Page images
PDF
EPUB

dans ce nouvel état, lui dit en riant: « Ho! ho! je te reconnais; tu n'es qu'un composé du Singe et du Perroquet que j'ai vus autrefois. Qui t'ôterait tes gestes et tes paroles apprises par cœur sans jugement, ne laisserait rien de toi. D'un joli Singe et d'un bon Perroquet on n'en fait qu'un sot homme. >>

O combien d'hommes dans le monde, avec des gestes façonnés, un petit caquet et un air capable, n'ont ni sens ni conduite !

FÉNELON.
(Fables.)

Le Danseur de corde et le Balancier.

Sur la corde tendue, un jeune voltigeur 1
Apprenait à danser; et déjà son adresse,
Ses tours de force, de souplesse,
Faisaient venir maint spectateur.

Sur son étroit chemin on le voit qui s'avance,
Le balancier 2 en main, l'air libre, le corps droit,
Hardi, léger autant qu'adroit.

Il s'élève, descend, va, vient, plus haut s'élance,
Retombe, remonte en cadence,

Et, semblable à certains oiseaux
Qui rasent en volant la surface des eaux,
Son pied touche, sans qu'on le voie,
A la corde qui plie et dans l'air le renvoie.
Notre jeune danseur, tout fier de son talent,
Dit un jour: «< A quoi bon ce balancier pesant
Qui me fatigue et m'embarrasse?

1. Celui qui danse, saute, voltige sur une corde tendue. Voltiger vient de volte ancienne danse italienne, dans laquelle le cavalier fait tourner plusieurs fois sa dame et termine en l'aidant à faire un bond en l'air.

2. Long bâton à l'aide duquel le danseur de corde se tient en équilibre.

Si je dansais sans lui, j'aurais bien plus de grâce,
De force et de légèreté. »>

Aussitôt fait que dit. Le balancier jeté,

Notre étourdi chancelle, étend les bras et tombe.
Il se cassa le nez et tout le monde en rit.

Jeunes gens, jeunes gens, ne vous a-t-on pas dit
Que, sans règle et sans frein, tôt ou tard on succombe?
La vertu, la raison, les lois, l'autorité,

Dans vos désirs fougueux vous causent quelque peine : C'est le balancier qui vous gêne,

Mais qui fait votre sûreté.

FLORIAN.
(Fables.)

Le Lapin et la Sarcelle.

Unis dès leurs jeunes ans
D'une amitié fraternelle,

Un Lapin, une Sarcelle1,

Vivaient heureux et contents.

Le terrier du Lapin était sur la lisière

D'un parc bordé d'une rivière.

Soir et matin, nos bons amis,

Profitant de ce voisinage,

Tantôt au bord de l'eau, tantôt sous le feuillage,
L'un chez l'autre étaient réunis.

Là, prenant leur repas, se contant des nouvelles,
Ils n'en trouvaient point de si belles

Que de se répéter qu'ils s'aimeraient toujours.
Ce sujet revenait sans cesse en leurs discours.
Tout était en commun, plaisir, chagrin, souffrance;
Ce qui manquait à l'un, l'autre le regrettait;
Si l'un avait du mal, son ami le sentait;
Si d'un bien,au contraire, il goûtait l'espérance,
Tous deux en jouissaient d'avance.

1. Oiseau aquatique qui ressemble au canard.

Tel était leur destin, lorsqu'un jour, jour affreux !
Le Lapin, pour dîner venant chez la Sarcelle,
Ne la retrouve plus. Inquiet, il l'appelle;
Personne ne répond à ses cris douloureux.
Le Lapin, de frayeur l'âme toute saisie,

Va, vient, fait mille tours, cherche dans les roseaux,
S'incline par-dessus les flots,

Et voudrait s'y plonger pour trouver son amie.
<< Hélas! s'écriait-il, m'entends-tu? réponds-moi,
Ma sœur, ma compagne chérie !

Ne prolonge pas mon effroi :

Encor quelques moments, c'en est fait de ma vie;
J'aime mieux expirer que de trembler pour toi. »
Disant ces mots, il court, il pleure,

Et, s'avançant le long de l'eau,
Arrive enfin près du château

Où le seigneur du lieu demeure.
Là, notre désolé Lapin

Se trouve au milieu d'un parterre,
Et voit une grande volière

Où mille oiseaux divers volaient sur un bassin.
L'amitié donne du courage:

Notre ami, sans rien craindre, approche du grillage,
Regarde, et reconnaît... o tendresse! ô bonheur!
La Sarcelle. Aussitôt il pousse un cri de joie;
Et, sans perdre de temps à consoler sa sœur,
De ses quatre pieds il s'emploie

A creuser un secret chemin

Pour joindre son amie; et, par ce souterrain,
Le Lapin tout à coup entre dans la volière,
Comme un mineur qui prend une place de guerre.
Les oiseaux, effrayés, se pressent en fuyant;
Lui,court à la Sarcelle, il l'entraîne à l'instant
Dans son obscur sentier, la conduit sous la terre,
Et, la rendant au jour, il est prêt à mourir

De plaisir.

