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pas qu'il fe retourne au bruit que fefaient quatre courriers de Babylone. Ils venaient à toute bride. L'un d'eux, en voyant cette femme, s'écria: C'est elle-même; elle reffemble au portrait qu'on nous en a fait. Ils ne s'embarrassèrent pas du mort, et fe faifirent incontinent de la dame. Elle ne ceffait de crier à Zadig: Secourez-moi encore une fois, étranger généreux je vous demande pardon de m'être plainte de vous. Secourez-moi, et je fuis à vous jufqu'au tombeau. L'envie avait paffé à Zadig de fe battre déformais pour elle. A d'autres! répond-il, vous ne m'y attraperez plus. D'ailleurs il était bleffé, fon fang coulait, il avait befoin de fecours; et la vue des quatre babyloniens, probablement envoyés par le roi Moabdar, le rempliffait d'inquiétude. Il s'avance en hâte vers le village, n'imaginant pas pourquoi quatre courriers de Babylone venaient prendre cette égyptienne, mais encore plus étonné du caractère de cette dame.

СНАРІ ТRE X.

L'Esclavage.

COMME il entrait dans la bourgade égyptienne, il se vit entouré par le peuple. Chacun criait : Voilà celui qui a enlevé la belle Missouf, et qui vient d'affaffiner Clétofis. Meffieurs, dit-il, DIEU me préserve d'enlever jamais votre belle Miffouf! elle eft trop capricieuse et à l'égard de Clétofis, je ne l'ai point affaffiné; je me fuis défendu feulement contre lui.

Il voulait me tuer, parce que je lui avais demandé très-humblement grâce pour la belle Miffouf qu'il battait impitoyablement. Je fuis un étranger qui vient chercher un afile dans l'Egypte; et il n'y a pas d'apparence qu'en venant demander votre protection, j'aie commencé par enlever une femme, et par affaffiner un homme.

Les Egyptiens étaient alors juftes et humains. Le peuple conduifit Zadig à la maifon de ville. On commença par le faire panfer de fa blessure, et enfuite on l'interrogea, lui et fon domeftique féparément, pour favoir la vérité. On reconnut que Zadig n'était point un affaffin; mais il était coupable du fang d'un homme; la loi le condamnait à être efclave. On vendit au profit de la bourgade fes deux chameaux; on diftribua aux habitans tout l'or qu'il avait apporté; fa perfonne fut expofée en vente dans la place publique, ainfi que celle de fon compagnon de voyage. Un marchand arabe, nommé Sétoc, y mit l'enchère; mais le valet, plus propre à la fatigue, fut vendu bien plus chèrement que le maître. On ne fefait pas de comparaison entre ces deux hommes. Zadig fut donc efclave fubordonné à fon valet on les attacha ensemble avec une chaîne qu'on leur passa aux pieds, et en cet état ils fuivirent le marchand arabe dans fa maison. Zadig en chemin confolait fon domestique, et l'exhortait à la patience; mais, felon fa coutume, il fefait des réflexions fur la vie humaine. Je vois, lui difait-il, que les malheurs de ma deftinée se répandent fur la tienne. Tout m'a tourné jusqu'ici d'une façon bien étrange. J'ai été condamné à l'amende pour avoir vu paffer une chienne; j'ai pensé être

empalé pour un griffon; j'ai été envoyé au fupplice parce que j'avais fait des vers à la louange du roi; j'ai été fur le point d'être étranglé parce que la reine avait des rubans jaunes, et me voici esclave avec toi, parce qu'un brutal a battu fa maîtreffe. Allons, ne perdons point courage; tout ceci finira peut-être; il faut bien que les marchands arabes aient des esclaves; et pourquoi ne le ferais-je pas comme un autre, puifque je fuis un homme comme un autre? Ce marchand ne fera pas impitoyable; il faut qu'il traite bien fes efclaves, s'il en veut tirer des fervices. Il parlait ainfi, et dans le fond de fon cœur il était occupé du fort de la reine de Babylone.

