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A ma mère.

Lorsque ma sœur et moi, dans les forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds sur les cailloux,
En nous baisant au front tu nous appelais fous.
Après avoir maudit nos courses vagabondes

Puis, comme un vent d'été confond les fraîches ondes
De deux petits ruisseaux sur un lit calme et doux,
Lorsque tu nous tenais tous deux sur tes genoux,
Tu mêlais en riant nos chevelures blondes.

Et,pendant bien longtemps, nous restions là blottis,
Heureux, et tu disais parfois : O chers petits!
Un jour vous serez grands, et moi je serai vieille!

Les jours se sont enfuis, d'un vol mystérieux,
Mais toujours la jeunesse éclatante et vermeille
Fleurit dans ton sourire et brille dans tes yeux.
THÉODORE DE Banville.

(Roses de Noël. - Charpentier, édit.)

La vieille maison.

Dans un vallon discret où court un ruisseau, au milieu des grands arbres, on aperçoit de loin le pignon rouge de la vieille demeure. C'est une maison modeste, sans luxe et sans ornements, mais dont l'ensemble a je ne sais quoi de réjouissant, d'honnête et d'hospitalier.

Les murs épais protègent bien contre la chaleur et le froid. Le toit élevé, recouvert de bonnes tuiles, abrite un vaste grenier, où la lessive peut sécher ainsi que les oignons et les pommes de terre. Les fenêtres, un peu étroites pour mieux résister au vent, et munies encore de leurs petits carreaux, sont encadrées de vigne vierge et de clématites, dont les fleurs se balancent et embau

ment au moindre souffle du vent. Le balcon est en vieux fer forgé, les pigeons perchent sur la girouette, et devant la porte dort un gros chien, les pattes allongées.

Tout est tranquille et calme dans l'enclos; les arbres y poussent à l'aise, ainsi que des êtres aimés dont on tolère les caprices, et les plantes s'y étalent comme en un bois sacré. Longez ce vieux mur,qui cache ses lézardes sous un manteau de lierre et de mousse; poussez la petite porte verte, un peu disjointe et grimaçante la clochette tinte, et les merles et les fauvettes, qui bavardaient dans la verdure, s'envolent par douzaines en accrochant les branches, d'où la rosée tombe comme une pluie de perles sur les violettes du gazon.

Rien d'aimable et de charmant comme ces vieilles demeures où, de génération en génération, le fils, à l'heure où les cheveux blancs apparaissent, venait pieusement prendre la place du père, s'asseoir dans son fauteuil, boire dans son gobelet d'argent, et, satisfait, ayant fourni sa tâche, achevait de vivre tranquillement sous le toit où il était né.

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O mon cher rouet, ma blanche bobine,
Je vous aime mieux que l'or et l'argent!
Vous me donnez tout, lait, beurre et farine,
Et le gai logis, et le vêtement.

Je vous aime mieux que l'or et l'argent,
O mon cher rouet, ma blanche bobine!

O mon cher rouet, ma blanche bobine,
Vous chantez dès l'aube avec les oiseaux;
Été comme hiver, chanvre ou laine fine,
Par vous, jusqu'au soir, charge les fuseaux.

Vous chantez dès l'aube avec les oiseaux,
O mon cher rouet, ma blanche bobine!

O mon cher rouet, ma blanche bobine,
Vous me filerez mon suaire étroit,
Quand, près de mourir et courbant l'échine,
Je ferai mon lit éternel et froid.

Vous me filerez mon suaire étroit,
O mon cher rouet, ma blanche bobine!

LECONTE DE Lisle.
(Poèmes antiques.)

La destinée humaine.

Je vais dire le plus ravissant souvenir qui me reste de ma première jeunesse; je verse presque des larmes en y songeant. Un jour, ma mère et moi, en faisant un petit voyage à travers ces sentiers pierreux des côtes de Bretagne, qui laissent à tous ceux qui les ont foulés de si doux souvenirs, nous arrivâmes à une église de hameau, entourée, selon l'usage, du cimetière, et nous nous y reposâmes. Les murs de l'église, en granit à peine équarri et couvert de mousses, les maisons d'alentour construites de blocs primitifs, les tombes serrées, les croix renversées et effacées, les têtes nombreuses rangées sur les étages de la maisonnette qui sert d'ossuaire, attestaient que, depuis les plus anciens jours où les saints de Bretagne avaient paru sur ces flots, on avait enterré en ce lieu. Ce jour-là, j'éprouvai le sentiment de l'immensité de l'oubli,et du vaste silence où s'engloutit la vie humaine, avec un effroi que je ressens encore et qui est resté un des éléments de ma vie morale. Parmi tous ces simples qui sont là, à l'ombre de ces vieux arbres, pas un, pas un seul ne vivra dans l'avenir. Pas un seul n'a inséré son action dans le grand mouvement des choses; pas un seul

ne comptera dans la statistique définitive de ceux qui ont poussé à l'éternelle roue1.

Je servais alors le Dieu de mon enfance, et un regard élevé vers la croix de pierre sur les marches de laquelle nous étions assis, et sur le tabernacle qu'on voyait à travers les vitraux de l'église, m'expliquait tout cela. Et puis on voyait, à peu de distance, la mer, les rochers, les vagues blanchissantes; on respirait ce vent céleste qui, pénétrant jusqu'au fond du cerveau, y éveille je ne sais quelle vague sensation de largeur et de liberté. Et puis ma mère était à mes côtés; il me semblait que la plus humble vie pouvait refléter le ciel, grâce au pur amour et aux affections individuelles. J'estimais heureux ceux qui reposaient en ce lieu.

Depuis j'ai transporté ma tente, et je m'explique autrement cette grande nuit. Ils ne sont pas morts, ces obscurs enfants du hameau; car la Bretagne vit encore, et ils ont contribué à faire la Bretagne; ils n'ont pas eu de rôle dans le grand drame, mais ils ont fait partie de ce vaste chœur, sans lequel le drame serait froid et dépourvu d'acteurs sympathiques. Et quand la Bretagne ne sera plus, la France sera; et quand la France ne sera plus, l'humanité sera encore, et éternellement l'on dira: << Autrefois, il y eut un noble pays, sympathique à toutes les belles choses, dont la destinée fut de souffrir pour l'humanité et de combattre pour elle ». Ce jour-là, le plus humble paysan, qui n'a eu que deux pas à faire de sa cabane au tombeau, vivra comme nous dans ce grand nom immortel; il aura fourni sa petite part à cette grande résultante. Et quand l'humanité ne sera plus, Dieu sera, et l'humanité aura contribué à le faire, et dans son vaste sein se retrouvera toute vie; et alors il sera vrai, à la lettre, que pas un verre d'eau, pas une parole qui aura servi l'œuvre divine du progrès ne sera perdue.

(Résignation à l'oubli.

1. La roue du progrès.

ERNEST RENAN.

Calmann Lévy, édit.)

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1. La mer; les marins normands prononcent la « mé ».

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