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LA GLOIRE

DU DOME

DU

VAL-DE-GRACE.

vûë,

IGNE fruit de vingt ans de travaux fomptueux,

Augufte Bâtiment, Temple majeftueux,

Dont le Dôme fuperbe, élevé dans la nuë,

Pare du grand Paris la magnifique

Et parmi tant d'objets femez de toutes parts,
Du voyageur furpris prens les premiers regards;
Fais briller à jamais, dans ta noble richelle,
La fplendeur du faint vœu d'une grande Princef-
fe,

Et porte un témoignage à la pofterité

De fa magnificence, & de fa pieté.

Conferve à nos neveux une montre fidele
Des exquifes beautez que tu tiens de fon zele.
Mais défen bien fur tout de l'injure des ans.
Le chef-d'œuvre fameux de fes riches Prefens;
Cet éclatant morceau de favante peinture,
Dont elle a couronné ta noble architecture,
C'est le plus bel effet des grands foins qu'elle a
pris,

Et ton marbre & ton or ne font point de ce prix.
Toi, qui dans certe coupe à ton vafte genie
Comme un ample Theatre heureusement four-

nie,

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Es venu déployer les precieux trefors,
Que le Tibre t'a vù ramaffer fur les bords,
Di-nous, fameux Mignard, par qui te font verfées
Les charmantes beautez de tes nobles pensées,
Et dans quel fonds tu prens cette variété,
Dont l'efprit eft furpris, & l'oeil est enchanté ?
Di-nous quel feu divin, dan tes fecondes veilles,
De tes expreffions enfante les merveilles?

Quels charmes ton Pinceau répand dans tous fes traits?

Quelle force il y mêle à fes plus doux attraits? Et quel eft ce pouvoir, qu'au bout des doigts tu portes,

Qui fait faire à nos yeux vivre des chofes mortes, Et d'un peu de mélange, & de bruns, & de clairs, Rendre efprit la couleur, & les pierres des chairs ?

Tu te tais, & pretens que ce font des matieres, Dont tu dois nous cacher les favantes lumieres ; Et que ces beaux fecrets, à tes travaux vendus, Te coûtent un peu trop pour être répandus. Mais ton Pinceau s'explique, & trahit ton filen

ce:

Malgré toi de ton Art il nous fait confidence;.
Et dans fes beaux efforts, à nos yeux étalez,
Les myfteres profonds nous en font revelez..
Une pleine lumiere ici nous eft offerte;
Et ce Dôme pompeux eft une école ouverte,
Où l'ouvrage faifant l'office de la voix,
Dicte de ton grand Art les fouveraines loix.
Il nous dit fortement les trois nobles Parties,

L'Invention, le Deffein, le Coloris

Qui rendent d'un Tableau les beautez afforties ;-
Et dont, en s'uniffant, les talens relevez
Donnent à l'Univers les Peintres achevez
Mais des trois, comme Reine, il nous expofe
celle, *

* L'Invention première partie de la Peinture.

que ne peut nous donner le travail, ni le zele;

Et qui comme un present de la faveur des Cieux,
Eft du nom de divine appellée en tous lieux.
Elle, dont l'effor monte au deffus du tonnerre,
Et fans qui l'on demeure à ramper contre terre,
Qui meut tout, regle tout, en ordonne à fon choix,
Et des deux autres mére & regit les emplois.

Il nous enfeigne à prendre une digne matiere,
Qui donne au feu d'un Peintre une vafte carriere,
Et puiffe recevoir tous les grands ornemens,
Qu'enfante un beau genie en fes accouchemens,
Et dont la Poefie, & fa foeur la Peinture,
Parant l'inftruction de leur docte imposture,
Compofent avec art ces attraits, ces douceurs,
Qui font à leurs leçons un paffage en nos cœurs,
Et par qui de tout temps, ces deux foeurs fi pa-

reilles

Charment, l'une les yeux, & l'autre les oreilles.
Mais il nous dit de fuir un difcours apparent
Du lieu que l'on nous donne, & du fujet qu'on
prend,

Et de ne point placer dans un tombeau des fêtes,
Le Ciel contre nos pieds, & l'Enfer fur nos têtes,
Il nous apprend à faire, avec détachement,
Des groupes contrastez un noble agencement,
Qui du champ du Tableau faffe un jufte partage;
En confervant les Bords un peu legers d'ouvrage,
N'ayant nul embarras, nul fracas vicieux,
Qui rompe ce repos fi fort ami des yeux:
Mais où, fans fe preffer, le groupe fe raffemble,
Et forme un deux concert, faffe un beau tout-en-
femble,

