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parlé... Çà, çà, Mercure, descendez présentement là-bas, et jetez aux pieds de Collatris trois cognées : la sienne, une autre d'or, et une tierce d'argent, massives, toutes d'un calibre . Lui ayant baillé l'option de choisir, s'il prend la sienne et s'en contente, donnez-lui les deux autres. S'il prend autre que la sienne, coupez-lui la tête avec la sienne propre. Et désormais ainsi faites à ces perdeurs de cognées. >>

Mercure, avec son chapeau pointu, sa capeline, talonnières et caducée 3, se jette par la trappe des cieux, fend le vide de l'air, descend légèrement en terre et jette aux pieds de Collatris les trois cognées; puis lui dit : «< Tes prières sont exaucées de Jupiter. Regarde laquelle de ces trois est ta cognée, et l'emporte. » Collatris soulève la cognée d'or: il la regarde et la trouve bien poisante; puis dit à Mercure : « Celle-ci n'est mie la mienne. Je n'en veux grain. » Autant fait de la cognée d'argent, et dit : «< Non est celle-ci. Je la vous quitte. » Puis prend en main la cognée de bois : il regarde au bout du manche, en celuici reconnaît sa marque, et, tressaillant tout de joie, comme un renard qui rencontre poules égarées, et souriant du bout du nez, dit : « Celle-ci était mienne. Si me la voulez laisser, je vous sacrifierai un bon et grand pot de lait tout fin couvert de belles fraises, aux ides de mai.

Bonhomme, dit Mercure, je te la laisse, prends-la. Et pour ce que tu as opté et souhaité médiocrité en matière de cognée, par le veuil de Jupiter je te donne ces deux autres. Tu as de quoi dorénavant te faire riche; sois homme de bien. »>

Collatris courtoisement remercie Mercure, révère le

1. C'est-à-dire « de même taille ».

2. Lui ayant donné le choix. Du verbe opter.

3. Caducée: attribut de Mercure. Branche de laurier ou d'olivier surmontée de deux ailes et entourée de deux serpents entrelacés.

4. Ides: le quinzième jour des mois de mars, de mai, de juillet et d'octobre, et le treizième des autres mois dans le calendrier des anciens Romains.

5. Le vouloir, la volonté de Jupiter.

Nouv. lectures littéraire..

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grand Jupiter, sa cognée antique attache à sa ceinture. de cuir. Les deux autres plus poisantes il charge à son col. Ainsi s'en va prélassant par le pays, faisant bonne trogne parmi ses paroissiens et voisins, et leur disant le petit mot de Patelin1: « En ai-je? »

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Au lendemain, vêtu d'une sequenie blanche, charge sur son dos les précieuses cognées, se transporte à Chinon, ville insigne, ville noble, ville antique, voire première du monde, selon le jugement et assertion des plus doctes massorètes. En Chinon, il change sa cognée d'argent en beaux testons et autre monnaie blanche: sa cognée d'or en beaux saluts, beaux moutons à la grande laine, belles riddes, beaux royaux, beaux écus au soleil. Il en achète force métairies, force granges, force censes force mas, force bordes et bordieux, force cassines, prés, vignes, bois, terres labourables, pâtis, étangs, moulins, jardins, saussaies, bœufs, vaches, brebis, moutons, chèvres, truies, pourceaux, ânes, chevaux, poules, coqs, chapons, poulets, oies, canes, canards, et du menu. Et en peu de temps fut le plus riche homme du pays.

Les francs gontiers et Jacques bonshommes du voisinage, voyant cette heureuse rencontre de Collatris, furent bien étonnés: et fut en leurs esprits la pitié et

1. Allusion à la célèbre farce de Maistre Pierre Patelin où l'expression En ai-je? est fréquemment répétée.

2. Souquenille: vêtement de dessus fait de toile.

3. Docteurs juifs, auteurs d'un travail critique sur le texte de ia Bible.

4. Teston: monnaie d'argent portant la teste ou effigie du roi. Saluts monnaie d'or ayant comme empreinte la salutation de la Vierge par l'ange Gabriel. Moutons: monnaie d'or marquée d'un agneau pascal. Riddes monnaie d'or du duché de Bourgogne. Royaux monnaie d'or frappée sous Philippe le Bel. Soleils monnaie d'or portant un soleil au-dessus de la couronne royale.

