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Pas un marin de la Manche ne l'égalait. Après s'être imposé toute sa vie le devoir d'être un homme, il usa en mourant du droit d'être un héros.

VICTOR HUGO.
(Pendant l'exil.)

La Bataille de Hastings.

Les troupes de Guillaume1 abordèrent sans résistance à Pevensey, près de Hastings, le 28 septembre de l'année 1066, trois jours après la victoire de Harold sur les Norvégiens. Les archers débarquèrent d'abord; ils portaient des vêtements courts, et leurs cheveux étaient rasés; ensuite descendirent les gens à cheval, portant des cottes de mailles et des heaumes en fer poli de forme conique, armés de longues et fortes lances, et d'épées droites à deux tranchants. Après eux sortirent les travailleurs de l'armée, pionniers, charpentiers et forgerons, qui déchargèrent, pièce à pièce, sur le rivage, trois châteaux de bois, taillés et préparés d'avance.

Le duc ne prit terre que le dernier de tous; au moment où son pied touchait le sable, il fit un faux pas et tomba sur la face. Un murmure s'éleva; des voix crièrent: << Dieu nous garde! c'est mauvais signe. » Mais Guillaume, se relevant, dit aussitôt : « Qu'avez-vous? quelle chose vous étonne? J'ai saisi cette terre de mes mains, et, par la splendeur de Dieu, tant qu'il y en a, elle est à nous. » Cette vive repartie arrêta subitement l'effet du mauvais présage.

1. Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, résolut d'arracher l'Angleterre au roi Harold (1066). En moins de huit mois, il prépara une immense expédition : 400 gros navires et plus de 1000 bateaux de transport, montés par 60 000 hommes. Parti de l'embouchure de la Dives, il relâcha à Saint-Valery-sur-Somme et débarqua en Angleterre sans rencontrer d'obstacle. Bientôt après, la bataille d'llastings le rendit maître du pays.

L'armée normande se trouva bientôt en vue du camp saxon, au nord-ouest de Hastings. Les prêtres et les moines qui l'accompagnaient se détachèrent, et montèrent sur une hauteur voisine, pour prier et regarder le combat. Un Normand, appelé Taillefer, poussa son cheval en avant du front de bataille, et entonna le chant des exploits, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland. En chantant, il jouait de son épée, la lançait en l'air avec force, et la recevait dans sa main droite; les Normands répétaient ses refrains ou criaient : « Dieu aide! Dieu aide! »

A portée de trait, les archers commencèrent à lancer leurs flèches, et les arbalétriers leurs carreaux1; mais la plupart des coups furent amortis par le haut parapet des redoutes saxonnes. Les fantassins armés de lances et la cavalerie s'avancèrent jusqu'aux portes des retranchements, et tentèrent de les forcer. Les Anglo-Saxons, tous à pied autour de leur étendard planté en terre, et formant derrière leurs palissades une masse compacte et solide, reçurent les assaillants à grands coups de hache, qui, d'un revers, brisaient les lances et coupaient les armures de mailles. Les Normands, ne pouvant pénétrer dans les redoutes, ni en arracher les pieux, se replièrent, fatigués d'une attaque inutile, vers la division que commandait Guillaume.

Le duc alors fit avancer de nouveau tous ses archers, et leur ordonna de ne plus tirer droit devant eux, mais de lancer leurs traits en haut, pour qu'ils tombassent pardessus le rempart du camp ennemi. Beaucoup d'Anglais furent blessés, la plupart au visage, par suite de cette manœuvre; Harold lui-même eut l'œil crevé d'une flèche, mais il n'en continua pas moins de commander et de combattre. L'attaque des gens de pied et de cheval recommença de près, aux cris de « Notre-Dame! Dieu aide! Dieu aide! » Mais les Normands furent repoussés,

1. Gros dard, en usage avant les armes à feu, et qui se lançait avec les catapultes, les balistes ou les arbalètes.

à l'une des portes du camp, jusqu'à un grand ravin recouvert de broussailles et d'herbes, où leurs chevaux trébuchèrent, et où ils tombèrent pêle-mêle et périrent en grand nombre. Il y eut un moment de terreur panique dans l'armée d'outre-mer; le bruit courut que le duc avait été tué, et, à cette nouvelle, la fuite commença. Guillaume se jeta lui-même au-devant des fuyards et leur barra le passage, les menaçant et les frappant de sa lance; puis, se découvrant la tête : « Me voilà! leur cria-t-il, regardez-moi, je vis encore, et je vaincrai avec l'aide de Dieu. »

Les cavaliers retournèrent aux redoutes; mais ils ne purent davantage en forcer les portes ni faire brèche : alors le duc s'avisa d'un stratagème, pour faire quitter aux Anglais leur position et leurs rangs; il donna l'ordre à mille cavaliers de s'avancer et de fuir aussitôt. La vue de cette déroute simulée fit perdre aux Saxons leur sang-froid; ils coururent tous à la poursuite, la hache suspendue au cou. A une certaine distance, un corps posté à dessein joignit les fuyards, qui tournèrent bride; et les Anglais, surpris dans leur désordre, furent assaillis de tous côtés à coups de lance et d'épée, dont ils ne pouvaient se garantir ayant les deux mains occupées à manier leurs grandes haches. Quand ils eurent perdu leurs rangs, les clôtures des redoutes furent enfoncées; cavaliers et fantassins y pénétrèrent; mais le combat fut encore vif, pêle-mêle et corps à corps.