Quel moment pour tous deux ! Que ne sais-je le peindre Comme je saurais le sentir !

Nos bons amis croyaient n'avoir plus rien à craindre ;
Ils n'étaient pas au bout. Le maître du jardin,
En voyant le dégât commis dans sa volière,
Jure d'exterminer jusqu'au dernier lapin.
« Mes fusils, mes furets! » criait-il en colère.
Aussitôt fusils et furets
Sont tout prêts.

Les gardes et les chiens vont dans les jeunes tailles,
Fouillant les terriers, les broussailles;

Tout lapin qui paraît trouve un affreux trépas.
Les rivages du Styx sont bordés de leurs mânes1;
Dans le funeste jour de Cannes 2

On mit moins de Romains à bas.

La nuit vient; tant de sang n'a point éteint la rage
Du seigneur, qui remet au lendemain matin
La fin de l'horrible carnage.
Pendant ce temps, notre Lapin,

Tapi sous des roseaux auprès de la Sarcelle,
Attendait en tremblant la mort,
Mais conjurait sa sœur de fuir à l'autre bord
Pour ne pas mourir devant elle.

<< Je ne te quitte point, lui répondait l'oiseau;
Nous séparer serait la mort la plus cruelle.
Ah! si tu pouvais passer l'eau !

Pourquoi pas? Attends-moi... » La Sarcelle le quitte,
Et revient traînant un vieux nid
Laissé par des canards; elle l'emplit bien vite
De feuilles de roseau, les presse, les unit;
Des pieds, du bec, en forme un batelet capable
De supporter un lourd fardeau :

Puis elle attache à ce vaisseau

Un brin de jonc qui servira de câble.
Cela fait, et le bâtiment

Mis à l'eau, le Lapin entre tout doucement
Dans le léger esquif, s'assied sur son derrière,

1. Mánes esprits, âmes des morts selon les anciens.

2. Ville d'Italie, célèbre par la victoire qu'Annibal remporta sur les Romains 216 ans avant Jésus-Christ.

Tandis que devant lui la Sarcelle nageant
Tire le brin de jonc, et s'en va dirigeant
Cette nef à son cœur si chère.

On aborde, on débarque, et jugez du plaisir!
Non loin du port on va choisir

Un asile où, coulant des jours dignes d'envie,
Nos bons amis, libres, heureux,

Aimèrent d'autant plus la vie

Qu'ils se la devaient tous les deux1.

FLORIAN.

(Fables.)

Le Singe qui montre la Lanterne magique.

3

Messieurs les beaux esprits 2, dont la prose et les vers
Sont d'un style pompeux et toujours admirable,
Mais que l'on n'entend point, écoutez cette fable,
Et tâchez de devenir clairs.

1. « Florian a fait de la sarcelle une tendre et ingénieuse amie: Les délicatesses du cœur, les gracieuses effusions de sentiment, la piété fraternelle, ne conviennent guère à la physionomie malicieuse et à la jolie démarche du léger oiseau. Il est trop coquet pour être sentimental.

« Ce lapin est un « homme sensible », comme on disait alors. Ce n'est plus Jeannot Lapin, un de ces gais compères qui, le soir sur la bruyère, « l'oreille au guet, l'œil éveillé, s'égaient et parfument de thymn leur bouquet ». C'est un élégiaque, un mélancolique, une âme triste. » H. TAINE.

2. Beaux esprits, au sens propre, désigne les gens qui se distinguent par une élégance et une délicatesse parfois affectées. Se dit ici, par ironie, de ceux qui ont des prétentions au bel esprit.

3. Manière d'écrire prétentieuse et ampoulée. Le style désignait, chez les anciens, un poinçon de métal avec lequel on écrivait sur des tablettes enduites de cire. Plus tard on appliqua ce mot à l'écriture elle-même, à la manière d'exprimer les pensées.

« Les idées seules forment le fond du style, l'harmonie des paroles n'en est que l'accessoire. » BUFFON.

« PreviousContinue »