:

5. Censes, mas fermes. Le mot de mas est encore employé dans le midi de la France.

6. Bordes, bordieux, cassines maisons de campagne.

7. Nom que l'on donnait aux paysans aisés. Jacques Bonhomme désignait, au contraire, le paysan misérable et besogneux : les Jacques, la Jacquerie.

commisération, que auparavant avaient du pauvre Collatris, en envie changée de ses richesses tant grandes et inopinées. Si commencèrent courir, s'enquérir, quémander, informer par quel moyen, en quel lieu, en quel jour, à quelle heure, comment et à quel propos lui était ce grand trésor advenu.

Entendant que c'était pour avoir perdu sa cognée : << Hen, hen, dirent-ils, ne tenait-il qu'à la perte d'une cognée que riches ne fussions? Le moyen est facile, et de coût bien petit; ha, par dieu, cognée vous serez perdue, et ne vous en déplaise. »

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1

Adonc tous perdirent leurs cognées. Au diable l'un à qui demeura cognée. Plus n'était abattu, plus n'était fendu bois au pays en ce défaut de cognées. Encore, dit l'apologue Ésopique, que certains petits janpillhommes 1 de bas relief, qui à Collatris avaient le petit pré et le petit moulin vendu pour soi gorgiaser à la montre, avertis que ce trésor lui était ainsi et par ce moyen seul advenu, vendirent leurs épées pour acheter cognées, afin de les perdre comme les paysans, et par cette perte recouvrir montjoie d'or et d'argent. Et de crier, et de prier, et de lamenter, et invoquer Jupiter.

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«Ma cognée, ma cognée, Jupiter! Ma cognée deçà, ma cognée delà, ma cognée, ho, ho, ho, ho! Jupiter, ma cognée ! »

L'air tout autour retentissait aux cris et hurlements de ces perdeurs de cognées. Mercure fut prompt à leur apporter cognées, à chacun offrant la sienne perdue, une autre d'or et une tierce d'argent.

Tous choisissaient celle qui était d'or, et l'amassaient, remerciant le grand donateur Jupiter: mais sur

1. Gens-pille-hommes: altération satirique du mot gentilhomme, 2. Se rengorger, se pavaner; à la montre, c'est-à-dire en public.

3. Monceau de pierres jetées confusément en signe de victoire ou pour marquer un chemin. Par extension, amas de choses quelconques; ici d'or et d'argent.

l'instant qu'ils la levaient de terre, courbés et enclins': Mercure leur tranchait les têtes, comme était l'édit de Jupiler.

Et fut des têtes coupées le nombre égal et correspondant aux cognées perdues. Voilà que c'est. Souhaitez donc médiocrité : elle vous adviendra, et encore mieux, dûment cependant laborant et travaillant.

RABELAIS.

(Nouveau prologue du livre IV de Pantagruel.)

Le Bûcheron et Mercure.

Un bûcheron perdit son gagne-pain,
C'est sa cognée; et la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avait pas des outils à revendre :
Sur celui-ci roulait tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face était de pleurs toute baignée:
«<< - O ma cognée! ô ma pauvre cognée!
S'écriait-il; Jupiter, rends-la moi:

Je tiendrai l'être encore un coup de toi ».
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. << Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce dieu; la connaîtras-tu bien?
Je crois l'avoir près d'ici rencontrée ».
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit : « Je n'y demande rien ».
Une d'argent succède à la première.
Il la refuse. Enfin une de bois.

— « Voilà, dit-il, la mienne cette fois;
Je suis content si j'ai cette dernière.

Tu les auras, dit le dieu, toutes trois;
Ta bonne foi sera récompensée.

- En ce cas-là je les prendrai », dit-il.

1 Inclinés, baissés.

L'histoire en est aussitôt dispersée1;
Et boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le roi des dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor;
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt : « La voilà! »
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien,
C'est le plus sûr cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que sert cela? Jupiter n'est pas dupe.

LA FONTAINE.
(Livre V, fable 1.)

Le Loup, la Lionne et le Mulet.

Jadis un Loup, dit-on, que la faim espoinçonne 3,
Sortant hors de son fort", rencontre une Lionne,
Rugissante à l'abord, et qui montrait aux dents
L'insatiable faim qu'elle avait au dedans.
Furieuse, elle approche,et le Loup, qui l'avise *,
D'un langage flatteur lui parle et la courtise:

1. On dirait aujourd'hui « répandue. »

2. On disait autrefois boquet pour bosquet, et boquillon pour bos quillon, apprenti bûcheron. WALCKENAER.

3. Aiguillonne. Espoinçonne vient de poinçon, petit instrument pointu.

4. Repaire. En terme de chasse le plus épais du bois ou des

buissons.

5. L'aperçoit.