Guillaume eut son cheval tué sous lui; le roi Harold et ses deux frères tombèrent morts au pied de leur étendard, qui fut arraché et remplacé par la bannière envoyée de Rome1. Les débris de l'armée anglaise, sans chefs et sans drapeau, prolongèrent la lutte jusqu'à la fin du jour, tellement que les combattants des deux partis ne se reconnaissaient plus qu'au langage.

Alors finit cette résistance désespérée ; les compagnons de Harold se dispersèrent, et beaucoup moururent, sur les chemins, de leurs blessures et de la fatigue du combat.

1. Le pape Alexandre II avait envoyé à Guillaume un étendard bénit et un cheveu de saint Pierre. AUG. THIERRY.

Les cavaliers normands les poursuivaient sans relâche, ne faisant quartier à personne. Ils passèrent la nuit sur le champ de bataille, et le lendemain, au point du jour, le duc Guillaume rangea ses troupes et fit faire l'appel de tous les hommes qui avaient passé la mer à sa suite, d'après le rôle qu'on en avait dressé, avant le départ, au port de Saint-Valery. Un grand nombre d'entre eux, morts ou mourants, gisaient à côté des vaincus. Les heureux qui survivaient eurent, pour premier gain de leur victoire, la dépouille des ennemis morts. En retournant les cadavres, on en trouva treize revêtus d'un habit de moine sous leurs armes : c'étaient l'abbé de Hida et ses douze compagnons. Le nom de leur monastère fut inscrit le premier sur le livre noir des conquérants.

Les mères et les femmes de ceux qui étaient venus de la contrée voisine, combattre et mourir avec leur roi, se réunirent pour rechercher ensemble et ensevelir les corps de leurs proches. Celui du roi Harold demeura quelque temps sur le champ de bataille, sans que personne osât le réclamer. Enfin la veuve de Godwin, appelée Ghitha, surmontant sa douleur, envoya un message au duc Guillaume, pour lui demander la permission de rendre à son fils les derniers honneurs. Elle offrait, disent les historiens normands, de donner en or le poids du corps de son fils. Mais le duc refusa durement, et dit que l'homme qui avait menti à sa foi et à sa religion n'aurait d'autre tombeau qu'un tas de pierres sur le sable du rivage. Il donna commission à l'un de ses capitaines, appelé Guillaume Malet, de faire que le vaincu de Hastings fût ainsi enterré comme un ignoble malfaiteur. Mais, par une cause qu'on ignore, cet ordre ne s'exécuta point; le corps du dernier roi anglo-saxon reçut une sépulture honorable dans l'église collégiale de Waltham que Harold lui-même avait fondée. Aussitôt après sa victoire, Guillaume fit vœu de bâtir un couvent sous l'invocation de la sainte Trinité et de saint Martin, le patron des guerriers de la Gaule. Ce vœu ne tarda pas à être accompli, et le grand autel du

nouveau monastère fut élevé au lieu même où l'étendard du roi Harold avait été planté et abattu. L'enceinte des murs extérieurs fut tracée autour de la colline que les plus braves des Anglais avaient couverte de leurs corps, et toute la lieue de terre circonvoisine, où s'étaient passées les diverses scènes du combat, devint la propriété de cette abbaye qu'on appela, en langue normande, l'Abbaye de la Bataille.

Des moines du grand couvent de Marmoutiers, près de Tours, vinrent y établir leur domicile, et prièrent pour les âmes de ceux qui étaient morts dans cette journée. On dit que, dans le temps où furent posées les premières pierres de l'édifice, les architectes découvrirent que certainement l'eau y manquerait; ils allèrent, tout décontenancés, porter à Guillaume cette nouvelle désagréable: << Travaillez, travaillez toujours, répliqua le conquérant d'un ton jovial; car, si Dieu me prête vie, il y aura plus de vin,chez les religieux de la Bataille, qu'il n'y a d'eau claire dans le meilleur couvent de la chrétienté! »

AUGUSTIN THIERRY. (Histoire de la conquête de l'Angleterre par les Normands.)

Charles XII à Bender.

Après la bataille de Pultava1, Charles XII, roi de Suède, vint chercher asile chez l'empereur des Turcs, Achmet III. Conduit avec honneur à Bender2, le roi voulut camper auprès de la ville. Il vécut là, dans une abondance de toutes choses bien rare pour un prince vaincu et fugitif. Bien qu'il ne fût qu'un captif honorablement traité, Charles conçut le dessein d'armer l'empire ottoman contre ses ennemis il se flattait de ramener la Pologne sous le

1. Pultava, chef-lieu du département de ce nom, sur la rivière Vorskla, à l'extrémité orientale de l'Ukraine. Charles XII y fut vaincu par Pierre le Grand en 1709.

2. Bender, ville forte sur le Dniester, a fait partie des États du Sultan ou Grand-Seigneur. Appartient à la Russie depuis 1812.

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