Où rien ne foit à l'œil mendié, ni redit;
Tout s'y voyant tiré d'un vafte fonds d'efprit,
Affaifonné du fel de nos graces antiques,
Et non du fade goût des ornemens gothiques:
Ces monftres odieux des flecles ignorans,
Que de la barbarie ont produit les torrens;
Quand leur cours inondant prefque toute la ter-

re,

Fit à la politeffe une mortelle guerre,

Et de la grande Rome abattant les remparts,
Vint avec fon empire étouffer les beaux Arts.
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Il nous montre à pofer, avec nobleffe & grace, La premiere figure à la plus belle place;

Riche d'un agrément, d'un brillant de grandeur,
Qui s'empare d'abord des yeux du Spectateur :
Prenant un foin exact, que dans tout un Ouvrage
Elle joue aux regards le plus beau perfonnage ;
Et que par aucun rôle, au fpectacle placé,
Le Heros du tableau ne fe voye effacé.

11 nous enfeigne à fuir les ornemens débiles.
Des épisodes froids & qui font inutiles;
A donner au fujet toute fa verité;

A lui garder par tout pleine fidelités
Et ne fe point porter à prendre de licence,
A moins qu'à des beautez elle donne naissance.
Il nous dicte amplement les leçons du Dessein,

*II. Le deffein feconde Partie de la Peinture.

Dans la maniere Grecque, & dans le goût Ro

main:

Le grand choix du beau vrai, de la belle nature,
Sur les reftes exquis de l'antique Sculpture,
Qui prenant d'un fujet la brillante beauté,
En favoit feparer la foible verité,

En formant de plufieurs une beauté parfaite,
Nous corrige par l'Art la nature qu'on traite.
Il nous explique à fond, dans fes inftructions,
L'union de la grace, & des proportions:
Les figures par tout doctement dégradées,
Et leurs extremitez foigneufement gardées..
Les contrastes favans des membres agroupez,
Grands, nobles, étendus, & bien developpez;
Balancez fur leur centre en beauté d'attitude;
Tous formez l'un pour l'autre avec exactitude;
Et n'offrant point aux yeux ces galimatias,
Où la tête n'eft point de la jambe, ou du bras;
Leur jufte attachement aux lieux qui les font naî-

tre,

Et les muscles touchez, autant qu'ils doivent l'ê

tre :

La beauté des contours obfervez avec foin;
Point durement traitez, amples, tirez de loin,

Inégaux, ondoyans, & tenant de la flâme,
Afin de conferver plus d'action & d'ame.
Les nobles airs de tête amplement variez,
Et tous au caractere avec choix mariez.

Et c'est là qu'un grand Peintre, avec pleine lar geffe,

D'une feconde idée étale la richeffe ;

Faifant briller par tout de la diverfité,

Et ne tombant jamais dans un air repeté.
Mais un Peintre commun trouve une peine ex
trême,

A fortir dans fes airs, del'amour de foi-même ;
De redites fans nombre il fatigue les yeux,
Et plein de fon image, il fe peint en tous lieux.
Il nous enfeigne auffi les belles draperies,
De grands plis bien jettez fuffifamment nourries
Dont l'ornement aux yeux doit conferver le nû:
Mais qui pour le marquer foit un peu retenu;
Qui ne s'y cole point, mais en fuive la grace,
Et fans la ferrer trop, la careffe, & l'embraffe.
Il nous montre à quel air, dans quelles actions
Se diftinguent à l'œil toutes les paffions.
Les mouvemens du cœur, peints d'une adreffe
extrême.

Par des geftes puifez dans la paffion même;
Bien marquez pour parler, appuyez fort, &

nets;

Imitans en vigueur les geftes des muets,
Qui veulent reparer la voix que la nature
Leur a voulu nier ainsi qu'à la Peinture.
Il nous étale enfin les myfteres exquis
De la belle partie où triompha Zeuxis,
III. Le Coloris traifieme Partie de la Peinture.
Et qui le revêtant d'une gloire immortelle,
Le fit aller du pair avec le grand Appelle.
L'union, les concerts, & les tons des couleurs
Contraftes, amitiez, ruptures & valeurs:
Qui font les grands effets, les fortes impoftures,
L'achevement de l'Art, & l'ame des figures.
Il nous dit clairement dans quel choix le plus
beau

On peut prendre le jour, & le champ du Tableau,
Ccc 7

Les

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