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chet de l'exaltation et de l'activité. Ce caractère d'activité incessante les rapproche des maniaques; mais quelle différence entre une activité qui se consume en elle-même, et une activité dirigée par une volonté ferme et confiante, vers un but déterminé!

L'intelligence est avivée et surexcitée, comme les sentiments et la volonté ; il y a rapidité, richesse, et même quelquefois fécondité d'idées. Le plus souvent, cette activité se concentre sur un sujet particulier; toutefois, dans les paroxysmes, le fond général d'exaltation se manifeste seul, comme au début de la maladie. La disposition à tout voir en beau et en grand se traduit dans les pensées, dans les plans, dans les projets. La variété de ces idées ne semble avoir d'autres limites que celles de l'imagination humaine, et cependant elles se réduisent en général à un petit nombre de directions. Tantôt ces malades croient posséder une grande fortune, des millions, des palais; tantôt ils s'imaginent être de grands potentats, des princes et des rois; tantôt enfin ils disent avoir fait de grandes découvertes, être les apôtres d'une foi nouvelle, prophètes ou dieux, ou bien encore ils se disent appelés à réformer le monde et à devenir les bienfaiteurs de l'humanité. Toutes ces idées délirantes revêtent donc, comme chez les mélancoliques, les caractères des dispositions générales de l'intelligence et de la sensibilité. L'extérieur et les actes de ces malades sont en rapport (mais non d'une manière rigoureuse, comme on le croit généralement) avec ces diverses préoccupations délirantes ; ils affectent des poses ambitieuses, un langage prétentieux, composent leur maintien, commandent avec autorité. Généreux et prodigues, ils distribuent des titres, des millions, à ceux qui les entourent; généraux, em

pereurs, ils écrivent des proclamations; réformateurs ou apôtres, ils font des publications pour la réforme sociale et la conversion de l'humanité; riches et grands seigneurs, ils se livrent à des achats, à des spéculations et à des constructions gigantesques. D'autres, comme nous l'avons déjà dit, surtout dans les délires mystiques et érotiques, concentrent leur bonheur en eux-mêmes et restent comme dans un ravissement intérie ur. D'autres enfin ne peuvent supporter la contradiction ou la négation de leurs titres et de leurs grandeurs imaginaires; irrités et colères, ils sont constamment en lutte avec tous ceux qui les entourent, et les accablent d'injures et de menaces. Mais tous se ressemblent par l'activité incessante de leurs mouvements et de leurs actes, correspondant à l'activité générale de leurs facultés.

Un quatrième groupe de malades se distingue des groupes précédents : c'est celui des aliénés déments.

La démence n'est, selon nous, qu'une période et non une forme véritable d'aliénation mentale. Cet état mérite néanmoins une description particulière.

Parmi les déments, qui ne sont que les aliénés chroniques arrivés à un degré avancé de la maladie, il en est d'agités comme les maniaques, d'immobiles comme les mélancoliques; il en est d'autres chez lesquels on constate quelques idées prédominantes comme chez les monomaniaques; mais il est difficile de les confondre. S'ils parlent, leurs paroles décousues n'ont aucune suite, aucun sens; souvent même ce n'est plus seulement de l'incohérence, mais de l'absence d'idées : c'est un flux de paroles sans pensées. S'ils restent tranquilles et silencieux, leur physionomie n'exprime ni la concentration ni la passion, mais l'hébétude et la stupidité; ils semblent, du moins dans les cas extrêmes,

frappés de nullité sous le rapport de l'entendement comme du caractère. L'observateur, en effet, ne constate chez eux que des ruines: il voit devant lui, dans un isolement presque complet les uns des autres, tous les éléments du moral et de l'intelligence. Cette séparation est une sorte de dissolution qui accuse l'atteinte radicale portée aux forces psychiques, et ne permet plus de concevoir l'espérance de revoir ces éléments unis et coordonnés. Si parfois un éclair d'intelligence apparait dans ce chaos et au milieu de ces ruines, il attriste l'âme, loin de la consoler, tant il est visible que le malade n'en est ni l'acteur ni le témoin. Tout trahit, en effet, chez les déments, l'impuissance de former des idées, d'éprouver des sentiments, d'avoir une volonté. C'est le tombeau de la raison, moins quelques éclairs qui viennent le sillonner et sont comme les reflets de l'ancien éclat de la pensée.

A côté de ces malades, mais encore au-dessous d'eux, parce que l'exercice prolongé des facultés intellectuelles et morales laisse des traces indélébiles, se trouvent les idiots, que nous ne mentionnons ici que pour compléter le tableau; car ils pourraient, à la rigueur, ne pas figurer parmi les formes de la folie. Dans cet état de dégradation, l'homme est ravalé au-dessous de la brute; il n'a même plus l'instinct de la conservation. Il faut non-seulement que la bienfaisance lui apporte les aliments destinés à le nourrir, mais les ingère profondément dans sa bouche, et le protége contre les influences malfaisantes qui l'entourent et contre toutes les causes de destruction. Cet être hideux, informe de la tête aux pieds, dégoûtant de malpropreté, à la place de la parole, apanage exclusif de l'homme parce qu'elle est l'expression de la pensée dans tout son développement,

ne fait plus entendre que des sons rauques, sauvages et inarticulés. Au lieu de cette démarche ferme et assurée, qui exécute un ordre précis de la volonté, les mouvements brusques et désordonnés des idiots ne paraissent que des phénomènes d'irritabilité. Souvent d'ailleurs ils sont immobiles, courbés vers la terre, et ne présentent qu'une espèce de balancement en avant et en arrière, à droite et à gauche, dont on ne trouve d'exemples que dans nos ménageries. Sans doute, c'est là le degré extrême de l'idiotisme, et il y a des idiots moins disgraciés dans leur organisation, et par conséquent dans leurs manifestations; mais malheureusement, à ce faible développement de l'intelligence se lient trop fréquemment un défaut absolu de caractère ou bien des penchants inférieurs, des incitations à une brutale lascivité, à la rapine, à l'incendie, à la férocité sans acception de personnes, qu'ils tournent contre eux-mêmes et contre des objets inanimés, penchants dont la violence a été anciennement et est encore de nos jours exploitée par acupidité, la vengeance, et par tous les genres de fanatisme.

DIXIÈME LEÇON.

Suite de la marche des maladies mentales.

SOMMAIRE. Phases diverses de la période d'état : rémissions, paroxysmes, intermittences. - Transformations de la folie forme circulaire. Complications: chorée, hystérie, épilepsie. La paralysie générale n'est pas une complication, mais une forme spéciale. Terminaisons de la folie. Convalescence, crises, guérison, rechutes. Passage à l'état chronique et à la démence. Causes de la mort chez les aliénés; maladies incidentes.

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Le tableau que nous avons fait, dans la leçon précédente, des principales formes de la folie arrivée à sa période d'état, suffit pour donner une idée générale de cette période de la maladie; de plus grands développements nous feraient empiéter sur le domaine de la pathologie spéciale.

Quelles sont les phases diverses que présentent ces formes considérées dans leur ensemble ? Comme toutes les maladies chroniques, la folie est rarement uniforme dans son cours; elle offre des rémissions, des paroxysmes, des intermittences, des transformations et des complications, que nous allons successivement exami

ner.

Les rémissions sont très-fréquentes. Elles sont plus nombreuses et plus complètes au début et au déclin des maladies mentales que dans les autres périodes. La mélancolie est la forme qui présente le moins de rémissions; la manie, au contraire, offre rarement le même degré d'intensité pendant toute sa durée. Dans l'aliénation partielle, en général, les alternatives de rémissions

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