dieu me pardonne! qu'afin de précipiter ma décision, j'essayai de me persuader que j'avais peut-être affaire à une intrigante, à une mendiante de profession, comme il y en a beaucoup.

Je n'étais pas au bout de la rue de Laval, que tout ce qu'il y a en moi d'honnête, de juste, de généreux se révoltait.

- Ah! misérable que je suis! m'écriai-je soudain. Et je revins en hâte sur mes pas.

Je ne pouvais concevoir comment j'avais pu pousser à un tel point l'indifférence et la cruauté.

Mais, lorsque j'arrivai à l'angle de la rue Laval et de la rue Frochot, je ne vis plus la pauvre femme.

Elle ne peut pas être bien loin, me dis-je.

Je m'informai à un commissionnaire qui stationnait près de là:

Avez-vous vu tout à l'heure une mendiante avec son enfant ?

Il l'avait vue, mais il ne savait pas de quel côté elle avait pris.

[ocr errors]

- Je veux la retrouver! je la retrouverai! répétais-je avec agitation.

Je remontai la rue Frochot qui aboutit au boulevard extérieur.

Personne... plus personne!

O mon Dieu, pensais-je, où sera-t-elle allée ? Qu'est-ce qu'elle est devenue? Elle avait l'air exténué, elle se soutenait à peine, sa voix tremblait; et j'ai pu me détourner de cette voix ! Son insistance n'était pas habituelle. Oui, il faut que je la retrouve. Et cet enfant... ce petit être entortillé de haillons, ce jeune corps déjà en lutte avec la souffrance, bleu de froid, endormi dans ses pleurs, dans la faim peut-être !... Pour l'exposer à

un temps si rigoureux et en faire une enseigne de pitié il fallait qu'elle n'eût plus de logement, qu'elle eût épuisé toutes ses ressources, qu'elle eût tout vendu, qu'il ne lui restât que ce qu'elle a sur le corps.

Et j'ai fermé les yeux! et j'ai fermé mes oreilles ! Oh! lâche et méchant!

J'étais désespéré.

J'allais du boulevard extérieur à la rue Frochot. Je ne sais pas ce que j'aurais donné pour retrouver cette infortunée.

Un soupçon funeste m'oppressait.

En me suppliant comme elle faisait, elle avait mis en moi son dernier espoir, sa dernière chance de salut. Sans doute, à bout de force et de courage, elle s'était dit : « Allons, improns encore celui-là, et puis après, plus d'autres! » Et puis après... où peut aller une femme vaincue par la misère?

Mes pas et mes démarches restèrent sans résultat.
Je ne continuai pas ma route.

Je rentrai chez moi, sombre, la tête baissée. Je ne sentais plus le froid ni le vent. Je ne pensais qu'à la malheureuse femme et à son enfant.

Je ne suis pas content de moi. J'ai fait une mauvaise action.

CH. MONSELET.

(Scènes de la vie cruelle.)

Le brin d'herbe.

Demi-nu sur le gazon,

Un enfant joue, un garçon
Fort, superbe.

Quatre ans ; il en vivra cent !

Ce bel enfant florissant

Cueille une herbe.

Il la met entre ses dents.

Juin rit dans les cieux ardents.

L'enfant joue

Et chante en mordant sa fleur.
Qu'as-tu donc ? quelle pâleur
A ta joue!

Tout à coup on voit l'enfant
Livide et comme étouffant,
Bouche amère,

Sueur au front, se rouler,
Et, frissonnant, appeler...
Pauvre mère !

Dépêche-toi d'accourir,

Pour voir ton enfant mourir !
Le cher être

Qui, lui, n'était pas méchant,
Ne soupçonnait pas qu'un champ
Est un traître !

Cette herbe était un poison.
Quel vide dans la maison!
Ah! nature!

Ah! tes produits, les voilà,
Création qui hais la
Créature!

-Un autre petit enfant,
Livide, et comme étouffant,
Bouche amère,

Sueur au front, s'affaiblit...

Demain on fera son lit

Dans la terre.

Mères, le bonheur est court.
Le médecin ! — Il accourt,
Il commande,

Pour le cher être abattu,

Une herbe dont la vertu

Est très grande.

« PreviousContinue »