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LES FEMMES ÉCRIVAINS

La plupart des femmes dont les noms ont mérité de vivre dans notre histoire littéraire n'étaient pas des écrivains de profession. Elles ont excellé dans des genres qui ne donnent qu'une gloire posthume. On peut dire d'elles qu'elles ont acquis la réputation sans l'avoir cherchée. Mmes de Sévigné, de Maintenon et Du Deffand ne croyaient point travailler pour la postérité. Elles ont écrit, comme en se jouant, des lettres où elles exprimaient, au courant de la plume, leurs sentiments et leurs idées; elles ne voulaient que se divertir elles-mêmes et divertir leurs amis; il s'est trouvé que la postérité a pris, à les lire, le même plaisir que leurs contemporains. Elles le doivent au naturel de leur style, à la grâce ou à la justesse de leur esprit, à des qualités qui étaient en elles et qu'elles ignoraient peut-être. Avant tout, ce sont des écrivains sincères. Elles ne se sont ni déguisées ni fardées pour la postérité. Ce n'étaient, en aucune façon, des femmes savantes. Elles avaient de l'esprit qu'elles dépensaient journellement dans leurs conversations; elles en ont gardé une part pour leurs correspondants, et c'est là tout le secret de leur gloire littéraire.

« Les femmes, dit Joseph de Maistre, n'ont fait aucun chef-d'œuvre dans aucun genre. Elles n'ont fait ni l'Iliade, ni l'Eneide, ni la Jérusalem délivrée, ni Phèdre, ni Athalie, ni Rodogune, ni le Misanthrope, ni Tartufe, ni le Panthéon, ni l'Église Saint-Pierre, ni la Vénus de Médicis, ni l'Apollon du Belvédère, ni le Discours sur l'Histoire universelle, ni le Télémaque, etc. » On peut répondre, qu'à de rares exceptions près, elles ont eu le sentiment très net de ce qu'elles

pouvaient faire et qu'elles ne se sont pas essayées aux grandes œuvres. On ne leur refuse guère le goût et l'art de la conversation; elles y apportent du tact, de la délicatesse, et un sentiment exquis des convenances. Or, c'est dans les genres qui se rapprochent le plus de la conversation, tels que la lettre et les mémoires, qu'elles ont surtout excellé. Elles n'ont guère moins réussi dans le roman, mais ce genre tel qu'on le pratiquait dans les deux derniers siècles s'accommodait assez d'un style courant et familier. Presque tout s'y passait en lettres et en conversations. Il n'est donc pas étonnant qu'elles l'aient cultivé avec succès.

Elles n'ont pas eu toutes cette sagesse qui consiste à se connaître soi-même et à ne rien tenter au-dessus de ses forces. Plusieurs ont essayé d'écrire, elles aussi, leur Athalie et leur Misanthrope, mais elles l'ont fait vainement. Les prosateurs sont nombreux parmi les femmes, il n'est pas difficile d'y compter les poètes. La poésie exige peut-être plus de patience et de travail qu'on ne saurait en attendre d'elles. Les petits poèmes ne valent que par la perfection absolue du style et l'on ne l'acquiert pas sans de longs efforts; les ouvrages plus étendus ne sont conduits à bonne fin que par un labeur presque infini et de tous les instants. Le temps ne manque pas moins aux femmes pour y réussir que la force d'imagination. Elles ont écrit des vers agréables, elles n'ont point fait un seul poème excellent. Il est possible aussi que leur esprit soit plus pratique que le nôtre et qu'elles soient moins éprises de beau langage. Nous leur prêtons volontiers nos qualités comme aussi nos défauts. En tout cas les Corinnes sont rares, et il convient peut-être de ne pas trop s'en plaindre. Le nombre des femmes qui ont reçu une éducation vraiment littéraire a été, de tout temps, fort petit et il est à croire que d'heureuses dispositions sont souvent demeurées stériles; le naturel, en effet, ne suffit pas; la culture importe aussi.

Les femmes écrivains ont donné, pour la plupart, l'exemple d'un bon style. Elles écrivent avec vivacité et avec naturel et

!

elles se gardent de ces défauts saillants que les esprits médiocres prennent pour des beautés. Leur style vaut par le tour, par l'heureux choix des mots, et il n'est déparé ni par les vains artifices, ni par les figures outrées. Les meilleures ont l'art d'habiller leurs pensées comme leur corps; on n'y remarque rien d'étriqué ni rien de trop. La sécheresse ne leur déplaît pas moins qu'une stérile abondance. Elles laissent le clinquant, les verroteries, et tout ce qui brille inutilement << aux reines de village ». A cet égard, elles pourraient être, pour nos contemporains, d'excellents modèles. La déclamation, la force exagérée, l'accumulation des effets et des mols, tout ce qu'affectionnent les littératures en décadence, ne se rencontre pas dans leurs écrits. Elles sont vraiment françaises d'esprit et de langage et c'est un mérite dont on ne saurait trop les louer.