Sétoc, le marchand, partit deux jours après pour l'Arabie déferte, avec fes efclaves et fes chameaux. Sa tribu habitait vers le défert d'Oreb. Le chemin fut long et pénible. Sétoc dans la route fesait bien plus de cas du valet que du maître, parce que le premier chargeait bien mieux les chameaux ; et toutes les petites diftinctions furent pour lui. Un chamcau mourut à deux journées d'Oreb: on répartit fa charge fur le dos de chacun des ferviteurs; Zadig en eut fa part. Sétoc fe mit à rire en voyant tous fes efclaves marcher courbés. Zadig prit la liberté de lui en expliquer la raison, et lui apprit les lois de l'équilibre. Le marchand étonné commença à le regarder d'un autre œil. Zadig, voyant qu'il avait excité fa curiofité, la redoubla, en lui apprenant beaucoup de chofes qui n'étaient point étrangères à fon commerce; les pefan-' teurs fpécifiques des métaux et des denrées fous un volume égal; les propriétés de plufieurs animaux utiles; le moyen de rendre tels ceux qui ne l'étaient

pas; enfin il lui parut un fage. Sétoc lui donna la préférence fur fon camarade qu'il avait tant estimé. Il le traita bien, et n'eut pas fujet de s'en repentir.

Arrivé dans fa tribu, Sétoc commença par redemander cinq cents onces d'argent à un hébreu, auquel il les avait prêtées en présence de deux témoins; mais ces deux témoins étaient morts, et l'hébreu, ne 'pouvant être convaincu, s'appropriait l'argent du marchand, en remerciant DIEU de ce qu'il lui avait donné le moyen de tromper un arabe. Sétoc confia fa peine à Zadig, qui était devenu fon confeil. En quel endroit, demanda Zadig, prêtâtes - vous vos cinq cents onces à cet infidèle? Sur une large pierre, répondit le marchand, qui eft auprès du mont Oreb. Quel eft le caractère de votre débiteur, dit Zadig? Celui d'un fripon, reprit Sétoc. Mais, je vous demande fi c'est un homme vif ou flegmatique, avifé ou imprudent. C'eft de tous les mauvais payeurs, dit Sétoc, le plus vif que je connaisse. Hé bien, infifta Zadig, permettez que je plaide votre cause devant le juge. En effet, il cita l'hébreu au tribunal, et il parla ainfi au juge Oreiller du trône d'équité, je viens redemander à cet homme, au nom de mon maître, cinq cents onces d'argent qu'il ne veut pas rendre. Avez-vous des témoins? dit le juge. Non, ils font morts; mais il refte une large pierre fur laquelle l'argent fut compté; et s'il plaît à votre grandeur d'ordonner qu'on aille chercher la pierre, j'efpère qu'elle portera témoignage; nous refterons ici l'hébreu et moi, en attendant que la pierre vienne je l'enverrai chercher aux dépens de Setoc, mon maître.

Très-volontiers, répondit le juge; et il fe mit à expédier d'autres affaires.

A la fin de l'audience : Hé bien, dit-il à Zadig, votre pierre n'eft pas encore venue? L'hébreu en riant répondit : Votre grandeur refterait ici jufqu'à demain, que la pierre ne ferait pas encore arrivée ; elle eft à plus de fix milles d'ici, et il faudrait quinze hommes pour la remuer. Hé bien ! s'écria Zadig, je vous avais bien dit que la pierre porterait témoignage; puifque cet homme fait où elle eft, il avoue donc que c'eft fur elle que l'argent fut compté. L'hébreu déconcerté fut bientôt contraint de tout avouer. Le juge ordonna qu'il ferait lié à la pierre, fans boire ni manger, jusqu'à ce qu'il eût rendu les cinq cents onces, qui furent bientôt payées.

L'efclave Zadig et la pierre furent en grande recommandation dans l'Arabie.

CHAPITRE X I.

Le Bûcher.

SETQC enchanté fit de fon esclave fon ami intime.

Il ne pouvait pas plus fe paffer de lui qu'avait fait le roi de Babylone; et Zadig fut heureux que Sétoc n'eût point de femme. Il découvrait dans fon maître un naturel porté au bien, beaucoup de droiture et de bon fens. Il fut fâché de voir qu'il adorait l'armée célefte, c'eft-à-dire, le foleil, la lune et les étoiles,

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