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sieurs bras avant de tomber dans le golfe de Finlande: lui-même traça le plan de la ville, de la forteresse, du port, des quais qui l'embellissent, et des forts qui en défendent l'entrée.

Cette île inculte et déserte, qui n'était qu'un amas de boue pendant le court été de ces climats, et dans l'hiver qu'un étang glacé, où l'on ne pouvait aborder par terre qu'à travers des forêts sans route et des marais profonds, et qui n'avait été jusqu'alors que le repaire des loups et des ours, fut remplie, en 1703, de plus de trois cent mille hommes que le czar avait rassemblés de ses États. Les paysans du royaume d'Astracan et ceux qui habitent les frontières de la Chine furent transportés à Pétersbourg. Il fallut percer des forêts, faire des chemins, sécher des marais, élever des digues avant de jeter les fondements de la ville. La nature fut forcée partout. Le czar s'obstina à peupler un pays qui semblait n'être pas destiné pour les hommes.

Dix-septième Exercice.

Soulignez tous les noms masculins.

JOURS DE SOUFFRANCE DE LA GRANDE ARMÉE.

Le 6 novembre, le ciel se déclare. Son

azur disparaît. L'armée marche enveloppée de vapeurs froides. Ces vapeurs s'épaississent bientôt c'est un nuage immense qui s'abaisse et fond sur elle, en gros flocons de neige. Il semble que le ciel descende et se joigne à cette terre et à ces peuples ennemis pour achever notre perte. Tout alors est confondu et méconnaissable: les objets changent d'aspect; on marche sans savoir où l'on est, sans apercevoir son but; tout devient obstacle. Pendant que le soldat s'efforce pour se faire jour au travers de ces tourbillons de vents et de frimas, les flocons de neige, poussés par la tempête, s'amoncellent et s'arrêtent dans toutes les cavités; leur surface cache des profondeurs inconnues qui s'ouvrent perfidement sous nos pas. Là, le soldat s'engouffre, et les plus faibles, s'abandonnant, y restent ensevelis. Ceux qui suivent se détournent, mais la tourmente leur fouette au visage la neige du ciel et celle qu'elle enlève à la terre; elle semble vouloir avec acharnement s'opposer à leur marche. L'hiver moscovite, sous cette nouvelle forme, les attaque de toutes parts: il pénètre au travers de leurs légers vêtements et de leur chaussure déchirée. Leurs habits mouillés se gèlent sur eux; cette enveloppe de glace saisit leurs corps et roidit tous

leurs membres. Un vent aigre et violent coupe leur respiration; il s'en empare au moment où ils l'exhalent et en forme des glaçons qui pendent par leur barbe autour de leur bouche.

Dix-huitième Exercice.

(Suite.)

Les malheureux se traînent encore, en grelottant, jusqu'à ce que la neige, qui s'attache sous leurs pieds en forme de pierre, quelques débris, une branche, ou le corps de l'un de leurs compagnons, les fasse trébucher et tomber. Là, ils gémissent en vain; bientôt la neige les couvre; de légères éminences les font reconnaître: voilà leur sépulture! La route est toute parsemée de ces ondulations comme un champ funéraire les plus intrépides ou les plus indifférents s'affectent; ils passent rapidement en détournant leurs regards. Mais devant eux, autour d'eux, tout est neige: leur vue se perd dans cette immense et triste uniformité; l'imagination s'étonne: c'est comme un grand linceul dont la nature enveloppe l'armée! Les seuls objets qui s'en détachent, ce sont de sombres sapins, des arbres de tombeaux, avec leur funèbre ver

dure, et la gigantesque immobilité de leurs noires tiges, et leur grande tristesse qui complète cet aspect désolé d'un deuil général, d'une nature sauvage, et d'une armée mourante au milieu d'une nature morte.....

La nuit arrive alors, une nuit de seize heures! Mais, sur cette neige qui couvre tout, on ne sait où s'arrêter, où s'asseoir, où se reposer, où trouver quelque racine pour se nourrir, et des bois secs pour allumer les feux! Cependant la fatigue, l'obscurité, des ordres répétés arrêtent ceux que leurs forces morales et physiques, et les efforts des chefs ont maintenus ensemble. On cherche à s'établir; mais la tempête, toujours active, disperse les premiers apprêts des bivouacs. Les sapins, tout chargés de frimas, résistent obstinément aux flammes; leur neige, celle du ciel, dont les flocons se succèdent avec acharnement, celle de la terre, qui se fond sous les efforts des soldats et par l'effet des premiers feux, éteignent ces feux, les forces et les courages.

Dix-neuvième Exercice.

(Suite.)

Lorsqu'enfin la flamme l'emportant s'é

leva, autour d'elle les officiers et les soldats apprêtèrent leurs tristes repas: c'étaient des lambeaux maigres et sanglants de chair arrachés à des chevaux abattus, et, pour bien peu, quelques cuillerées de farine de seigle délayée dans de l'eau de neige. Le lendemain, des rangées circulaires de soldats étendus roides morts marquèrent les bivouacs; les alentours étaient jonchés des corps de plusieurs milliers de chevaux.....

Le 6 décembre, le ciel se montra plus terrible encore. On vit flotter dans l'air des molécules glacées; les oiseaux tombèrent roidis et gelés. L'atmosphère était immobile et muette; il semblait que tout ce qu'il y avait de mouvement et de vie dans la nature, que le vent même fût atteint, enchaîné et comme glacé par une mort universelle. Alors plus de paroles, aucun murmure, un morne silence, celui du désespoir et les larmes qui l'annoncent.

On s'écoulait dans cet empire de la mort comme des ombres malheureuses. Le bruit sourd et monotone de nos pas, le craquement de la neige, et les faibles gémissements des mourants, interrompaient seuls cette vaste et lugubre taciturnité. A peine la force de prier restait-elle; la plupart tombaient même sans se plaindre, soit fai

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