Il ne serait pas juste de mesurer exactement, à l'étendue et au mérite de leur ceuvre, l'influence que les femmes ont exercée sur les lettres françaises. Ce sont elles qui, dans les meilleurs jours du Moyen-Age, accueillaient au seuil des châteaux les troubadours et les trouvères; vers le même temps elles présidaient aux cours d'amour, et la poésie se faisait plus riante pour être mieux goûtée d'elles. Dans les âges plus récents, elles se sont associées à toutes les grandes manifestations de notre esprit national. Il leur est arrivé de pousser trop loin la délicatesse et de sortir du naturel. L'affectation dans les sentiments et dans le langage a été, plus d'une fois, tenue pour une marque de distinction suprême. Quand les femmes se sont complu à ces défauts la comédie s'est chargée de les rappeler à la raison, depuis les Précieuses ridicules jusqu'au Monde où l'on s'ennuie. A tout prendre, et malgré de passagères erreurs, elles ont utilement servi la cause des lettres, et par leurs écrits et par ceux qu'elles ont inspirés. On voit assez tout ce que leur doit notre littérature, et il est facile d'estimer ce qui lui manquerait sans elles.

Le premier âge de la littérature française appartient tout entier à la poésie héroïque. Les trouvères ne célèbrent que les combats et les aventures des guerriers fameux, et ils vont eux-mêmes les chanter de château en château. Les sujets qu'on aime ne sont pas de ceux qui plaisent aux femmes. Celles qui sont lettrées écrivent en latin comme Dodane, duchesse de Septimanie, et plus tard Héloïse. Marie de France, qui a laissé cent trois fables rimées d'après Ésope et Phèdre et aussi des poèmes ou lais empruntés aux légendes bretonnes, est peut-être la première femme qui ait pris rang parmi les écrivains français. Elle vivait à l'époque de Philippe-Auguste, dans un temps où la poésie populaire du Roman du Renart se substituait déjà aux chants épiques, et où les courts récits des fabliaux étaient à la mode. Au siècle suivant, deux abbesses, Marguerite de Duyn et Agnès d'Harcourt, sont, en prose, les dignes rivales de Joinville.

Christine de Pisan, née à Venise en 1363, fille de l'astrologue de Charles V, Thomas de Pisan, est vraiment un écrivain de profession. Elle fit d'abord des vers qui furent fort goûtés. Réduite, vers 1402, après la mort de son père et de son mari, à vivre de son travail, elle écrivit de nombreux ouvrages. On cite les Cent Histoires de Troyes, qu'elle dédia au duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, et une Histoire de Charles V. Ses poésies, ballades, rondeaux, lais ne manquent ni de sentiment, ni de grâce. Sa prose est souvent recherchée; elle eut l'ambition de s'élever à la hauteur des historiens latins et elle tourmenta et força la langue. Elle est loin d'égaler Froissart, son contemporain.

Jusqu'au temps de la Renaissance, les femmes, on vient de le voir, n'ont participé que de loin en loin au développement de la littérature française. Il semble que leur influence se fasse surtout sentir aux époques de calme et de bien-être

social. Le XIIIe siècle fut une de ces époques heureuses, et c'est le temps des cours d'amour et de la royauté des femmes. La guerre de Cent ans vint arrêter l'essor de la France; elle la dépeupla et la ruina; il n'y eut plus de place pour les gais loisirs et les conversations; tout était à la guerre civile et à la guerre étrangère. La vie intellectuelle se concentra dans les cloîtres et dans les universités. Au xvi° siècle, l'activité littéraire se déploie de nouveau, et les femmes n'y restent point étrangères. Marguerite de Valois, sœur de François Ier, sait le latin et le grec, comme tous les érudits ses contemporains. Elle se fait une cour de savants, de poètes et d'artistes; et elle écrit elle-même, avec une égale facilité, en prose et en vers. Marguerite de France, fille de Henri II et femme de Henri IV, est éprise des belles-lettres comme son frère Charles IX, et elle rédige des Mémoires en une langue parfois recherchée mais toujours élégante. Louise Labé, la Belle Cordière, se fait une grande réputation, par sa jeunesse aventureuse, et aussi par son talent. Versée dans les langues anciennes et les langues modernes, elle s'essaye, avec un égal bonheur, en prose et en vers. Ses contemporaines Clémence de Bourges et Pernette du Guillet, toutes deux Lyonnaises comme elle, sont des poètes estimables. Suzanne Habert, les Dames des Roches et Catherine de Parthenay, ont mérité aussi de n'être point oubliées. Marie de Jars, demoiselle de Gournai, qui fut comme la fille adoptive de Montaigne, a fait imprimer les Essais, et publié divers traités et des poésies. Elle se fit le champion de Marot contre les novateurs de l'école de Ronsard.

A l'issue des guerres civiles et pendant les calmes années du règne de Henri IV, l'esprit littéraire renaît et c'est une femme, Catherine de Vivonne-Pisani, marquise de Rambouillet, qui préside à cette résurrection. Elle ouvre sa maison à tout ce que la cour et la ville comptaient de plus distingué et elle attire autour d'elle les gens du monde et les écrivains. C'est le service le plus signalé que l'hôtel de Rambouillet ait rendu aux

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