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Le lieu de la scène est imposant; c'est l'assemblée générale des animaux. L'époque en est terrible; celle d'une peste universelle. L'intérêt aussi grand qu'il peut être dans un apologue; celui de sauver presque tous les êtres,

Hôtes de l'univers sous le nom d'animaux

comme a dit La Fontaine dans un autre endroit (Discours à madame de la Sablière).

Les discours des trois principaux personnages: le Lion, le Renard et l'Ane, sont d'une vérité telle que Molière lui-même n'eût pu aller plus loin. Le dénouement de la pièce a, comme celui d'une bonne comédie, le mérite d'être préparé sans être prévu, et donne lieu à une surprise agréable, après laquelle l'esprit est comme forcé de rêver à la leçon qu'il vient de recevoir et aux conséquences qu'elle lui présente.

Passons au détail.

L'auteur commence par le plus grand ton... Un mal qui répand la terreur, etc... C'est qu'il veut remplir l'esprit du lecteur de l'importance de son sujet, et,de plus, il se prépare un contraste avec le ton qu'il va prendre dix vers plus bas.

Les tourterelles se fuyaient :

Plus d'amour, partant plus de joie.

Quel vers que ce dernier, et peut-on mieux exprimer la désolation que par le vers précédent... Les tourterelles se fuyaient. Ce sont de ces traits qui valent un tableau tout entier.

Il paraît, par le discours du lion,qu'il en agit de très bonne foi et qu'il se confesse très complètement. Remarquons pourtant, après ce grand vers:

.... Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Le berger...

Remarquons ce petit vers. Le berger...

Il semble qu'il voudrait escamoter un péché aussi énorme. Voyez ensuite ce scélérat de renard, ce maudit flatteur, qui ¿te à son roi le remords des plus grands crimes.

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En les croquant, beaucoup d'honneur.

Puis vient ce trait de satire contre l'homme et contre ses prétentions à l'empire sur les animaux. Reproche qui est assez grave, à leurs yeux, pour justifier leur roi d'avoir mangé le berger même.

Aussi le discours du renard a un grand succès.

Je ne dirai rien des grandes puissances, qui se trouvent innocentes; mais pesons chaque circonstance de la confession de l'âne.

...

J'ai souvenance... (La faute est ancienne)
Qu'en un pré de moines passant...

Il ne faisait que passer. L'intention de pécher n'y était pas. Et puis,un pré de moines! la plaisante idée de La Fontaine d'avoir choisi des moines, au lieu d'une commune de paysans, afin que la faute de l'âne fût la plus petite possible et sa confession plus comique.

Un loup quelque peu clerc... Voilà la science et la justice aux ordres du plus fort, comme il arrive, et n'épargnant pas les injures: Ce pelé, ce galeux, etc.

Enfin vient la morale,énoncée très brièvement:

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

Non seulement les jugements de cour, mais les jugements de ville et, je crois, ceux de village.

Presque partout l'opinion publique est aussi partiale que les lois. Partout on peut dire, comme Sosie dans l'Amphitryon de Molière :

Selon ce que l'on peut être,

Les choses changent de nom.

CHAMFORT.

(Extrait du Philologue, de GAIL.)

L'ANE CHARGE D'ÉPONGES ET L'ANE CHARGÉ DE SEL. 119

La pie et ses piaux.

Je vous veux faire un conte d'oiseaux. C'était une pie qui conduisait ses petits piaux par les champs, pour leur apprendre à vivre; mais ils faisaient les besiats1, et voulaient toujours retourner au nid, pensant que la mère les dût toujours nourrir à la becquée : toutefois, elle, les voyant tous drus pour aller par toutes terres, commença à les laisser manger tout seuls petit à petit, en les instruisant ainsi :

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« Mes enfants, dit-elle, allez-vous-en par les champs; vous êtes grands pour chercher votre vie : ma mère me laissa, que je n'étais pas si grande de beaucoup que vous êtes. Voire; mais, disaient-ils, que ferons-nous? Les arbalétriers nous tueront. Non feront3, non, disait la mère: il faut du temps pour prendre la visée. Quand vous verrez qu'ils lèveront l'arbalète et qu'ils la mettront contre la joue pour tirer, fuyez-vous-en. -Eh! bien, nous ferons bien cela, disaient-ils; mais si quelqu'un prend une pierre pour nous frapper, il ne faudra point qu'il prenne de visée. Que ferons-nous alors? Et vous verrez bien toujours, disait la mère, quand il se baissera pour ramasser la pierre. Voire; mais, disaient les piaux, s'il la portait d'aventure toujours prête en la main pour la lancer? Ah! dit la mère, en savez bien tant! Or, pourvoyez-vous, si vous voulez. » Et ce disant, elle les laisse et s'en va. Si vous riez, si n'en pleurerai-je pas.

BONAVENTURE DESPÉRIERS.
(Nouvelles récréations).

L'âne chargé d'éponges et l'âne chargé de sel.

J'amènerai seulement le témoignage du sage Thalès, le plus ancien des sept*, qui fut fort aise d'avoir découvert

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1. Les douillets, les délicats. 2. Vraiment, mais. (Voir, p. 102, note 1.) 3. Ils ne le feront pas.

4. Voir, p. 84, note 1.

et affiné la ruse d'un mulet: car il y avait une troupe de mulets qui portaient du sel de lieu à autres, entre lesquels un, en passant une rivière, tomba par cas fortuit dedans l'eau; le sel ayant été trempé dedans l'eau se fondit pour la plupart, de manière que le mulet, se relevant, se trouva fort allégé de sa charge, et en comprit aussitôt la cause qu'il imprima bien en sa mémoire, tellement que toutes et quantesfois qu'il passait la rivière il se baissait expressément, et trempait les vaisseaux où était contenu le sel qu'il portait en se couchant tout de son long sur un côté et puis sur l'autre.

Thalès, ayant entendu sa malice, commanda au muletier qu'au lieu de sel on lui emplît ses vaisseaux d'autant pesant de laine et d'éponges, et qu'on les lui chargeât sur le dos, et qu'on le chassât quand et1 les autres; il ne faillit pas à faire comme il avait accoutumé, et ayant rempli ses vaisseaux et sa charge d'eau, il connut que sa ruse lui était dommageable, de manière que de là en avant il se tint debout, et se donna bien garde qu'en passant la rivière ses vaisseaux ne touchassent pas seulement au-dessus de l'eau, non pas même malgré lui. » AMYOT.

(Traduit de Plutarque.)

Le Singe.

Un vieux Singe malin étant mort, son ombre descendit dans la sombre demeure de Pluton, où elle demanda à retourner parmi les vivants. Pluton voulait la renvoyer dans le corps d'un âne pesant et stupide, pour lui ôter sa souplesse, sa vivacité et sa malice; mais elle fit tant de tours plaisants et badins, que l'inflexible roi des Enfers ne put s'empêcher de rire, et lui laissa le choix d'une condition. Elle demanda à entrer dans le corps d'un Perroquet. « Au moins, disait-elle, je conserverai par là quel

1. Quand et... signifie avec (locution vieillie).

que ressemblance avec les hommes, que j'ai si longtemps imités. Étant Singe, je faisais des gestes comme eux; et étant Perroquet, je parlerai avec eux dans les plus agréables conversations. >>

A peine l'âme du Singe fut introduite dans ce nouveau métier, qu'une vieille femme causeuse l'acheta. Il fit ses délices; elle le mit dans une belle cage. Il faisait bonne chère, et discourait toute la journée avec la vieille radoteuse, qui ne parlait pas plus sensément que lui. Il joignait à son nouveau talent d'étourdir tout le monde je ne sais quoi de son ancienne profession : il remuait sa tête ridiculement; il faisait craquer son bec; il agitait ses ailes de cent façons, et faisait de ses pattes plusieurs tours qui sentaient encore les grimaces de Fagotin'. La vieille prenait à toute heure ses lunettes pour l'admirer. Elle était bien fâchée d'être un peu sourde, et de perdre quelquefois des paroles de son Perroquet, à qui elle trouvait plus d'esprit qu'à personne. Ce Perroquet gâté devint bavard, importun et fou.

Il se tourmenta si fort dans sa cage, et but tant de vin avec la vieille, qu'il en mourut. Le voilà revenu devant Pluton, qui voulut cette fois le faire passer dans le corps d'un poisson, pour le rendre muet; mais il fit encore une farce devant le roi des Ombres, et les princes ne résistent guère aux demandes des mauvais plaisants qui les flattent.

Pluton accorda donc à celui-ci qu'il irait dans le corps d'un homme. Mais, comme le dieu eut honte de l'envoyer dans le corps d'un homme sage et vertueux, il le destina au corps d'un harangueur ennuyeux et importun, qui mentait, qui se vantait sans cesse, qui faisait des gestes ridicules, qui se moquait de tout le monde, qui interrompait toutes les conversations les plus polies et les plus solides pour dire des riens ou les sottises les plus grossières. Mercure, qui le reconnut

1. Nom propre de forme plaisante, donnés aux singes habillé que les charlatans, les bateleurs promènent dans les rues.

Nouv. lectures littéraires.

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